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Cours Or & Argent

Les démiurges malfaisants à l’œuvre

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Paul Jorion.
Publié le 15 mai 2010
1414 mots - Temps de lecture : 3 - 5 minutes
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Rubrique : Editoriaux





Ce texte est un « article presslib’ » (*)


Il avait pu sembler aux gouvernements européens qu’ils avaient gagné un répit prolongé, les faits viennent de les détromper. Non seulement la crise continue, mais elle a repris une mauvaise tournure en cette fin de semaine. Deux signes qui ne trompent pas : l’euro continue d’être très attaqué sur les marchés et les cours des valeurs financières (les banques) font un nouveau grand plongeon. Seuls, les taux obligataires sous surveillance renforcée et interventions de la BCE restent stables, mais à un niveau qui reste très élevé. Ce n’est pas encore tout à fait la Bérézina, mais ce n’est pas du tout le soleil qui se lève sur Austerlitz. Les marchés sont tenaces et ont les moyens de le faire savoir.

Les gouvernements grec, espagnol, portugais, et même italien, continuent de donner des gages en annonçant de nouvelles mesures d’austérité, mais les marchés n’en ont cure, car c’est l’euro qu’ils ont pris pour cible dans l’immédiat, en attendant de voir jusqu’où la BCE est prête à aller dans son soutien au marché obligataire. Certains annoncent que le tour de la livre sterling ne devrait pas tarder à venir, ces rumeurs continentales étant alimentées par les réactions qu’a suscité le refus britannique de participer au plan de sauvetage européen…

Qu’attendent donc les marchés, ces intervenants que l’on n’ose même pas identifier par leur nom, et qui aspirent au rôle de démiurges malfaisants ? Ils doutent d’abord de l’issue de la partie qui s’annonce : la réduction des déficits et la baisse de la demande des Etats sur les marchés obligataires, à laquelle ils poussent avec acharnement. Car déjà s’installe l’idée, chez ceux qui en ont encore les moyens, que pour être politiquement jouables les sacrifices vont être étalés dans le temps.

La crise de la dette financière n’est en effet pas une affaire qui va va se régler en trois ans, comme le gouvernement Allemand cherche naïvement à l’imposer. Dégonfler cette bulle ne se fera pas sans accidents de parcours – des restructurations de dette qui atteindront le système financier – et va contribuer à ce que cette crise n’en finisse pas.

Ils ne croient pas d’avantage que les gouvernements européens vont savoir consolider la Maison Europe, en élargissant l’union monétaire à une union fiscale, ce qui suppose un accord sur une politique économique commune. A cet égard, ils constatent que les seules propositions concrètes émises à ce jour alignent des règles et des châtiments. Ces derniers sanctionnant des manquements à des obligations qui ne sont définies qu’en termes généraux, car il est acquis – même si ce n’est pas encore reconnu – qu’il faudrait pour les instituer modifier les paramètres originellement définis pour le pacte de stabilité européen (en réalité de circonstance à l’époque).

Enfin, et surtout, ils sanctionnent une évidence : les perspectives de croissance économique de l’Europe sont médiocres, pour ne pas dire nulles, une fois que l’austérité en train d’être concoctée aura produit tous ses effets.

Sans doute même vont-ils plus loin, s’interrogeant sur l’ampleur de ce phénomène qui veut que tous les pays européens s’engagent simultanément dans la même voie menant à la dépression, induisant un rétrécissement du marché intérieur, accentuant encore la pente de celle-ci étant donné l’importance du commerce intra-Europe. Y ajoutant, enfin, des considérations sur la place à laquelle peut prétendre l’Europe dans un monde qui est en train de changer d’axe, sous les effets de la mondialisation.

La question, en effet, n’est pas tellement quel niveau de croissance, mais quel moteur à celle-ci dans ce nouveau contexte très évolutif ? Les Allemands peuvent toujours avoir l’espoir qu’ils réorienteront à terme plus ou moins rapproché leurs flux d’exportation des pays européens – qui ne vont plus leur offrir les mêmes débouchés – vers les pays émergents, mais les autres ?

Cette même question concerne également les Etats-Unis, dont il est fait grand cas des taux de croissance qui y sont affichés, sans les analyser et noter les effets des résultats de l’industrie financière, du déstockage des entreprises et de l’intervention publique. Utilisant, pour justifier l’optimisme les concernant, la capacité de rebond des Américains, dans un nouvel emprunt aux catégories psychologiques les plus sommaires. Ne prenant pas en compte la poursuite de la détérioration de la balance commerciale américaine, qui montre bien que la désindustrialisation des Etats-Unis n’est et ne peut être stoppée, et a fortiori que le phénomène ne peut plus être inversé.

D’ailleurs, les déclarations des dirigeants de la Fed se multiplient actuellement, comme autant de mises en garde à propos du déficit américain, valables d’abord pour le gouvernement. En félicitant chaudement, comme il vient de le faire, José Luis Rodriguez Zapatero pour les mesures drastiques qu’il vient d’annoncer, Barack Obama envoie à ce propos un signal à son pays, qu’il tempère pour le moment par un discours sur le retour de la croissance, car les mid-terms (les élections à mi-mandat) arrivent. En dépit de l’avantage que leur procure le statut du dollar, les Etats-Unis sont embarqués dans le même bateau que les Européens. La boucle est bouclée.

De la même manière que le capitalisme financier a mis en place, via une redistribution inégalitaire accrue de la richesse, une machine à fabriquer de la dette, il s’est fabriqué un nouvel eldorado ; par ses investissements il a contribué à l’émergence de pays qui sont désormais les seuls à connaître une véritable croissance, sur le mode qui lui est consubstantiel : accroissement rapide des inégalités sociales et exploitation intensive des ressources humaines et environnementales. Un million de voitures supplémentaire va circuler en l’espace de cette année à Pékin, plus 25%, c’est un condensé de ce que connaît la Chine.

La problématique du moteur de la croissance, qui est indissociable de la mise en cause de sa conception actuelle, va émerger comme une question-clé. A laquelle il est nécessaire de trouver une autre réponse que le repli sur des positions préparées à l’avance, comme disent les militaires quand ils font retraite, c’est à dire d’illusoires nouvelles murailles. A l’image, mais en nettement plus imposant, de celles que les riches se font construire, pour s’isoler et se protéger. Sauf que cette fois-ci, ces barrières parqueraient des pauvres, ce qui leur donnerait un tout autre sens.

A ce propos, que n’a-t-il pas été dit à propos du modèle européen et des filets de protection sociale dont il était garni et qu’il fallait préserver ! Après avoir été grignotés, ceux-ci sont en danger d’être sévèrement troués. Au profit d’une autre conception de la protection sociale, qui, comme une oeuvre de charité à qui l’on donne pour se faire du bien, limitera ses bienfaits aux exclus, au Tiers-monde de l’intérieur. Apposant un léger pansement sur une plaie que l’on préfère ne pas regarder. Permettant à ceux qui en bénéficieront de garder le nez au-dessus du niveau de l’eau, pour le coup moteur d’une nouvelle dynamique économique, mais imprévue, celle du développement de l’informalité. Cette activité qui échappe à l’emprise de l’Etat, moyen de survie des démunis quand elle n’est pas, à l’opposé de l’échelle sociale, privilège des nantis qui s’absolvent des contraintes fiscales et font des affaires comme d’autres pratiquent la corruption systématique. En bas, le phénomène est déjà en cours, on commence à en parler, en haut ce n’est que routine.

En filigrane, on voit se dessiner les contours d’une société qui n’est pas celle de nos rêves, dont l’avènement n’est toutefois pas inéluctable. Les rodomontades des uns et des autres apparaissent bien dérisoires, marionnettes manipulées sur le devant de la scène, chargés de mission du réel pouvoir, celui d’un système qui ne se résoudra jamais à abdiquer. La seule chose contre laquelle il est totalement impuissant, c’est sa propre implosion qu’il ne maîtrise pas. C’est souvent ainsi qu’a marché l’histoire.





Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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