Ludwig von Mises (1881-1973) a publié le texte dont des extraits
suivent ci-dessous, une première fois en 1917-1918, dans un article d'un
journal scientifique allemand.
Il y a donc juste cent ans et il avait près de quarante ans.
Il l'a ensuite utilisé comme chapitre de la 2e édition allemande de son
livre intitulé Théorie de la monnaie et du crédit, en 1924.
Enfin il l'a relégué en annexe du livre dans la traduction américaine de
Batson de 1934 (cf. http://www.econlib.org/library/Mises/msTApp.html
).
Ce texte est essentiel à connaître pour quiconque veut abandonner les
idées inexactes habituelles sur ce qu'on a dénommé "monnaie"
et qui voudraient, en particulier, que les hommes de l'état eussent
inventé cette dernière considération.
Ils se la sont appropriés, point final.
Il l'est surtout pour ceux qui s'improvisent à réfléchir sur la "monnaie
électronique" et les fameuses "crypto-monnaies" du moment.
Les sous titres sont de mon cru, ainsi que la traduction.
1. Remarque préalable.
Mises a centré le texte sur la
notion de « catallaxie », notion en grande partie ignorée en
France, aujourd'hui.
Il la supposait connue.
Reste qu'elle a été peu employée, de tout temps, par les
économistes du "mainstream".
Que faut-il entendre par le mot "catallaxie" ?
Friedrich von Hayek (1899-1992) a très bien expliqué le mot dans son livre
intitulé Droit, législation et liberté, publié d'abord en anglais
dans la décennie 1970, puis dans la décennie 1980 en France, dans le chapitre
10 intitulé "L'ordre de marché ou catallaxie" dans
le tome II qui est intitulé Le mirage de la justice
sociale :
«
Une économie, au sens strict du mot qui permet d'appeler « économie » un
ménage, une ferme ou une entreprise, consiste en une combinaison d'activités
par laquelle un ensemble donné de moyens se trouve affecté selon un plan
unitaire et réparti entre les diverses tâches d'après leur importance
respective.
L'ordre de marché ne sert nullement un tel agencement unitaire
d'objectifs.
Ce qui est d'ordinaire appelé une économie sociale ou nationale n'est pas
en ce sens une unité économique mais un réseau de nombreuses économies
imbriquées les unes dans les autres.
Nous verrons que son ordre partage, avec l'ordre d'une économie proprement
dite, certains
caractères formels mais non pas le plus important : les activités d'une
nation ne sont pas gouvernées par une unique échelle ou hiérarchie
d'objectifs.
La croyance que les activités économiques des individus membres de
la société sont, ou devraient être, les éléments partiels d'une économie au
sens propre du terme, et que ce que l'on appelle communément l'économie d'un
pays ou d'une société devrait être agencé et jugé d'après les mêmes critères
qu'une économie proprement dite, est la principale source d'erreurs dans ce
domaine.
Pourtant, chaque fois que nous parlons de l'économie d'un pays, ou du
monde, nous employons un terme qui suggère que ces systèmes devraient être
conduits à la manière socialiste, et dirigée suivant un plan unique de façon
à servir un ensemble unitaire d'objectifs.
Alors qu'une économie proprement dite est une organisation, dans le sens
technique que nous avons donné à ce mot — c'est-à-dire un agencement délibéré
d'un seul organe collectif pour l'emploi de moyens connus — le kosmos du
marché n'est ni ne peut être ainsi gouverné par une échelle unique
d'objectifs ; il sert la multitude des objectifs distincts et
incommensurables de tous ses membres individuels.
La confusion engendrée par l'ambiguïté du mot économie est si grave que,
pour notre propos actuel, il apparaît nécessaire d'en cantonner l'usage
strictement dans son sens originaire : celui d'un complexe d'actions
délibérément coordonnées visant un seul faisceau d'objectifs ; et d'adopter
un autre terme pour évoquer le réseau de nombreuses économies en relations mutuelles,
qui constitue l'ordre de marché.
Puisque le nom de « catallactique » a depuis longtemps été proposé pour la
science qui étudie l'ordre de marché, et qu'il a récemment été tiré de
l'oubli, il semble tout indiqué d'adopter un mot correspondant pour l'ordre
de marché lui-même.
Le terme « catallactique » a été tiré du verbe grec katallattein (ou
katallassein) qui signifiait originairement, et de façon éclairante, non
seulement « échanger » mais aussi « admettre dans la communauté » et « faire
d'un ennemi un ami ».
De là, l'adjectif « catallactique » a été dérivé pour remplacer «
économique » afin de désigner l'espèce de phénomène dont s'occupe la science
de la catallactique.
Les
anciens Grecs ne connaissaient pas ce terme, et n'avaient pas de substantif
correspondant ; s'ils en avaient forgé un, c'eût été probablement katallaxia.
De là nous pouvons former un mot moderne, catallaxie, que nous emploierons
pour désigner l'ordre engendré par l'ajustement mutuel de nombreuses
économies individuelles sur un marché.
Une catallaxie est ainsi l'espèce particulière d'ordre spontané
produit par le marché à travers les actes de gens qui se conforment aux
règles juridiques concernant la propriété, les dommages et les
contrats." (Hayek, 1986, pp. 129-131).
2. Et voici des extraits du texte de Mises:
"1. Doctrines monétaires catallactique et a
catallactiques.
Le phénomène de la monnaie occupe une position si importante parmi les
autres phénomènes de la vie économique, qu'il a été spéculé
- même par des personnes qui n’ont pas consacré davantage d'attention aux
problèmes de la théorie économique, et
- même à un moment où la recherche approfondie sur les processus de
l’échange était encore inconnue.
Les résultats des spéculations ont été variés.
a. [marchands et juristes]
Les marchands et, à leur suite, les juristes qui étaient étroitement liés
aux affaires du commerce, ont
- attribué l'utilisation de la monnaie aux propriétés des métaux précieux,
et
- déclaré que la valeur de la monnaie dépendait de la valeur des métaux
précieux .
b. [la jurisprudence canoniste]
La jurisprudence canoniste, ignorante des voies du monde, a vu l'origine
de l'emploi de la monnaie dans le commandement de l'Etat, elle a enseigné que
la valeur de la monnaie était une valor impositus.
c. [L'analogie]
D'autres, encore, ont cherché à expliquer le problème au moyen de
l'analogie.
i) Se plaçant d'un point de vue biologique, ils ont comparé la
monnaie au sang ; de même que la circulation du sang anime le corps, de même
la circulation de la monnaie anime l'organisme économique.
ii) Ou ils l’ont comparé au discours, qui avait aussi pour
fonction de faciliter le Verkehr (échange, commerce) humain.
iii) Ou ils ont fait usage de la terminologie juridique et défini
la monnaie comme un projet de tout le monde pour tout le monde.
[d. Autres tentatives].
Tous ces points de vue ont ceci en commun : ils ne peuvent pas être
intégrés dans un système qui traite de façon réaliste les processus de l'activité
économique.
Il est absolument impossible de les utiliser comme fondements d'une
théorie de l'échange.
Et la tentative n'a guère été faite car il est clair que toute tentative
de supporter, par exemple, la doctrine de la monnaie comme un projet en harmonie
avec une explication des prix, conduit à des résultats décevants.
Si l'on souhaite avoir un nom général pour ces tentatives pour résoudre le
problème de la monnaie, on peut les dénommer "a catallactiques" car
il n’y a pas de place trouvée pour elles en "catallaxie".
[e. Les théories catallactiques].
Les théories catallactiques de la monnaie, d'autre part, s’accordent à la
théorie des taux d'échange.
Elles recherchent ce qui est essentiel dans la monnaie lors de la
négociation des échanges, elles expliquent sa valeur par les lois de
l'échange.
[f. théorie générale de la valeur].
Il devrait être possible
- pour toute théorie générale de la valeur, de fournir aussi une théorie
de la valeur de la monnaie, et
- pour toute théorie de la valeur de la monnaie, d’être incluse dans une
théorie générale de la valeur.
Le fait qu'une théorie générale de la valeur ou une théorie de la valeur
de la monnaie remplisse ces conditions n'est en aucun cas une preuve de sa
justesse.
Reste qu'aucune théorie ne peut s'avérer satisfaisante si elle ne remplit
pas ces conditions.
[g. Pourquoi les vues "a catallactiques" de la
monnaie perdurent].
Il peut sembler étrange que les vues "a catallactiques" de la
monnaie ne soient pas complètement supprimées par le développement de la
doctrine catallactique.
Il y a plusieurs raisons à cela.
Il n'est pas possible de maîtriser les problèmes de l'économie théorique,
sauf si on traite d'abord les questions de la détermination des prix (prix
des matières premières, salaires, loyer, intérêts, etc. ) dans l'hypothèse
d'un échange direct, l'échange indirect étant laissé temporairement de côté.
Cette nécessité donne lieu à une division de la théorie de la catallaxie
en deux parties :
- la doctrine de l'échange direct et
- celle de l’échange indirect.
Désormais, aussi abondants et difficiles que soient les problèmes de la
théorie pure, la possibilité de mettre une partie d'entre eux de côté,
au moins pour le moment, a été très bien accueillie.
Ainsi elle a fait que la plupart des derniers chercheurs ont consacré
soit aucune attention,
soit très peu,
à la théorie de l'échange indirect ;
de toutes les façons, elle a été la partie la plus négligée de notre
science.
[h. Les effets de l'omission].
Les conséquences de cette omission ont été des plus malheureuses.
Elles ont été exprimées
- non seulement dans le domaine de la théorie de l'échange indirect, de la
théorie de la monnaie et de la banque,
- mais aussi dans le domaine de la théorie de l'échange direct.
Il y a des problèmes de la théorie dont la pleine compréhension ne peut
être atteinte que par l'aide de la théorie de l'échange indirect.
Trouver une solution à ces problèmes, parmi quoi, par exemple, il y a le
problème des crises, sans instruments autres que ceux de la théorie de
l'échange direct, conduit inévitablement à s'égarer.
C'est ainsi que la théorie de la monnaie a été entre temps rendue aux
"a catallactistes".
[i. Les reliques des vues "a catallactiques"].
Même dans les écrits de nombreux théoriciens catallactiques, se trouvent
de vieilles reliques des vues "a catallactiques".
Ici et là, sont remplies des déclarations
- qui ne sont pas en harmonie avec les autres déclarations de leurs
auteurs sur le thème de la monnaie et de l'échange et
- qui, évidemment, ont été acceptées simplement
parce qu'elles étaient traditionnelles et
parce que l'auteur n'avait pas remarqué qu'elles se heurtaient au reste du
système.
D'autre part, la controverse de la monnaie a suscité plus d'intérêt que
jamais dans les questions de théorie monétaire juste au moment où la théorie
moderne en route leur consacrait très peu d'attention.
[j. Les "hommes pratiques"].
De nombreux «hommes pratiques» se sont aventurés dans le domaine.
Maintenant l'homme pratique sans formation économique générale qui
commence à méditer sur les problèmes monétaires ne voit d’abord rien d'autre
et limite sa recherche à leur domaine restreint immédiat sans tenir compte de
leurs connexions avec d'autres considérations, il est donc facile pour la
théorie monétaire de devenir "a catallactique".
Que l '«homme pratique», si fièrement méprisé par le " théoricien
professionnel ", puisse procéder de recherches de problèmes monétaires à
la compréhension de la théorie économique plus pénétrante, est on ne
peut mieux démontré par les développements de Ricardo.
La période dont nous parlons n’a pas vu un tel développement.
Mais elle a produit des écrivains sur la théorie monétaire qui ont fait
tout ce qui était nécessaire pour la politique monétaire de leur époque.
Parmi un grand nombre, il est seulement nécessaire de mentionner deux noms
- Bamberger et Soetbeer -.
Ils ont consacré une partie considérable de leur activité à la lutte
contre les doctrines des "a catallactistes" contemporains.
À l'heure actuelle, les doctrines "a catallactiques" de la
monnaie trouvent une vraie acceptation entre les économistes qui n'ont aucune
préoccupation de la "théorie".
Ceux qui, ouvertement ou implicitement, nient la nécessité de la recherche
théorique ne sont pas en mesure de demander une doctrine monétaire qu'il
devrait être possible d’intégrer dans un système théorique.
2. La théorie «étatiste» de la monnaie.
La caractéristique commune de toutes les doctrines monétaires "a
catallactiques" est négative ; celles-ci ne peuvent pas être intégrées
dans une théorie de la catallaxie.
Cela ne signifie pas qu’elles impliquent une absence totale de vue sur la
valeur de la monnaie.
Sans de telles vues, elles ne seraient pas du tout des doctrines
monétaires.
Mais leurs théories de la valeur de la monnaie sont construites
subconsciemment, elles ne sont pas explicites, elles ne sont pas complètement
pensées.
Car si on avait constamment pensé à leurs conclusions logiques, il
deviendrait évident qu’elles seraient auto-contradictoires.
Une théorie de la monnaie développée de façon cohérente doit être
fusionnée à une théorie de l'échange, et donc cesser d'être "a
catallactique".
Selon les doctrines a catallactiques les plus naïves et les plus
primitives, la valeur de la monnaie coïncide avec la valeur du
matériau monétaire.
Mais tenter d'aller plus loin et commencer à enquêter sur les motifs de la
valeur des métaux précieux, c'est déjà arriver à la construction d'un système
catallactique.
[a. La théorie de la valeur].
L'explication de la valeur des biens est recherchée
- soit dans leur utilité,
- soit dans la difficulté de les obtenir.
Dans les deux cas, on a découvert aussi le point de départ pour une
théorie de la valeur de la monnaie.
Ainsi, l'approche naïve, logiquement développée, nous conduit
automatiquement à des problèmes réels.
Elle est "a catallactique", mais elle conduit à la catallaxie.
Une autre doctrine "a catallactique" cherche à expliquer la
valeur de la monnaie par le pouvoir de l'Etat .
Selon cette théorie, la valeur de la monnaie repose
- sur l'autorité du pouvoir civil le plus élevé,
- non pas sur l'estimation du commerce. 13)
13) Voir Endemann , Studien in der romanisch - kanonistischen
Wirtschafts- und gegen Rechtslehre bis Ende des 17. Jahrhunderts
(Berlin, 1874-1883 ), vol . 2, p. 199.
La loi commande, le sujet obéit.
Cette doctrine ne peut en aucun cas être mise en harmonie avec une théorie
de l'échange car, apparemment, elle n'aurait de sens que si l'Etat fixait le niveau
réel des prix en monnaie de tous les biens et services économiques, comme par
voie de règlementation des prix en général.
Puisqu'on ne peut pas affirmer que c'est le cas, la théorie étatique de la
monnaie est obligée de se limiter à la thèse que le pouvoir de l'Etat établit
- seulement le Geltung ou la validité de la monnaie en unités
nominales,
- mais pas la validité de ces unités nominales dans le commerce.
Mais cette limitation équivaut à l'abandon de la tentative d'expliquer le
problème de la monnaie.
En insistant sur le contraste entre la valor impositus et la bonitas
intrinseca, les canonistes ne permettent pas en effet à des sophismes
scholastiques de concilier le système juridique romano-canoniste avec les
faits de la vie économique.
Mais en même temps, ils ont révélé la futilité intrinsèque de la doctrine
de la valor impositus ; ils ont démontré l'impossibilité d'expliquer
les processus du marché avec son aide.
Néanmoins, la doctrine nominaliste n'a pas disparu de la littérature
monétaire.
Les princes de l'époque, qui voyaient dans l'avilissement de la monnaie un
moyen important d'améliorer leur situation financière, avaient besoin de la
justification de cette théorie.
Si, dans ses efforts pour construire une théorie complète de l'économie humaine,
la science de l'économie politique combattante se maintient exempte de
nominalisme, il y avait néanmoins toujours assez de nominalistes pour les
besoins budgétaires.
Au début du XIXe siècle, le nominalisme avait encore des représentants
chez Gentz et Adam Müller, qui écrivaient comme soutien de la politique
monétaire autrichienne de la période Bankozettel.
Et le nominalisme a été utilisé comme fondement pour les exigences des
inflationnistes.
Mais c’était pour faire l’expérience de sa pleine renaissance dans
l'économie allemande «réaliste» du XXe siècle.
Une théorie monétaire a catallactique est une nécessité logique de la
tendance empirico-réaliste en science économique.
Puisque cette école, défavorable à toute «théorie», s'abstient de propager
tout système de catallaxie, elle est obligée de s'opposer à toute doctrine
monétaire qui conduit à un tel système.
Donc, au début, elle a évité tout traitement du problème de la monnaie que
ce soit ; dans la mesure où elle arrivait à ce problème (dans son travail
souvent admirable sur l'histoire de la production des pièces de monnaie et
dans son attitude à l'égard des questions politiques), elle a conservé la
théorie de la valeur classique traditionnelle .
Mais, peu à peu, ses vues sur le problème de la monnaie glissaient
inconsciemment dans les idées a catallactiques primitives décrites ci-dessus,
qui considèrent la monnaie en métal précieux comme un bien qui est évaluable
"en lui-même."
Désormais cela était incohérent.
Pour une école qui a inscrit le dispositif de l'étatisme sur sa bannière,
et à quoi tous les problèmes économiques apparaissent comme des questions
d'administration, la théorie du nominalisme de l'Etat est plus appropriée.
14)
14) Voir Voigt , "Die Theorie des staatliche Geldes", Zeitschrift
für die gesamte Staatswissenschaft 62 : 318 f .
Knapp compléta ce propos.
D'où le succès de son livre en Allemagne.
Le fait que Knapp n’ait rien à dire sur le problème monétaire
catallactique, le problème du pouvoir d'achat ne peut pas être considéré comme
une objection du point de vue d'une doctrine qui
- nie la catallaxie et
- a abandonné à l'avance toute tentative d'explication causale de la
détermination des prix.
La difficulté pour quoi les anciennes théories nominalistes étaient venues
à débat n'existait pas pour Knapp, dont la population se composait uniquement
de disciples de l'économie politique réaliste.
Il a pu - en fait, compte tenu de son public, il était obligé ... –
abandonner toute tentative d'explication de la validité de la monnaie dans le
commerce.
Si des questions importantes de politique monétaire ont surgi en Allemagne
dans les années qui ont suivi immédiatement l'apparition du travail de Knapp,
l'insuffisance d'une doctrine qui a été incapable de dire quoi que ce soit à
propos de la valeur de la monnaie, était naturellement devenue bientôt
évidente.
Que la nouvelle théorie de l'État compromît immédiatement ce qui a été mis
en avant, était due à sa tentative malheureuse pour faire face à l'histoire
de la monnaie d'un point de vue a catallactique.
Knapp lui-même, dans le quatrième chapitre de son travail, a brièvement
raconté l'histoire monétaire de l'Angleterre, de la France, de l'Allemagne et
de l'Autriche.
Des travaux sur d'autres pays ont suivi, par les membres de son séminaire.
Tous ces comptes sont purement formels.
Ils s'efforcent d'appliquer le régime de Knapp aux circonstances
particulières des différents Etats.
Ils fournissent une histoire de la monnaie dans la terminologie
knappienne.
Il ne pouvait y avoir aucun doute sur les résultats qui ont été obligés de
suivre de ces tentatives.
Ils exposent les faiblesses de la théorie de l'Etat.
La politique de la monnaie est préoccupée par la valeur de la monnaie, et
une doctrine qui ne peut pas nous dire quoi que ce soit sur le pouvoir
d'achat de la monnaie n'est pas adaptée pour traiter des questions de
politique de la monnaie.
Knapp et ses disciples énumèrent les lois et les décrets, mais sont
incapables de dire quoi que ce soit sur leurs motivations et leurs effets.
Ils ne mentionnent pas qu'il y a eu des partis soutenant des politiques
différentes de la monnaie.
Ils ne savent rien, ou rien d'une grande importance, sur les
bimétallistes, les inflationnistes ou les restrictionnistes ;
selon eux, les partisans de l'étalon-or ont été menées par la
"superstition métalliste", les adversaires de l'étalon-or étaient
ceux qui étaient libres de « préjugés ».
Ils évitent soigneusement toute référence aux prix des matières premières
et des salaires et aux effets du système monétaire sur la production et les
échanges.
A part faire quelques remarques sur le "taux d’échange
fixe", ils ne touchent jamais sur les liens entre l'étalon monétaire et
le commerce extérieur, problème qui a joué un si grand rôle dans la politique
de la monnaie.
Il n'y a jamais eu de représentation plus misérable et vide de l'histoire
monétaire.
À la suite de la Guerre mondiale, les questions de politique monétaire
sont redevenues très importantes, et la théorie de l'Etat lui-même se sent
obligée de produire quelque chose sur les questions d'actualité de la
politique de la monnaie.
Qu'il n'ait rien de plus à dire au sujet de ceux-ci que sur les problèmes
monétaires du passé est représenté par l'article de Knapp "Die
Währungsfrage bei einem deutsch - Osterreichischen Zollbündnis " dans la
première partie de l'ouvrage publié par le Verein für Sozialpolitik : Die
wirtschaftliche Annäherung zwischen dem deutschen und seinen Verbündeten
Reiche.
Il ne peut guère y avoir deux opinions sur cet essai.
L'absurdité des résultats à quoi la doctrine nominaliste de la monnaie est
obligée d'arriver dès qu'elle commence à se préoccuper des problèmes de
la politique monétaire, est représentée par ce qui a été écrit par Bendixen,
un des disciples de Knapp.
Bendixen considère la circonstance que la monnaie allemande avait une
faible valeur à l'étranger pendant la guerre, comme "même à certains
égards souhaitable, car elle nous a permis de vendre des titres financiers
étrangers à un taux favorable." 15)
15. Bendixen, Währungspolitik und im Lichte Geldtheorie des Weltkriegs
(Munich et Leipzig, 1916), p. 37 (2ème éd. 1919, p.44).
Du point de vue nominaliste cette affirmation monstrueuse est purement
logique.
Bendixen, incidemment, n'est pas seulement un disciple de la théorie
étatique de la monnaie, il est en même temps un représentant de cette
doctrine qui considère aussi la monnaie comme une créance.
En fait, les vues "a catallactiques" peuvent être mélangés selon
les goûts.
Ainsi Dühring, qui en général regarde la monnaie métallique comme "
une institution de la nature", soutient la théorie de la créance, mais,
en même temps, rejette le nominalisme.16)
16. Dühring, Cursus der National - und Sozialökonomie, 3e éd .
(Leipzig, 1892), pp.42 et suiv ., 401.
L'affirmation que la théorie étatiste de la monnaie a été démentie
par les événements de l'histoire de la monnaie depuis 1914 ne doit pas être
comprise comme signifiant qu'elle a été réfutée par les «faits».
Les faits en soi ne peuvent ni prouver ni réfuter, tout dépend de
l'importance qu'on donne aux faits.
Tant que la théorie n'est pas pensée et est travaillée d'une manière
absolument inadéquate, alors ce n'est pas une question de difficulté suprême
de l'exposer de manière à expliquer les «faits», même si ce n'est que superficiellement
et d'une manière qui ne peut par aucun moyen satisfaire une critique vraiment
intelligente.
Il n'est pas vrai, comme le dit la doctrine scientifique naïve de l'école
empirico-réaliste, que l'on peut se sauver de la peine de penser si on permet
aux faits de parler.
Les faits ne parlent pas, ils ont besoin de l’être par une théorie.
La théorie de la monnaie étatique - et toutes les théories a
catallactiques de la monnaie en général - s’écroule non pas tant en raison
des faits qu’en raison de son incapacité même de tenter de les expliquer.
Sur toutes les questions importantes de politique monétaire qui ont surgi
depuis 1914, les disciples de la théorie de la monnaie étatique ont gardé le
silence.
Il est vrai que, même dans cette période, leur industrie et zèle ont été
démontrés dans la publication de grands ouvrages, mais ils n'ont pas été en
mesure de dire quoi que ce soit sur les problèmes qui nous occupent
aujourd'hui.
Que pouvaient-ils dire, eux qui rejettent délibérément le problème de la
valeur de la monnaie, au sujet de ces problèmes de valeur et de prix qui
constituent seuls tout ce qui est important dans le système monétaire ?
Leur terminologie particulière ne nous apporte pas un pas de plus vers une
décision sur les questions qui agitent le monde à l'heure actuelle. 17)
17. Voir aussi Palyi , Der Streit um die staatliche Theorie des
Geldes (Munich et Leipzig , 1922) , pp. 88 et suiv .
Knapp est d'avis que ces questions n'ont pas besoin d'être résolues sauf
par les «économistes » et admet que sa doctrine n'a rien à dire sur
celles-là. 18)
18. Knapp, Staatliche Theorie des Geldes, 3e éd. (1921 ), pp. 445
et suiv.
Mais si la théorie étatiste ne permet pas d'élucider les questions qui
nous semblent importantes, quelle est son utilisation ?
La théorie étatiste n'est pas une mauvaise théorie monétaire; elle n'est
pas du tout une théorie monétaire. 19)
19. Imaginer que la théorie de l'état est une théorie juridique, c’est
ignorer le but qu'une théorie juridique de la monnaie doit remplir. Toute personne
qui a cette opinion devrait se référer à un travail sur le droit des contrats
et remarquer quelles questions y sont traitées dans le chapitre sur la
monnaie.
Attribuer à la théorie de l'état une grande part du blâme de
l'effondrement du système monétaire allemand, n’implique pas que Knapp a
provoqué directement la politique inflationniste qui y a conduit.
Il n'a pas fait cela.
Néanmoins, une doctrine qui ne mentionne pas la quantité de monnaie du
tout, qui ne parle pas de la connexion entre la monnaie et les prix, et qui
affirme que la seule chose qui soit essentielle dans la monnaie est
l'authentification de l'Etat, encourage directement l'exploitation fiscale du
"droit " de créer de la monnaie.
Qu'est-ce qu’empêcher un gouvernement de verser de plus en plus en
circulation des billets s’il sait que ce ne sera pas influer sur les prix,
parce que toutes les augmentations de prix s'expliquent par des «conditions
de marché perturbées» ou « des troubles dans le marché intérieur », mais en
aucun cas par quelque chose à faire avec de la monnaie ?
Knapp n'est pas assez imprudent pour parler du valor impositus de
la monnaie comme le faisaient les canonistes et les juristes des générations
passées.
Tout de même, sa doctrine et la leur mènent indifféremment aux mêmes
conclusions.
Knapp, contrairement à certains de ses disciples enthousiastes, n'était
certainement pas un mercenaire du gouvernement.
Quand il disait quelque chose, il le disait par conviction personnelle
véritable.
Cela parle bien de sa propre crédibilité, mais n'a aucune incidence sur
celle de sa doctrine.
Il est tout à fait inexact de dire que la doctrine monétaire de l'étatisme
vient de Knapp.
La doctrine monétaire de l'étatisme est la théorie de la balance des paiements,
à quoi Knapp se réfère uniquement en passant, en parlant de l'«origine
pantopolique des taux de change." 20)
20. Knapp, op. cit.,
pp. 206, 214 .
La théorie de la balance des paiements, quoiqu’insoutenable, est au moins
une théorie de la monnaie catallactique.
Mais elle a été inventée bien avant l'époque de Knapp.
Elle avait déjà été défendue, avec sa distinction entre la valeur interne
(Binnenwert) et la valeur externe (Aussenwert) de la
monnaie, par les étatistes, par Lexis, par exemple. 21)
21. Lexis, " Papiergeld," dans Handwörterbuch der
Staatswissenschaften, 3d. ed., vol. 6, pp. 987 et suiv .
Knapp et son école ne lui ont rien ajouté.
Mais l'école étatiste est responsable de l'installation et de la rapidité
avec quoi la théorie étatique de la monnaie a réussi à devenir la doctrine
acceptée en Allemagne, en Autriche et en Russie.
Cette école avait frappé la catallaxie, la théorie de l'échange et les
prix, comme des superflus tirés des séries de problèmes dont l'économie était
préoccupée ;
elle a entrepris la tentative de représenter tous les phénomènes de la vie
sociale comme de simples émanations de l'exercice du pouvoir par les princes
et d'autres en situation d'autorité.
Elle n'est que l’extension logique de la doctrine tentant de représenter actuellement
la monnaie aussi comme étant créée simplement par la force.
La génération plus jeune des étatistes avait si peu de notion même de ce
que l'économie était vraiment, qu’elle était en mesure d'accepter la
discussion dérisoire de Knapp comme une théorie de la monnaie. "
Bref, folles thèses, foutaises.
Relisez Henri Poincaré et son livre intitulé Science
et méthode.