Un sondage réalisé par l’Ifop pour le compte
de L’Opinion, iTélé et GénérationLibre,
sur le thème « Les Français et le libéralisme », a été dévoilé le 5
mai 2014. Ses résultats sont pleins d’ambiguïté, mais riches d’enseignements.
Tout d’abord, il a été proposé aux sondés une liste de vingt-huit mots
pour lesquels ils devaient dire s’ils évoquent quelque chose qu’ils aiment ou
quelque chose qu’ils n’aiment pas. Commençons par la fin, pour nous réjouir,
puisque le mot qui recueille le moins d’avis favorables est « État
Providence » (26 %). En revanche, des mots que l’on pourrait
associer à l’État Providence sont jugés très positivement. C’est le cas de
« services publics » (72 %) ou de « solidarité »
(89 %).
Ainsi, quand on demande aux Français s’ils souhaitent que certaines
activités soient assurées par le secteur public ou par le secteur privé, ils
répondent « par le secteur public » pour les sept activités proposées,
de la santé (83 %) au ramassage des ordures ménagères (69 %), en
passant par l’éducation (79 %), les lieux et activités culturels et de
loisir (79 %), la gestion de l’eau (75 %), les transports en commun
(73 %) ou encore la distribution du courrier (70 %).
Comme le dit Nicolas Lecaussin dans
« L’obsession antilibérale française » (voir mon article), l’école donne
une vue tellement partielle et partiale de l’économie que les Français en
sont ignorants. Ainsi ne leur vient-il pas à l’idée que la solidarité peut
s’exercer par la société civile sans l’aide de l’État, ni que les services
publics peuvent être assurés par des entreprises privées ou des associations.
Ni même que cela existe déjà largement, beaucoup de ces « services
publics » étant délégués, en partie ou totalement, au secteur privé.
Ignorance encore s’agissant du « capitalisme » qui est le
deuxième mot le plus honnis par les sondés avec 32 % d’opinions
favorables. Le « libéralisme » fait mieux avec 57 %. Mais
surtout nombre de mots associés au libéralisme réalisent des scores étonnamment
élevés : « initiative » (96 %), « autonomie »
(96 %), « responsabilité » (94 %), « mérite »
(93 %), « effort » (90 %), « entreprise »
(87 %), « concurrence » (72 %), même « économie de
marché » recueille 53 % d’avis positifs.
C’est ainsi que, parmi les trois mots de la devise républicaine,
« liberté » est le plus apprécié avec 48 % (contre 42 %
lors du précédent sondage en 1999), devant « égalité » (34 %
contre 29 % en 1999). Les Français sont donc davantage favorables à la
liberté aujourd’hui qu’il y a quinze ans, mais ils sont également davantage
partisans d’égalité.
Alors, est-ce par adhésion au libéralisme ou par désir d’égalité que
les sondés souhaitent à 68 % que le statut des fonctionnaires soit
aligné sur celui du privé ? Un pourcentage qui n’est plus que de
36 % chez les salariés du public qui défendent leurs avantages.
De même, 65 % des Français se disent favorables à la création
d’un contrat de travail unique, remplaçant toutes les formes existantes de
contrats (CDI, CDD, contrats aidés…) pour simplifier le droit du travail. Un
chiffre qui atteint 66 % chez les salariés du public qui, probablement,
ne se sentent pas concernés, et qui n’est que de 52 % chez ceux du
privé, quelque peu frileux à imaginer le CDI disparaître.
On le voit donc, les choses ne sont pas tranchées. Les solutions
libérales – qui ont pourtant fait leur preuve dans de nombreux pays – ne sont
pas a priori rejetées, car ce sont
souvent des mesures de bon sens, mais l’on ne souhaite pas qu’elles puissent
remettre en cause ses propres avantages, même s’ils sont néfastes pour
l’ensemble de la société.
Cela donne en tout cas une piste pour les politiques qui voudraient
réformer la France : s’attaquer à plusieurs problèmes à la fois. Je
m’explique. À supposer que le contrat de travail unique soit une bonne mesure
– personnellement, partisan de la liberté de contracter, je pencherai plutôt
pour autant de types de contrats de travail qu’il y a de salariés – il
faudrait que sa mise en place soit concomitante à la suppression du statut de
la Fonction publique. Salariés du privé et du public pourraient se liguer
contre la réforme. C’est un risque. Mais on peut aussi envisager que les uns
soient plus enclins à accepter la réforme s’ils ne sont pas les seuls concernés.
Privilèges des uns contre prébendes des autres, c’est à tenter !
Mais arrêtons là les rêveries, car, à ce jour, aucun homme politique
ne souhaite engager des réformes d’inspiration libérale.
Pour terminer, arrêtons-nous sur le chiffre le plus effrayant du
sondage : 55 % des sondés estiment que l’État devrait intervenir
davantage en matière économique, un taux qui atteint 64 % chez les
travailleurs indépendants et les employeurs.
Oui, vous avez bien lu. C’est ce que confirme la 36ème
édition de l’Observatoire de la performance des PME/ETI réalisé par Opinionway et Banque Palatine. Dans ce sondage, si
63 % des dirigeants interrogés pensent que les pouvoirs publics interviennent
trop dans l’économie, ils sont aussi 58 % à affirmer que l’État doit
soutenir financièrement les entreprises. Cinquante-six pourcent estiment que
l’État doit avoir un droit de regard sur l’acquisition d’entreprises
françaises par des étrangers. Et ils sont encore 45 % à affirmer que
l’État devrait renforcer son action de protection sociale (assurances contre
les aléas de la vie : chômage, maladie, invalidité…).
Les chefs d’entreprise – du moins ceux qui ont été interrogés –
seraient donc, en réalité, les Docteur Jekyll et Mister Hyde de l’interventionnisme étatique.
Alors oui, les idées de liberté progressent chez les Français, mais la
tentation de l’étatisme n’est jamais bien loin (voir mon article de décembre
2013). Y compris chez ceux qui ont le plus à gagner d’un environnement
favorable à l’initiative privée : les entrepreneurs.
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