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Dans
l'indifférence générale, l'Union Européenne a
transformé son FESF, "Fonds Européen de Stabilisation
Financière", en la même chose, sous le nom de MES,
"Mécanisme Européen de Stabilisation", ou,
devrait-on dire, s'agissant de venir en aide aux PIGS, "Mécanisme
Européen de Stabulation" des pays en faillite.
AAA vot'bon coeur...
Le principe en est simple : les pays encore solvables emprunteront sur les
marchés financiers au taux consenti aux pays notés AAA, du
moins l'espèrent-ils, et reprêteront l'argent 200 ou 300 points
de base au-dessus du coût de la ressource, aux pays en
difficulté. Cela tombe bien, parce qu'actuellement, les spreads de
couverture du risque sur les emprunts irlandais et grecs à deux ans sont
de respectivement 8,35 et 9,35%, et les rumeurs de défaut de
l'Irlande sur ses prochains versements d'intérêts se font
insistantes. 6 à 7% d'économie sur le taux
d'intérêt du marché, par les temps qui courent, ce n'est
pas mal du tout.
Autrement dit, en prêtant très au-dessous des spreads de
couverture de risque demandés par le marché, les pays aux
comptes encore présentables transfèrent sur leurs
prêteurs actuels et leurs contribuables futurs le risque de
défaut (inévitable) des PIGS.
Dette capitale
Notons d'ailleurs que la presse grand public parle d'injections de
"capital" de 80 milliards au démarrage du fonds, puis de 620
milliards par la suite. Cette terminologie est une pure escroquerie
sémantique qui doit être dénoncée comme telle,
puisque les pays apportant ce "capital" sont eux-mêmes
très endettés et donc réuniront les sommes
demandées par émissions de dettes souveraines. Il n'est pas dit
clairement si le MES pourra emprunter lui-même directement sur les
marchés ou uniquement par l'entremise des états membres, mais
les communiqués officiels insistent lourdement sur sa note AAA : le
MES pourrait donc aussi se financer par appel direct aux marchés
financiers, mais sous parapluie des états bien notés, donc de
leurs contribuables.
Bref, on continue de vouloir soigner la dette par la dette, et à
maintenir l'illusion de solvabilité des états les plus faibles
de la zone Euro. Pour payer les intérêts de la dette portugaise,
on demande à l'Allemagne et à quelques autres d'augmenter leur
dette à leur tour. Bernard Madoff est allé en prison pour moins
que ça.
Faire
durer l'illusion pour ne pas avoir à réformer
En subventionnant le coût du crédit aux pays les moins stables,
on fait exactement ce que Fannie Mae et Freddie Mac ont fait aux USA pour le
financement du logement aux ménages "subprime" : Fannie et
Freddie ont enfermé nombre de ménages dans l'illusion qu'ils
pouvaient vivre au-dessus de leurs moyens, dans une maison trop grande pour
eux. La création du MES, de la même façon, fait croire
aux populations européennes que leurs états providence, qui
craquent de toute part, sont viables, ce qui retarde l'acceptabilité
de réformes profondes. Lorsqu'ils n'ont plus pu payer, les
ménages américains ont perdu leur maison. Nous perdrons nos
états providence. Seul le timing est incertain.
Bien entendu, on nous affirme que les pays "aidés" devront
"faire des efforts de restructuration" pour ne pas planter le fonds
de stabilité. Là encore, c'est une pure fumisterie. En cas de
faillite, ils auraient de toute façon dû remettre fortement en
question les bases de leurs états providence. En accédant au
fond de stabulation, ces états peuvent au contraire espérer
adoucir les plans d'austérité que le marché leur aurait
imposé... Voire, comme les grecs s'en sont fait la
spécialité, continuer à tricher sur l'état
réel de leurs finances.
D'ailleurs, en substituant comme créanciers, à des
investisseurs privés généralement âpres au gain,
des états enclins à la faiblesse pour des raisons politiques,
les PIGS se mettent en position de force pour pouvoir le moment venu exercer
un chantage à l'arrêt du paiement d'une partie de la dette sans
faire trop de concessions, car au nom de "l'Europe", il faudra
éviter de trop "braquer" les populations des pays
surendettés, "être solidaires", et autres poncifs.
Quant aux moyens de forcer un état à respecter sa parole vis
à vis d'autres états... On n'enverra pas les avions bombarder
Athènes !
D'ici à ce que certains se préparent à une faillite
"bien calculée" de leur état sur le dos du couple
franco-allemand... Non, ils n'oseraient pas, pas vrai ?
Je te tiens, tu me tiens...
A qui cela profite-t-il ? A toutes les banques qui ont prêté aux
états, et qui se sont prêté entre elles, qui ont
prêté aussi à des ménages eux-mêmes surendettés,
et qui ont obtenu des garanties publiques pour cela... Des banques à
qui l'on évite de devoir se mettre en redressement, en faisant appel
à de nouvelles garanties publiques ! Banques et états se
tiennent par la barbichette, et faute d'avoir le courage politique d'imposer
un système de résolution des faillites bancaires contraignant
et protégeant en priorité les déposants, en obligeant
les créanciers bancaires à encaisser leur juste part des pertes
éventuelles pour avoir mal prêté à des
entités surendettées, on perpétue une cavalerie
financière qui nous mènera immanquablement à un nouveau
séisme financier.
Lorsque les rustines posées sur ce système de fuite en avant
généralisée ne pourront plus colmater les
brèches, nous serons doublement pénalisés, en tant que
"bénéficiaires" de l'état providence, qui ne
pourra plus financer ses généreuses redistributions, et en tant
que détenteurs de comptes bancaires, car rien n'aura été
prévu pour éviter des paniques en série et il sera temps
de s'apercevoir que la garantie d'états en faillite sur nos comptes
bancaires ne vaut pas un kopek.
Bref, le "Mécanisme Européen de Stabilité"
n'est qu'une vaste opération de perfusion
généralisée du système étatico-financier,
perfusion qui adoucit temporairement la douleur mais qui ne guérit pas
le malade faute du courage de décider de mettre en place un traitement
de choc.
La route de l'abattoir
Mais cet adoucissement ne sera que temporaire. En soignant leurs dettes par
de nouvelles dettes, sans se contraindre à une cure d'amaigrissement
suffisante pour se placer en situation d'excédent budgétaire,
nos états ne font que gonfler leur bulle d'insolvabilité,
laquelle explosera quand les marchés se rendront compte qu'à
force de se porter caution pour tous les canards boiteux de l'Europe,
même l'Allemagne ne mérite plus son AAA. A moins que la maison
Trichet, imprimeur officiel de la cour depuis le 8 mai 2010, ne soit
rebaptisée "Banque de Weimar", transformant
l'éclatement de la bulle des dettes souveraines en Tchernobyl des
prix. Quelle que soit la porte de sortie choisie, ce sont les gens ordinaires
qui boiront la tasse.
La stabulation ne fait qu'engraisser le cochon avant l'abattoir.
Vincent
Bénard
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