“Un milliard de dollars, ce n’est plus ce que
c’était!”
Déclaration
faite par Bunker Hunt le dimanche après le « jeudi
noir », alors qu’il faisait face à un appel de marge
significatif de la part d’Engelhard.
Si vous voulez
savoir ce qui arrive quand des détenteurs de positions longues
multiples exigent simultanément la livraison physique
d’une matière première, il suffit de lire la saga des
frères Hunt dans le commerce de l’argent dans les années
1979-1980.
Ils n’ont
rien fait d’illégal, le comité de direction du Commerce
de Chicago (CBOT) et le COMEX a changé les règles en cours de
route, la Commission de négoce des futures a introduit de nouvelles réglementation et les
Hunt se sont retrouvés en faillite, injustement.
Et leur seul
tort fut d’exiger la livraison du métal physique pour lequel ils
détenaient des contrats parfaitement légaux et valides. Les
vendeurs à découvert étaient incapables de faire face
à la demande, et à n’importe quel cours, parce
qu’il n’existait tout simplement pas assez d’argent, - de
métal -, livrable –
un cas classique de corner suivi d’une panique à
l’achat.
Voici
leur histoire.
Conjointement
à de riches investisseurs partenaires d’Arabie Saoudite, les
Frères Hunt, Bunker et Herbert, ont amassé une quantité
légendaire d’argent [métal] qui se finançait
d’elle-même. En effet, les cours à la hausse leur
faisaient générer des profits importants alors qu’ils
continuaient à acheter à la marge sur les marchés
mondiaux.
Ils commencèrent en 1973 et poursuivirent en 1974, en achetant
progressivement des contrats de futures sur l’argent métal
totalisant près de 55 millions d’onces dont ils prirent
livraison physique. Comme Bunker se s’inquiétait du risque
d’inflation et de confiscation potentiel des métaux
précieux à la suite de la fermeture du « guichet de
l’or » par
Nixon, il a arrangé le transfert des lingots en Suisse.
Larry LaBorde synthétise parfaitement leur
histoire :
« Entre temps, au ranch, le beau-frère nommé Kreiling et le frère de ce dernier, Tilmon, ont organisé un concours de tir parmi les
cowboys pour sélectionner les meilleurs tireurs. La douzaine de
tireurs retenus reçut la mission spéciale était de
convoyer le plus gros transfert d’argent de l’histoire.
Armes au poing, les cowboys s’envolèrent pour Chicago et
New York, et là, trois 707 spécialement affrétés
les attendaient. 40 millions d’onces d’argent furent
déchargées du convoi de camions blindés et
chargées à bord des 707 en plein milieu de la nuit. Les avions
s’envolèrent immédiatement pour Zürich.
Là, un autre convoi de blindés les attendait et les 40
millions d’onces furent déchargées sous les yeux
attentifs des cowboys du cercle K et furent dispersées sur six lieux
de stockage en Suisse. Coût du mouvement? 200,000 dollars. Coût
de stockage des 40 millions d’onces en Suisse et des 15 millions
d’onces aux USA? Trois millions de dollars ». (tiré
de "H.L. Hunt's Boys and the Circle K Cowboys", 26 janvier 2004).
La
connexion arabe
Puis, en 1978, un changement de taille se produisit. John Connally,
ancien gouverneur du Texas, présenta Bunker à un scheik
saoudien à l’Hôtel Mayflower
à Washington. Le Scheik Khalid bin Mahfouz séjournait dans le
même hôtel que Bunker et John Connally
et ils se réunirent dans la suite de Mahfouz –ce dernier avait
loué l’étage entier- et qui était gardée
par 30 ou 40 gardes du corps. Le but était d’introduire les Hunts auprès de ces scheiks arabes et permettre au
deux frères de vanter l’attrait d’un investissement dans
l’argent et de les inciter
à coordonner leurs achats.
Khalid
bin Mahfouz se montra intéressé, mais en raison de ses liens
avec la famille royale saoudienne, les princes héritiers Fahd et Abdhullah et parce que le plan impliquait une
augmentation potentielle de l’argent comme actif de réserve par
l’Autorité monétaire saoudienne, bin Mahfouz voulait
rester discret. Et puis le 15 juillet 1979, la
société fut créée officiellement et son
siège social établi aux Bermudes sous le nom de International Metals Investement Company, IMIC. Son propos était d’investir
dans les métaux précieux.
Les 4 actionnaires
égaux étaient Nelson Bunker Hunt, W. Herbert Hunt, et deux
financiers désignés par l’Arabie Saoudite, Ali bin Mussalem et Mohammed Aboud al-Amoudi.
L’accumulation de l’argent aurait donc lieu avant tout par
l’intermédiaire de l’IMIC et deux autres financiers bien
introduits, le libanais Naji Nahas et le
Palestinien Mahmoud Fustok.
La
phase d’accumulation
Le 1er aout 1979, un nouveau nom apparaissait sur les rapports journaliers de
la CFTC concernant les acheteurs d’argent. Le nouvel acteur
était International Metals Investment Company au travers
d’un compte ouvert dans une succursale de Merril
Lynch de Dallas par Herbert Hunt sept jours auparavant. D’autres
syndicats d’achat incluant entre autre Naji Nahas
et la Banque Populaire Suisse avec beaucoup d’argent derrière eux
entrèrent sur le marché de l’argent la première
semaine d’août sans être remarqués.
Pendant toute cette période, plus de 43 millions d’onces de
contrats sur l’argent furent achetés sur le COMEX et le CBOT
avec livraison prévue en automne. A l’automne 1979, le cours de
l’argent avait doublé et était passé de 8$
l’once à 16$ en deux mois seulement.
Le
COMEX et le CBOT (Chicago Board of Trade)
commencèrent à paniquer. Les deux entrepôts des deux
marchés ne détenaient que 120 millions d’onces
d’argent, l’équivalent du montant potentiellement
livrable pour le seul mois
d’octobre. Et de nombreux acheteurs, y compris les Hunts
avec leur IMIC, demandaient la
livraison du métal qu’ils avaient acheté au lieu de
reporter leur position sur le marché à terme.
Aussi
déroutante que la hausse du cours puisse être, le plus
inquiétant pour les autorités était de savoir qui se
cachait derrière l’IMIC puisque la CFTC n’avait
qu’un numéro de boite postale à Hamilton, aux Bermudes
comme identité.
Les Hunts continuèrent à accumuler de
l’argent pendant toute l’année 1979.
De
nouveau tiré de Larry LaBorde :
“A
la fin de 1979, le CBOT changea les règles du jeu et institua la
règle selon laquelle aucun investisseur ne pourrait détenir
plus de 3 millions d’onces d’argent de contrats et par ailleurs,
les marges exigées furent relevées.
Tous
les contrats au dessus de 3 millions devraient
être liquidés d’ici à février 1980. Bunker a
accusé les membres directeurs du COMEX et du CBOT d’avoir un
intérêt financier personnel dans les marchés de
l’argent. Les enquêtes montrèrent que nombre d’entre
eux détenaient effectivement des positions vendeuses sur l’argent.
Bunker
savait maintenant avec certitude que la pénurie d’argent
existait sinon ces mesures n’auraient pas été prises. Il
acheta davantage d’argent. Le cours fin 1979 était de 34,45$
l’once. A ce moment-là, Bunker et Herbert détenaient 40
millions d’onces en Suisse et 90 millions en lingots achetées
conjointement avec lMIC. En plus de tout cela, IMIC
avait 90 millions de contrats dont la livraison était prévue en
mars par le COMEX, ce qui porte
le total à 235 millions d’onces. Le plus jeune frère,
Lamar, était entré dans l’arène et avait pris une position de 300 millions de
dollars soit 10 millions d’onces fin 1979.
Changement
des règles du jeu
Début janvier, il
devint évident que le COMEX pensait à changer les règles
du jeu. Et finalement, le 7 janvier 1980, le COMEX modifia effectivement ses
règles et annonçait qu’il ne permettait plus que des positions
inférieures à 10 millions d’onces par trader et que tous
les contrats au dessus de ce montant devaient
être liquidés avant le 18 février.
Bien sûr, le CFTC
suivit.
La seule solution pour
les gros joueurs comme les Hunts et quelques autres
détenant des positions longues était de convertir leurs
contrats « futures » en contrats physiques et de louer
le physique à l’étranger en échange d’un
taux d’intérêt.
A ce moment là, la position des Hunts était de 4,5 milliards de dollars et leurs
profits de 3,5 milliards. Le graphique ci-dessus illustre le grand pic de
l’argent début 1980.
Le
« pic de l’argent »
Le 21
janvier, le COMEX annonçait qu’il suspendait le commerce de
l’argent et qu’il n’accepterait que les ordres de
liquidation. Le marché s’arrêta et, parce que, seuls les
ordres de liquidation étaient honorés, le cours de
l’argent tomba de 10 $ par
once et se stabilisa autour de 39$ l’once jusqu’à fin
janvier.
De
longues files se formèrent
devant les boutiques des négociants de métal pour vendre
de l’argenterie et autres pièces d’argent de famille.
Début février, le Groupe Hunt prit
livraison physique de 26 millions d’onces supplémentaires
à Chicago. La société de Hunt North Sea oil
se développait, il y eut
même des discussions à propos d’une OPA sur Texaco Oil. Bunker
Hunt parlementait aussi avec d’autres dirigeants du Moyen Orient pour
mettre en place un autre groupe d’achat d’argent.
Toujours
optimiste, Bunker croyait fermement qu’il pourrait maintenir le pic de
l’argent s’il avait des acheteurs nouveaux et coopérants.
Tiré de Larry LaBorde :
« Le 14 mars,
l’argent avait chuté à 21 $ l’once, Paul Volcker avait relevé les taux
d’intérêts et le dollar s’était
redressé. International Metals
détenait encore 60 millions d’onces de contrats de futures. Leur
appel de marge sur ces contrats
était de 10 millions de dollars par jour ! Bunker pensait toujours
que le cours pourrait remonter si seulement il pouvait convaincre
d’autres personnes d’acheter. Il circula dans toute
l’Europe pour trouver un partenaire acheteur mais plus le cours
baissait et plus il était difficile d’emprunter des fonds sur la
base de l’argent qu’il détenait pour en racheter afin de
consolider son cours.
La
relation de courtage des Hunts à New York et
à Londres, Bache Halsey
Stuart Shields envoya un appel de marge de 100
millions de dollars le 26 mars 1980. Comme les Hunts
avaient acheté de vastes quantités d’actions Bache (plus de 5% des actions émises), ils
étaient en fait des « initiés »
techniquement parlant et devaient adhérer aux règles de vente
fractionnaires de leurs actions permises mensuellement. Leur stock
d’actions Bache n’étant liquide
et le cours de l’argent en chute libre, les frères Hunts allaient être à cours de
liquidités. Bunker était à Paris ce jour-là et il
appela Herbert et lui dit simplement : « ferme le
compte ».
Herbert
dit à son courtier le lendemain qu’ils ne pourraient pas payer
leurs 135 millions d’appel de marge.
Les
courtiers des Hunts vendirent pour 100 millions de
dollars d’argent ce jour-là. Leur compte n’indiquait plus
que 90 millions d’actifs et ils s’attendaient à tout
perdre le lendemain. Le Président du CFTC, le Président de la
Réserve Fédérale et le Secrétaire d’Etat au
Trésor commencèrent à suivre le marché de
l’argent de manière permanente.
La
direction du cours de l’argent causait des sursauts sur tout le marché
boursier et affectait négativement la réputation des
sociétés de courtage et de négoce dans les
matières premières. Wall Street était sur la sellette.
Le
Jeudi de l’argent
Le
27 mars (le jeudi de l’argent), l’argent ouvrit à 15,80$
et clotura à 10.80$. Le marché des
actions s’effondra sur la rumeur que les Hunts
liquidaient leurs actions pour couvrir leurs pertes sur l’argent, mais
in fine le marché ferma ce jour là
à peu près au même niveau. Les achats de lingots des Hunts étaient tous aux environ de 10$ l’once
mais leurs achats de futures avaient eu lieu autour de 35$ l’once.
Une
fois la partie terminée, les Hunts devaient
à peu près 1,5 milliards de dollars.
Craignant
un désastre financier, le Président de la Réserve
Fédérale Paul Volcker donna son accord
pour un plan de sauvetage pour les frères Hunts
et un groupe de banques leur accorda un prêt de 1,1 milliards de dollars, la
famille donnant 8 milliards de garanties. A la fin de l’histoire,
l’ainée des sœurs, Margaret tapa du pied et exigea de Bunker
une explication de ce qu’il avait essayé d’accomplir sur
le marché de l’argent. Bunker répondit
« qu’il était seulement en train d’essayer de
faire des profits ».
Nelson Bunker dut se
déclarer en faillite personnelle en septembre 1988. Il sortit de la
faillite un an plus tard avec 5 à 10 millions de dollars et une dette
envers le Trésor Public de 90 millions de dollars à
régler en 15 ans.
Dans un procès
avec l’ US Commodity
Futures Trading Commission, Nelson Bunker Hunt a
également été condamné à 10 millions de $
d’amende et banni du commerce des matières premières en
raison d’une accusation de conspiration pour manipuler le marché
de l’argent. Les Trusts de Bunker, mis en place par son père
H.L. Hunt étaient évalués à 200 millions de
dollar environ. Leur arriéré fiscal fut totalement
réglé en 2003.
Histoire de l’argent
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