L’évolution
du marché obligataire est sans équivoque. Sans même faire
une pause, les marchés ont anticipé ce lundi la poursuite
de la crise, aboutissant à la précipiter. Mais si les tensions
sur les taux espagnols et portugais étaient prévisibles,
qu’elles touchent également les taux irlandais et italiens
l’était moins. Sans parler de l’euro qui retombe à
1,30 dollar pour un euro, et des valeurs financières qui ont
continué à baisser. Une journée détestable pour
ceux qui ne s’y attendaient pas.
Dans
le cas de l’Irlande, une incertitude un moment escamotée est
réapparue, annihilant l’annonce du plan de sauvetage de dimanche.
L’adoption du budget irlandais est un préalable à sa mise
en œuvre, sans que rien n’assure – tout au contraire –
qu’il en sera ainsi le 7 décembre prochain, date prévue
pour le vote.
Car
la situation irlandaise s’est singulièrement envenimée
depuis la publication de deux modalités du plan. Passe encore que le
taux de 5,8% des prêts européens, inférieur aux
estimations qui circulaient avant son annonce, soit nettement plus
élevé que celui dont les grecs ont bénéficié,
soit 5,2%. Mais la décision d’utiliser les 15 milliards restants
du fond irlandais de réserve des retraites afin de recapitaliser les
banques irlandaises reste en travers de la gorge. Non seulement les
créanciers détenteurs d’obligations senior des
banques ne subiront aucune décote, mais qui plus est, ils seront
intégralement remboursés avec ces fonds détournés
de leur usage.
Les
derniers rounds de discussion du week-end ont bien porté sur le taux
et l’éventualité d’une telle décote, et rien
n’était acquis à ce moment-là. Mais les
négociateurs de l’Union européenne ont tranché non
pas en fonction de la situation irlandaise elle-même, mais des
répercussions de leurs décisions sur la suite
présumée des opérations. Dans l’espoir « d’arrêter
l’incendie », comme l’a depuis déclaré
la ministre française Christine Lagarde, qui en avait nié
l’existence auparavant. Afin d’éviter à tout prix
de heurter les marchés en leur imposant une décote sur
leurs créances, alors qu’il leur était
parallèlement promis qu’une telle mesure ne pourrait intervenir
qu’après 2013, en dernière instance et après
étude au cas par cas.
Quant
au taux, il aurait été finalement fixé en fonction des
niveaux atteints sur le marché par les taux portugais et espagnol
à maturité comparable, afin de ne pas prendre le risque
qu’il soit inférieur à ceux-ci. Un jour on presse les
Portugais de demander de l’aide, le lendemain on voudrait éviter
qu’ils le fassent et les Espagnols avec eux…
En
poursuivant trop de lièvres à la fois, les négociateurs
de l’Union européenne et du FMI se sont emmêlés
les pieds. Au vu des incertitudes régnant en Irlande, les
marchés se sont de nouveau mis à craindre de ne pas
être remboursés de leurs créances sur les banques
irlandaises et ont agit en conséquence.
L’Italie
en a fait les frais au passage, les marchés n’oubliant
pas que si la dette publique italienne est contenue – tout du moins
selon les données officielles – la dette privée est une
des plus élevées au monde (soit 118% du PIB). L’Espagne a
quant à elle prudemment annoncé qu’elle repoussait au
début de l’année prochaine ses émissions
prévues d’ici la fin de l’année, en espérant
des jours meilleurs. Tout aussi significatif, enfin, a été la
détente intervenue sur les taux grecs, suite à l’annonce
de délais supplémentaires de remboursement qui seraient accordés
à la Grèce, car ils éloignent la perspective d’un
défaut.
Condamnés
pour leur « irrationalité », les
marchés font la loi sans nuances et les gouvernements
européens la subissent en refusant de mettre les points sur les
« i ». Conséquence logique de l’approche
qui a été la leur depuis le début de la crise, et qui ne
leur laisse aujourd’hui d’autre choix que de s’enferrer
dans une stratégie sans issue. Rarement aura-t-on vu une telle
obstination dans l’échec, ainsi qu’une telle inconsistance.
Combien
de semaines et de mois auront été nécessaires pour que
soit envisagée une « approche
systémique » de la crise européenne, comme l’a
dénommée hier dimanche Olli Rehn, le commissaire aux affaires économiques ?
Combien en faudra-t-il encore pour que, à chaud et dans
l’urgence, celle-ci débouche sur dieu seul sait quelle nouvelle
échappatoire ?
L’enfermement
idéologique des décideurs européens est tel qu’un
secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, peut déclarer : « La crise
a rendu l’Europe plus résistante et plus forte que jamais, la
volonté de mettre en œuvre de véritables réformes
fiscales est plus forte… et en cas de besoin il y a un filet de
sécurité ». Le mot magique de réforme
lancé, il précise qu’elles sont bien entendu
« structurelles », avec pour objectif de naturellement
« relancer la croissance ». Il a ensuite
détaillé ce qu’il entend par là : « Les
systèmes de santé et de retraite doivent être
réformés, de nouveaux emplois créés, le
marché du travail assoupli. Les économies ont besoin de plus
d’innovation, d’une surveillance et d’une gestion
d’entreprise meilleures », pour conclure « Cela va encore
prendre du temps avant que les choses redeviennent comme avant ».
Affligeant.
Ce
lundi matin, sur les radios, des ministres démentaient pour la
première fois que la France puisse être emportée à
son tour dans la zone des tempêtes. Parmi les analyses de la crise
européenne qui foisonnent, les scénarii se multiplient.
Proposant des solutions tout en ajoutant qu’elles ne seront pas retenues,
ils prévoient rarement une autre perspective que
l’éclatement de la zone euro.
Quant
à eux, les leaders européens sont-ils rationnels ?
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
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en tout ou en partie à condition que le présent alinéa
soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est
un « journaliste presslib’ » qui
vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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