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Le
système financier a beau être secoué par de nouvelles
bouffées délirantes, le monde occidental au bord de la
récession, il ne perd pas le Nord pour autant. Manifestant contre
vents et marées la même constance dans la défense de ses intérêts
que ses laudateurs dans la promotion de leur vision biaisée de la
société.
Un
même discours péremptoire est martelé, qui
n’emprunte qu’un seul mot à un vocabulaire ne se
renouvelant pas : celui de la rigueur. L’appliquant aux dépenses
de l’Etat et non au fonctionnement du système financier, qui en
est lui dispensé. Contribuant à une campagne
d’intoxication destinée à faire admettre que les coupes
budgétaires sont rédemptrices et que le salut de tous est
à ce prix. Faisant appel à des réflexes enfouis de bonne
ménagère, ou de bon père de famille, selon lequels on ne dépense que ce que l’on
possède, assimilant faussement le budget de l’Etat à
celui de chacun d’entre nous.
Un
mot magique a dès lors fait florès : restructuration. Pas
de la dette ni des finances, mais de l’économie ! Car
l’économie doit changer pour que la finance se porte bien,
curieux retournement. A la faveur des plans d’austérité
qui envahissent le paysage comme chardons et épineux au printemps, ce
mot se décline dans tous les pays occidentaux. Avec pour unique
traduction la privatisation de ce qui peut encore l’être, la
suppression des « rigidités » du marché
du travail, l’étranglement financier des collectivités locales
et leurs services, et la diminution des prestations sociales… Ainsi
que, pour accréditer le partage des sacrifices, des mesures toutes
symboliques affectant les détenteurs de revenus les plus
élevés, quand c’est le cas, afin de faire passer le
ragoût. Le plan italien qui vient d’être adopté est
de ce point de vue un cas d’école.
Dans
cette même veine, le ministre libéral de l’économie
allemand, Philippe Rösler, vient
d’innover en suggérant la création en Grèce de
« zones économiques spéciales »,
destinées à relancer l’économie, au sein
desquelles les entreprises bénéficieraient de mesures fiscales
dérogatoires. Excellente idée pour améliorer les
recettes fiscales de l’Etat et diminuer son déficit !
La
fracture sociale a pris la succession de l’ascenseur du même nom,
en panne de longue durée comme affiché. Loin d’être
réduite, elle s’élargit : les inégalités de
revenu et de patrimoine se creusent, la précarité
s’élargit. Le pire est que l’ensemble se banalise et que
la lutte contre la marginalisation sociale est devenue synonyme de cause
perdue. S’y oppose, en haut de l’échelle, un monde qui
cultive son propre enfermement pour mieux protéger ses
privilèges.
Des
émeutes soudaines, présentées sous un jour purement
criminel en profitant des pillages, sont l’occasion pour la coalition
gouvernementale de s’affirmer comme le parti de l’ordre en jouant
sur la peur et en appelant à la délation, sa compagne de
toujours. David Cameron, le premier ministre, est allé
jusqu’à prévoir de faire appel à
l’armée. En attendant, il impose des
couvre-feu locaux, tous les quartiers surveillés par un
réseau mégalomane de caméras. Le ministre des finances
libéral, George Osborne, réaffirme plus que jamais
nécessaire la poursuite du plan d’austérité
britannique, sur l’air connu qu’il faut gratter
jusqu’à l’os. Est-ce que ce modèle britannique
cauchemardesque est lui aussi destiné à faire école ?
Tout
semble se passer comme si les représentants qualifiés du
capitalisme financier voulaient profiter de la crise en cours pour accentuer
la financiarisation de l’économie, justifiant une
nouvelle cure d’amaigrissement de l’Etat, ne retenant de
la crise financière globale que le seul endettement public.
Dissimulant la monstruosité de la bulle financière
derrière l’obésité de la dépense publique.
Allant chercher, comme des parasites, leurs bénéfices sur de
nouveaux terrains de jeu, dans les pays émergents prometteurs
de merveilles, sans négliger ce qui peut encore être
glané sur les anciens. Spéculant sur la résignation
quand ce n’est pas sur la peur, sur le désir d’ordre
rassurant quand tout va mal, sur la crainte de perdre ce que l’on
possède encore, dont d’autres plus démunis pourraient
s’emparer. Un très mauvais terreau.
Ces
mauvaises intentions ne sont pas sans susciter des réactions
spectaculaires. A tout seigneur, tout honneur, les premiers indignés
furent portugais, avant d’être espagnols puis grecs.
D’autres relais ont depuis été pris, le plus inattendu,
en Israël, à la fois au contact des révolutions arabes et
des protestations occidentales. Sans négliger celui – de grande
ampleur également – qui se poursuit tout au loin, au Chili. En
n’oubliant pas non plus les Américains de Madison, dans le
Wisconsin, qui ont renoué avec l’histoire protestataire
oubliée de leur pays. Cela fait beaucoup et peu à la fois.
Les
formes de mobilisation comme les cris de l’indignation sont propres
à chaque pays, mais ils expriment tous une protestation sociale
identique, le refus d’une précarité montante devenue
destin partagé de classes moyennes habituées aux bienfaits des Trente
glorieuses et des décennies qui suivirent. En Israël et en
Espagne, ce sont les jeunes des classes moyennes qui vont au contact avec les
plus défavorisés pour qu’ils se joignent à la
mobilisation. En Grande-Bretagne, à l’image initiale de la
« racaille » des communautés
émigrées s’est substituée celle de la population
mélangée des quartiers déshérités, non
sans contradictions en son sein.
Si
des cris retentissent en surface, un grondement provient des profondeurs.
Celui d’une implosion du système qui se poursuit,
imprévisible dans ses manifestations et dans son rythme, alternant des
phases aiguës et d’autres sourdes. La crise débutant en
septembre 2007, puisqu’il faut une date et que la chute de Lehman Brothers s’y
prête, nous allons entrer dans un mois dans sa cinquième
année, sans même y prêter attention, comme si nous y
étions déjà accoutumés. Au moment même
où elle connaît une nouvelle phase spectaculaire et
peut-être plus redoutable.
On
n’en a décidément pas fini avec l’effondrement du
système financier, qui s’est cru tiré d’affaire en
écartant toute menace d’une stricte régulation de son
activité, annoncée exemplaire pour se terminer ces temps-ci en
queue de poisson.
Quel
avenir a, dans ces conditions, la « stratégie du
choc » dont il poursuit la mise en oeuvre,
pour reprendre le titre de l’ouvrage de Naomi Klein qui analyse le
« capitalisme du désastre » ? Une question
de rapport de force, bien sûr. De quoi est-il fait ? De la
résistance opiniâtre des oligarchies ainsi que des indignations qui
se multiplient, du rejet qui s’insinue dans les esprits. Mais aussi, et
peut être surtout, de l’auto-destruction
d’un système arrivé au bout de son rouleau. Ce qui
était inconcevable avant-hier survient aujourd’hui.
Les
colosses les plus imposants s’effondrent au bout du compte. Le
cinquantième anniversaire de la construction du Mur de Berlin,
n’est-il pas l’occasion de se rappeler combien la Deutsche Demokratische Republik (la
RDA), paraissait devoir durer éternellement ? Et de se souvenir avec
quelle soudaineté le régime qui usurpait la dénomination
de « soviétique » s’est lui aussi
écroulé, ce qu’il en était advenu n’ayant
pas été à la hauteur des espoirs qu’il avait
suscité.
Ce
n’est qu’une analogie, mais elle est puissante. Hier comme
aujourd’hui, les dissidents ne prêchent pas dans le
désert, s’il est toutefois permis de se comparer à eux.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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