Retenons
notre souffle, car tout ne tient toujours que du bout des doigts. Les
démissions de Silvio Berlusconi et de George Papandréou
n’ont rien réglé. Comme vient de le déclarer sans
détour Barack Obama en marge du sommet Asie-Pacifique à Hawaii,
« il reste du travail à faire dans la communauté
européenne au sens large pour donner aux marchés la ferme
assurance que des pays comme l’Italie pourront financer leur dette
».
Angela
Merkel et Nicolas Sarkozy sont à la
tâche sans désemparer pour tenter de donner corps aux
équipes gouvernementales en train de se constituer dans la confusion
à Athènes et à Rome, multipliant sans attendre les mises
en garde à leur égard. Dans les deux cas, l’objectif est
d’éviter des élections et de privilégier
l’application sans faillir de mesures d’austérité,
qui ont d’ailleurs été adoptées toutes affaires
cessantes pour preuve de bonne volonté.
Les
Italiens avaient auparavant reçu leur feuille de route
signée par Olli Rehn,
le commissaire européen, sans même bénéficier en
contrepartie d’un plan de sauvetage. La « loi de
stabilité » adoptée à Rome n’y répond
que partiellement, mais Herman van Rompuy a
insisté sur le fait que sa « bonne application sera cruciale
». Lucas Papademos, le nouveau premier
ministre grec, a reçu pour sa part comme instructions d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy d’engager
d’urgence « la mise en oeuvre
complète et intégrale de tous les engagements » pris par
la Grèce. En précisant que cela conditionne le versement de la
tranche d’aide financière de huit milliards d’euros, qui
reste toujours en suspens et ne pourra le faire éternellement.
Les
deux pays ont été placés sous étroite
surveillance, de la Troïka et de la « Task
force » en Grèce, d’une quinzaine d’experts de la
Commission européenne, du FMI et de la BCE à Rome. Comme une
préfiguration de la gouvernance économique
musclée qui s’annonce, une fois que la révision des
Traités européens sera acquise. Mais n’anticipons pas.
Tout
doit être fait pour éviter un nouveau dérapage de ces
deux pays, alors que les négociations avec les dirigeants chinois sont
dans l’impasse, ne permettant pas d’espérer leur
contribution financière au sauvetage de l’Europe dans un
proche avenir. Leurs demandes de contreparties ont été en effet
considérées irrecevables. Elles se heurtent au veto
américain, s’agissant de la montée en puissance chinoise
au sein du FMI et à l’entrée du yuan dans le panier de
devises sur lequel reposent les droits de tirage spéciaux (DTS). Les
Américains ne voulant pas perdre leur minorité de blocage, il ne
resterait plus aux Européens qu’à se serrer pour faire de
la place, ce qu’ils ne veulent pas envisager. Il n’est pas non
plus question de faire entrer le yuan dans le club très fermé
des monnaies de référence tant qu’il restera
sous-évalué et sous contrôle des autorités
chinoises.
D’autres
demandes sont tout aussi impossibles à satisfaire, que ce soit
l’obtention du statut d’économie de marché, qui
faciliterait davantage les exportations chinoises, ou la levée de
l’embargo européen sur les armes, politiquement sensible en
raison de la montée en puissance de l’armée chinoise dans
le Pacifique.
La
période de transition qui s’ouvre est donc celle de tous les
dangers, puisque le FESF n’a pas les moyens de se substituer au
marché pour financer la dette italienne, son montage assurantiel ne
prenant pas le chemin de remplir toutes ses imprudentes promesses, en raison
des exigences présumées des investisseurs qui ne peuvent se
contenter du niveau limité des garanties prévues. En fait de
bazooka, nous avons droit à une pétoire.
Elle
l’est aussi d’un tout autre point de vue. Mettre des eurocrates
patentés à la tête des nouvelles équipes
gouvernementales italienne et grecque d’union nationale est
peut-être une garantie pour des commanditaires soucieux
d’éviter toute nouvelle dérobade, mais n’est-ce pas
une erreur de casting ? Un ancien vice-président de la BCE (Lucas Papadémos) et un ex-commissaire européen
(Mario Monti) sont-ils les personnes adéquates pour faire passer les
mesures de rigueur indispensables, dans le contexte d’une crise sociale
montante et d’une profonde défiance envers le monde politique en
général ? Il est permis d’en douter, mais y avait-il le
choix ?
Il
est exigé d’eux d’accomplir de véritables travaux
d’Hercule en l’espace d’une ou deux années et de
réformer en profondeur ces deux sociétés, dans le cadre
d’une rigueur budgétaire drastique. Une tâche
insurmontable, si l’on y réfléchi un instant. Dans le
contexte de récession économique qui menace l’Europe, et
qui atteint de plein fouet les pays bénéficiant d’un plan
de sauvetage, cela constitue un indéniable cocktail explosif.
Après
celui qui consiste à stabiliser la situation politique et à
engager sans tarder des mesures destinés à rassurer les
marchés, c’est le second pari qui est engagé.
Le
troisième ne va pas tarder à se préciser. Le Portugal se
prépare à connaître le destin de la Grèce et son
grand cousin ibérique, l’Espagne, va finir par sombrer à
son tour, sous les effets de sa bulle immobilière trop longtemps
artificiellement contenue, alors qu’un gouvernement de droite va
arriver au pouvoir et mettre de l’huile sur le feu. C’est une
simple question de temps. La Belgique et la France sont déjà
soumises à la pression du marché, tandis qu’en Europe
centrale et de l’Est la crise couve. Comme d’habitude, les
dirigeants européens sont en retard d’une guerre. Ils
s’acharnent sur le sort de la Grèce et de l’Italie dans
l’espoir de calmer le jeu, faute des moyens financiers
espérés, mais c’est l’ensemble de l’Europe
qui est en ligne de mire des marchés.
On
se croirait revenu au temps de la Ligne Maginot et du Mur de
l’Atlantique… Les stratèges d’aujourd’hui ne
se révélant pas plus brillants dans le domaine financier que
ceux d’hier ne l’étaient au plan militaire.
Des
démonstrations d’allégresse ont salué dans les
rues de Rome et de Milan la chute de Silvio Berlusconi ; « primavera, primavera » a
scandé la foule en référence au printemps arabe. Les
chefs d’Etat et de gouvernement européens ont du éteindre leur téléviseur devant
la vision d’un tel spectacle insoutenable.
Billet rédigé par
François Leclerc
|