Même
dans les « pays riches », de plus en plus de gens « refusent
de continuer de tolérer le statu quo ».
Alors que les élites du monde se
rendent à Davos pour se côtoyer à l’occasion du Forum économique mondial,
Oxfam vient de publier un rapport introduit ainsi :
Ce rapport détaillera la manière
dont les grosses entreprises et les super-riches alimentent la crise d’inégalité
en ne payant pas les impôts qu’ils doivent, en influençant les salaires à la
baisse et en usant de leur pouvoir pour influencer la politique. La manière
dont nous gérons l’économie nécessite des changements fondamentaux afin que
le système puisse fonctionner pour tous, et non pas seulement pour un petit
groupe de privilégiés.
Le rapport Oxfam de l’année
dernière stipulait que 62 personnes possédaient autant de richesses que la
moitié la plus pauvre de la population du monde. Mais cette année, plus de
données sont devenues disponibles. Si elles l’avaient été en 2015, nous
aurions pu voir que neuf personnes possédaient autant que la moitié la plus
pauvre de la population du monde. Aujourd’hui, ils ne sont plus que huit :
- Bill Gates
- Amancio Ortega
- Warren Buffett
- Carlos Slim
- Jeff Bezos
- Mark
Zuckerberg
- Larry Ellison
- Michael
Bloomberg.
Voici ce qu’indique le rapport
ensuite :
Il est obscène que tant de
capital se concentre entre les mains de si peu, à une heure où une personne
sur dix doit survivre avec moins de deux dollars par jour. L’inégalité
condamne des millions de personnes à une vie de pauvreté ; elle fracture
nos sociétés et mine la démocratie.
Au travers de la planète, des
gens se retrouvent laissés pour compte. Leurs salaires stagnent, et pourtant,
les directeurs de corporations empochent des millions de dollars de bonus.
Leurs services de santé et d’éducation se détériorent alors que les
super-riches ne paient pas leurs impôts. Leurs voix sont ignorées alors que
les gouvernements chantent au diapason des grosses entreprises et des élites.
Comme vous pourrez le voir à la
page 48 du rapport (PDF), Oxfam se penche sur les inégalités et sur leurs
causes. Il y a quatre ans, selon le rapport, le Forum économique mondial a
identifié la hausse des inégalités économiques comme l’une des plus grandes
menaces pour la stabilité, et l’élite globale a poussé un soupir moralisateur
commun et promis de remédier au problème. Et pourtant, depuis lors, « l’écart
entre les riches et tous les autres s’est encore élargi ».
Voici les grandes lignes du
rapport :
- Depuis 2015,
les 1% les plus riches de la planète ont possédé plus de richesses que
le reste du monde.
- Huit hommes
détiennent aujourd’hui autant de richesses que la moitié la plus pauvre
de la population du monde.
- Au cours de
ces vingt prochaines années, 500 personnes laisseront plus de 2,1
trillions de dollars à leurs héritiers – une somme plus importante que
le PIB de l’Inde, un pays d’1,3 milliard d’habitants.
- Les revenus
des 10% les plus pauvres ont gagné moins de 3% par an entre 1988 et
2011, alors que ceux des 1% les plus riches ont gagné 182 fois plus.
- Aux
Etats-Unis, les récentes recherches de l’économiste Thomas Piketty
montrent qu’au cours de ces trente dernières années, la croissance des
revenus de la moitié la plus pauvre a été de zéro, alors que celle des
revenus des 1% les plus riches a été de 300%.
Même dans les « pays riches »,
les inégalités sont la cause de beaucoup de frustrations, et de plus en plus
de gens « refusent de continuer de tolérer le statu quo ». Et pourquoi
le devraient-ils, lorsque l’expérience suggère que tout ce qu’il apporte est
une stagnation des salaires, une insécurité de l’emploi et un écart croissant
entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien ?
Oxfam a déterminé sept causes
des inégalités.
1. Les
corporations, au service de ceux qui se trouvent au sommet de la société
Ensemble, les
dix plus grosses corporations du monde ont des revenus plus importants que
les revenus gouvernementaux de 180 pays combinés.
Les entreprises sont l’élément
vital d’une économie de marché (et ont un important rôle à jouer). Afin de
livrer des rendements à ceux qui se trouvent au sommet, les corporations doivent
prendre toujours plus à leurs employés et à leurs producteurs – et afin d’éviter
de verser des impôts qui bénéficieraient à tous, notamment aux plus pauvres.
2. Les
employés et les producteurs sont écrasés
Alors que de nombreux
directeurs, souvent rémunérés en actions, voient leurs revenus flamber, les
salaires des employés et producteurs ordinaires sont en stagnation, et vont
parfois jusqu’à décliner.
Partout dans le monde, les
corporations écrasent le coût du travail – et s’assurent à ce que les
employés et les producteurs de leur chaîne de production obtiennent une part
de plus en plus petite du gâteau économique. En conséquence, l’inégalité
augmente et la demande se retrouve supprimée.
3. Les
évasions fiscales
Les corporations augmentent
leurs profits en partie en payant aussi peu d’impôts que possible. Elles le
font en ayant recours aux paradis fiscaux ou en forçant les pays à entrer en
compétition pour leur offrir des exemptions fiscales ou des taux moindres.
Les taxes d’entreprise sont en déclin tout autour du monde, ce qui assure –
avec les évasions fiscales – le déclin des recettes fiscales en provenance
des corporations.
Pourquoi les corporations
adoptent-elles un tel comportement ? Deux raisons : elles se
concentrent sur les revenus de court terme de leurs actionnaires, et le
capitalisme de copinage se propage.
4. Un
capitalisme lourdement favorable aux actionnaires
Maximiser les rendements des
actionnaires ne signifie pas seulement maximiser les profits de court terme,
mais aussi verser une part toujours plus importante de ces profits à ceux qui
possèdent les corporations. Au Royaume-Uni, 10% des profits ont été rendus
aux actionnaires en 1970. Ce pourcentage s’élève aujourd’hui à 70% - une
situation que beaucoup ont critiquée, notamment Larry Fink, directeur de Blackrock,
et Andrew Haldane, économiste en chef à la Banque d’Angleterre.
Les rendements accrus versés aux
actionnaires fonctionnent pour les riches, parce qu’une majorité des
actionnaires appartiennent au sommet de la société. Ainsi, les inégalités se
développent.
Chaque dollar de profit versé
aux actionnaires des corporations est un dollar qui aurait pu être dépensé
pour rémunérer des producteurs ou des travailleurs, pour verser des impôts,
ou pour financer infrastructures et innovations.
5. Le
capitalisme de copinage
Les corporations
de nombreux secteurs – finance, industries extractives, prêt-à-porter,
médicaments, et autres – ont recours à leur pouvoir et à leur influence pour
s’assurer à ce que les régulations et les politiques internationales soient
établies de manière à favoriser leur profitabilité.
Même le secteur technologique,
autrefois perçu comme un secteur relativement honnête, est de plus en plus
lié à des accusations de copinage. Alphabet, la société parente de Google,
est devenue l’un des plus gros lobbyistes de Washington, et est constamment
en négociations avec l’Europe au regard de ses régulations fiscales et
anti-trust.
Le capitalisme de copinage
bénéficie aux riches, à ceux qui possèdent et gouvernent ces corporations,
aux dépends du bien commun et du combat contre la pauvreté. Cela signifie que
les plus petites entreprises ne parviennent plus à rivaliser avec les plus
grosses, et que les gens ordinaires paient toujours plus pour leurs biens et
services en raison du pouvoir de monopole des corporations et de leurs
connexions avec les gouvernements.
6. Le
rôle des super-riches dans la crise de l’inégalité
Les 1.810 milliardaires cités
dans la liste Forbes 2016, dont 89% sont des hommes, possèdent ensemble 6,5
trillions de dollars – autant que les 70% les moins riches de l’humanité.
Alors que certains doivent majoritairement leur fortune à leur dur labeur et
à leur talent, l’analyse d’Oxfam explique qu’un tiers du capital des
milliardaires du monde est dérivé d’héritages, alors que 43% sont dérivés du
copinage.
Une fois qu’une fortune est
accumulée ou acquise, elle développe sa propre dynamique. Les super-riches
ont de l’argent à dépenser en conseils d’investissement, et le capital possédé
par les super-riches a augmenté en moyenne de 11% par an depuis 2009. C’est
un taux d’accumulation bien supérieur à ce que les épargnants ordinaires
parviennent à obtenir.
Que ce soit au travers de fonds
de couverture ou d’entrepôts remplis de vins et de voitures anciennes, l’industrie
de la gestion de capital est parvenue à accroître la prospérité des super-riches.
Mais ces super-riches ne sont
pas les simples receveurs d’une concentration croissante de capital. Ils ne
cessent jamais de la perpétuer.
7. L’évasion
fiscale et l’achat de politiciens
Verser aussi peu d’impôts que
possible est une stratégie clé pour beaucoup de super-riches. Pour y
parvenir, ils ont activement recours au réseau global de paradis fiscaux,
comme ont pu nous l’apprendre les Panama Papers et autres récents exposés.
Les pays sont en compétition pour attirer les super-riches sur leur territoire,
et n’hésitent pas à vendre leur souveraineté pour y parvenir. Les
super-riches exilés disposent d’un vaste choix de destinations à l’échelle du
monde (et 7,6 trillions de dollars de capital sont supposément dissimulés
dans des paradis fiscaux).
A elle seule, l’Afrique perd 14
milliards de recettes fiscales en raison du recours des super-riches aux
paradis fiscaux – selon Oxfam, cette somme suffirait à financer les services
de santé susceptibles de sauver la vie de 4 millions de personnes, et à
employer suffisamment d’instituteurs pour envoyer chaque enfant africain à l’école.
Beaucoup des super-riches
utilisent aussi leur pouvoir, leur influence et leurs connexions pour
capturer la sphère politique et s’assurer à ce que les lois soient rédigées
en leur faveur. Les milliardaires brésiliens font pression sur le
gouvernement pour que leurs impôts soient réduits. Ceux de Sao Paulo
préfèrent se rendre au travail en hélicoptère pour éviter les bouchons et les
infrastructures en perdition sous leurs pieds.
Certains super-riches ont aussi
recours à leurs fortunes pour obtenir les résultats politiques qu’ils
souhaitent et influencer les élections et les politiques publiques.
Ces interventions actives des
super-riches et de leurs représentants sur la sphère politique créent
toujours plus d’inégalités en générant des « boucles de rétroaction »
qui voient les gagnants de ce jeu acquérir toujours plus de ressources, qui
leur permettront d’en gagner encore plus la prochaine fois.
Ce compte-rendu écrasant des
maux dont souffre le tissu économique et social du monde a été publié alors
même que les sujets du rapport se rendaient à Davos.
Mais le rapport manque de
mentionner l’un des coupables majeurs : les banques centrales. Oxfam en
a-t-elle trop peur ? Les banques centrales ne sont pas mentionnées une
seule fois dans le dossier, ni la Réserve fédérale, ni la BCE, pas même en
passant. Et pourtant, elles sont les plus grandes responsables des inégalités
des revenus et de capital sur lesquelles se penche le rapport, avec notamment
leurs efforts très vocaux d’alimenter l’inflation rampante aux dépens de tous
les individus mentionnés par Oxfam, y compris les « épargnants ».
Cette omission, compte tenu de sa magnitude, ne peut pas possiblement n’être qu’un
simple oubli.