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Les frères Hunt ou ce qui se passe si on demande la livraison de son argent

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Publié le 17 mars 2010
2083 mots - Temps de lecture : 5 - 8 minutes
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Rubrique : Or et Argent


Un milliard de dollars, ce n’est plus ce que c’était!”


Déclaration faite par Bunker Hunt le dimanche après le « jeudi noir », alors qu’il faisait face à un appel de marge significatif de la part d’Engelhard.





Si vous voulez savoir ce qui arrive quand des détenteurs de positions longues multiples exigent simultanément la livraison physique d’une matière première, il suffit de lire la saga des frères Hunt dans le commerce de l’argent dans les années 1979-1980.


Ils n’ont rien fait d’illégal, le comité de direction du Commerce de Chicago (CBOT) et le COMEX a changé les règles en cours de route, la Commission de négoce des futures a introduit de  nouvelles réglementation et les Hunt se sont retrouvés en faillite, injustement.


Et leur seul tort fut d’exiger la livraison du métal physique pour lequel ils détenaient des contrats parfaitement légaux et valides. Les vendeurs à découvert étaient incapables de faire face à la demande, et à n’importe quel cours, parce qu’il n’existait tout simplement pas assez d’argent, - de métal -,  livrable – un cas classique de corner suivi d’une panique à l’achat.


Voici leur histoire.


Conjointement à de riches investisseurs partenaires d’Arabie Saoudite, les Frères Hunt, Bunker et Herbert, ont amassé une quantité légendaire d’argent [métal] qui se finançait d’elle-même. En effet, les cours à la hausse leur faisaient générer des profits importants alors qu’ils continuaient à acheter à la marge sur les marchés mondiaux.

Ils commencèrent en 1973 et poursuivirent en 1974, en achetant progressivement des contrats de futures sur l’argent métal totalisant près de 55 millions d’onces dont ils prirent livraison physique. Comme Bunker se s’inquiétait du risque d’inflation et de confiscation potentiel des métaux précieux à la suite de la fermeture du « guichet de l’or »  par Nixon, il a arrangé le transfert des lingots en Suisse.


Larry LaBorde synthétise parfaitement leur histoire :



« Entre temps, au ranch, le beau-frère nommé Kreiling et le frère de ce dernier, Tilmon, ont organisé un concours de tir parmi les cowboys pour sélectionner les meilleurs tireurs. La douzaine de tireurs retenus reçut la mission spéciale était de convoyer le plus gros transfert d’argent de l’histoire.


Armes au poing, les cowboys s’envolèrent pour Chicago et New York, et là, trois 707 spécialement affrétés les attendaient. 40 millions d’onces d’argent furent déchargées du convoi de camions blindés et chargées à bord des 707 en plein milieu de la nuit. Les avions s’envolèrent immédiatement pour Zürich.


Là, un autre convoi de blindés les attendait et les 40 millions d’onces furent déchargées sous les yeux attentifs des cowboys du cercle K et furent dispersées sur six lieux de stockage en Suisse. Coût du mouvement? 200,000 dollars. Coût de stockage des 40 millions d’onces en Suisse et des 15 millions d’onces aux USA? Trois millions de dollars ». (tiré de "H.L. Hunt's Boys and the Circle K Cowboys", 26 janvier 2004).



La connexion arabe

Puis, en 1978, un changement de taille se produisit. John Connally, ancien gouverneur du Texas, présenta Bunker à un scheik saoudien à l’Hôtel Mayflower à Washington. Le Scheik Khalid bin Mahfouz séjournait dans le même hôtel que Bunker et John Connally et ils se réunirent dans la suite de Mahfouz –ce dernier avait loué l’étage entier- et qui était gardée par 30 ou 40 gardes du corps. Le but était d’introduire les Hunts auprès de ces scheiks arabes et permettre au deux frères de vanter l’attrait d’un investissement dans l’argent  et de les inciter à coordonner leurs achats.


Khalid bin Mahfouz se montra intéressé, mais en raison de ses liens avec la famille royale saoudienne, les princes héritiers Fahd et Abdhullah et parce que le plan impliquait une augmentation potentielle de l’argent comme actif de réserve par l’Autorité monétaire saoudienne, bin Mahfouz voulait rester discret. Et puis le 15 juillet 1979, la société fut créée officiellement et son siège social établi aux Bermudes sous le nom de International Metals Investement Company, IMIC. Son propos était d’investir dans les métaux précieux.


Les 4 actionnaires égaux étaient Nelson Bunker Hunt, W. Herbert Hunt, et deux financiers désignés par l’Arabie Saoudite, Ali bin Mussalem et Mohammed Aboud al-Amoudi.  L’accumulation de l’argent aurait donc lieu avant tout par l’intermédiaire de l’IMIC et deux autres financiers bien introduits, le libanais Naji Nahas et le Palestinien Mahmoud Fustok.

 


La phase d’accumulation

Le 1er aout 1979, un nouveau nom apparaissait sur les rapports journaliers de la CFTC concernant les acheteurs d’argent. Le nouvel acteur était International Metals Investment Company au travers d’un compte ouvert dans une succursale de Merril Lynch de Dallas par Herbert Hunt sept jours auparavant. D’autres syndicats d’achat incluant entre autre Naji Nahas et la Banque Populaire Suisse avec beaucoup d’argent derrière eux entrèrent sur le marché de l’argent la première semaine d’août sans être remarqués.

Pendant toute cette période, plus de 43 millions d’onces de contrats sur l’argent furent achetés sur le COMEX et le CBOT avec livraison prévue en automne. A l’automne 1979, le cours de l’argent avait doublé et était passé de 8$ l’once à 16$ en deux mois seulement.


Le COMEX et le CBOT (Chicago Board of Trade) commencèrent à paniquer. Les deux entrepôts des deux marchés ne détenaient que 120 millions d’onces d’argent, l’équivalent du montant potentiellement livrable  pour le seul mois d’octobre. Et de nombreux acheteurs, y compris les Hunts avec leur IMIC,  demandaient la livraison du métal qu’ils avaient acheté au lieu de reporter leur position sur le marché à terme.


Aussi déroutante que la hausse du cours puisse être, le plus inquiétant pour les autorités était de savoir qui se cachait derrière l’IMIC puisque la CFTC n’avait qu’un numéro de boite postale à Hamilton, aux Bermudes comme identité.

Les Hunts continuèrent à accumuler de l’argent pendant toute l’année 1979.


De nouveau tiré de Larry LaBorde :


“A la fin de 1979, le CBOT changea les règles du jeu et institua la règle selon laquelle aucun investisseur ne pourrait détenir plus de 3 millions d’onces d’argent de contrats et par ailleurs, les marges exigées furent relevées.


Tous les contrats au dessus de 3 millions devraient être liquidés d’ici à février 1980. Bunker a accusé les membres directeurs du COMEX et du CBOT d’avoir un intérêt financier personnel dans les marchés de l’argent. Les enquêtes montrèrent que nombre d’entre eux détenaient effectivement des positions vendeuses  sur l’argent.


Bunker savait maintenant avec certitude que la pénurie d’argent existait sinon ces mesures n’auraient pas été prises. Il acheta davantage d’argent. Le cours fin 1979 était de 34,45$ l’once. A ce moment-là, Bunker et Herbert détenaient 40 millions d’onces en Suisse et 90 millions en lingots achetées conjointement avec lMIC. En plus de tout cela, IMIC avait 90 millions de contrats dont la livraison était prévue en mars  par le COMEX, ce qui porte le total à 235 millions d’onces. Le plus jeune frère, Lamar, était entré dans l’arène et avait pris  une position de 300 millions de dollars soit 10 millions d’onces fin 1979.



Changement des règles du jeu


Début janvier, il devint évident que le COMEX pensait à changer les règles du jeu. Et finalement, le 7 janvier 1980, le COMEX modifia effectivement ses règles et annonçait qu’il ne permettait plus que des positions inférieures à 10 millions d’onces par trader et que tous les contrats au dessus de ce montant devaient être liquidés avant le 18 février.


Bien sûr, le CFTC suivit.


La seule solution pour les gros joueurs comme les Hunts et quelques autres détenant des positions longues était de convertir leurs contrats « futures » en contrats physiques et de louer le physique à l’étranger en échange d’un taux d’intérêt.  A ce moment là, la position des Hunts était de 4,5 milliards de dollars et leurs profits de 3,5 milliards. Le graphique ci-dessus illustre le grand pic de l’argent début 1980.


Le « pic de l’argent »






Le 21 janvier, le COMEX annonçait qu’il suspendait le commerce de l’argent et qu’il n’accepterait que les ordres de liquidation. Le marché s’arrêta et, parce que, seuls les ordres de liquidation étaient honorés, le cours de l’argent tomba  de 10 $ par once et se stabilisa autour de 39$ l’once jusqu’à fin janvier.


De longues files se formèrent  devant les boutiques des négociants de métal pour vendre de l’argenterie et autres pièces d’argent de famille.


Début février, le Groupe Hunt prit livraison physique de 26 millions d’onces supplémentaires à Chicago. La société de Hunt North Sea oil se développait, il y eut  même des discussions à propos d’une OPA sur Texaco Oil.  Bunker Hunt parlementait aussi avec d’autres dirigeants du Moyen Orient pour mettre en place un autre groupe d’achat d’argent.


Toujours optimiste, Bunker croyait fermement qu’il pourrait maintenir le pic de l’argent s’il avait des acheteurs nouveaux et coopérants. Tiré de Larry LaBorde :


« Le 14 mars, l’argent avait chuté à 21 $ l’once, Paul Volcker avait relevé les taux d’intérêts et le dollar s’était redressé. International Metals détenait encore 60 millions d’onces de contrats de futures. Leur appel de marge  sur ces contrats était de 10 millions de dollars par jour ! Bunker pensait toujours que le cours pourrait remonter si seulement il pouvait convaincre d’autres personnes d’acheter. Il circula dans toute l’Europe pour trouver un partenaire acheteur mais plus le cours baissait et plus il était difficile d’emprunter des fonds sur la base de l’argent qu’il détenait pour en racheter afin de consolider son cours.


La relation de courtage des Hunts à New York et à Londres, Bache Halsey Stuart Shields envoya un appel de marge de 100 millions de dollars le 26 mars 1980. Comme les Hunts avaient acheté de vastes quantités d’actions Bache (plus de 5% des actions émises), ils étaient en fait des « initiés » techniquement parlant et devaient adhérer aux règles de vente fractionnaires de leurs actions permises mensuellement. Leur stock d’actions Bache n’étant liquide et le cours de l’argent en chute libre, les frères Hunts allaient être à cours de liquidités. Bunker était à Paris ce jour-là et il appela Herbert et lui dit simplement : « ferme le compte ».


Herbert dit à son courtier le lendemain qu’ils ne pourraient pas payer leurs 135 millions d’appel de marge.


Les courtiers des Hunts vendirent pour 100 millions de dollars d’argent ce jour-là. Leur compte n’indiquait plus que 90 millions d’actifs et ils s’attendaient à tout perdre le lendemain. Le Président du CFTC, le Président de la Réserve Fédérale et le Secrétaire d’Etat au Trésor commencèrent à suivre le marché de l’argent de manière permanente.


La direction du cours de l’argent causait  des sursauts sur tout le marché boursier et affectait négativement la réputation des sociétés de courtage et de négoce dans les matières premières. Wall Street était sur la sellette.



Le Jeudi de l’argent


Le 27 mars (le jeudi de l’argent), l’argent ouvrit à 15,80$ et clotura à 10.80$. Le marché des actions s’effondra sur la rumeur que les Hunts liquidaient leurs actions pour couvrir leurs pertes sur l’argent, mais in fine le marché ferma ce jour là à peu près au même niveau. Les achats de lingots des Hunts étaient tous aux environ de 10$ l’once mais leurs achats de futures avaient eu lieu autour de 35$ l’once.


Une fois la partie terminée, les Hunts devaient à peu près 1,5 milliards de dollars.


Craignant un désastre financier, le Président de la Réserve Fédérale Paul Volcker donna son accord pour un plan de sauvetage pour les frères Hunts et un groupe de banques leur accorda un prêt  de 1,1 milliards de dollars, la famille donnant 8 milliards de garanties. A la fin de l’histoire, l’ainée des sœurs, Margaret tapa du pied et exigea de Bunker une explication de ce qu’il avait essayé d’accomplir sur le marché de l’argent. Bunker répondit « qu’il était seulement en train d’essayer de faire des profits ».


Nelson Bunker dut se déclarer en faillite personnelle en septembre 1988. Il sortit de la faillite un an plus tard avec 5 à 10 millions de dollars et une dette envers le Trésor Public de 90 millions de dollars à régler en 15 ans.


Dans un procès avec l’ US Commodity Futures Trading Commission, Nelson Bunker Hunt a également été condamné à 10 millions de $ d’amende et banni du commerce des matières premières en raison d’une accusation de conspiration pour manipuler le marché de l’argent. Les Trusts de Bunker, mis en place par son père H.L. Hunt étaient évalués à 200 millions de dollar environ. Leur arriéré fiscal fut totalement réglé en 2003.



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