Faute
d’être parvenus à se mettre d’accord, un
délai de la dernière chance a été accordé
aux négociateurs pour adopter les modalités de la
restructuration de la dette grecque : le 3 février prochain. Mais
l’enjeu s’est élargi, afin que la Grèce puisse
tenir à l’avenir ses engagements en matière de
réduction de son déficit budgétaire, car comme l’a
déclaré Jean-Claude Juncker, “le programme grec a
dérapé” : encore une fois, la Grèce n’est
pas parvenue à remplir ses engagements de réduction de son
déficit.
Le
gouvernement et ses bailleurs de fonds doivent se mettre d’accord
“dès que possible sur les paramètres d’un nouveau
programme d’ajustement ambitieux”, a-t-il ajouté. Cela
nécessitera de nouveaux efforts budgétaires, mais aussi
l’accélération de “la mise en place de
réformes structurelles pour renforcer son économie et sa
croissance” a précisé le commissaire Olli
Rehn.
L’acharnement
dont il est fait preuve n’est pas seulement l’expression de la
volonté maintes fois réaffirmée de conserver la
Grèce au sein du club euro, symbole de la détermination des
dirigeants européens. Il reflète également la crainte de
l’inconnu, au cas où il faudrait finalement se résoudre
à ce que le pays fasse défaut sur sa dette. Avec comme effet
d’imposer au pays une mission impossible, sans jamais vouloir
l’admettre. Si la Grèce est un laboratoire, c’est aussi un
cas d’école de ce point de vue.
L’irréalisme
que partagent les dirigeants européens, en dépit de leurs
divergences, s’exprime sur tous les terrains. En premier celui du
système bancaire, auquel la BCE se prépare à accorder un
deuxième prêt massif à trois ans et à 1% de taux
d’intérêt. Plus discrètement, celle-ci a
été conduite à allonger la liste des collatéraux
qu’elle accepte de prendre en pension en contrepartie,
inscrivant à son bilan des actifs dont la qualité est douteuse.
Elle vient d’ailleurs de retirer de cette liste un gros paquet de
titres, qui n’étaient vraiment pas présentables ! Comme
on le sait, une des préoccupation des milieux
financiers est la pénurie de collatéraux de qualité pour
financer son fonctionnement dans les conditions actuelles. Et comme
déjà relevé, la BCE est devenue la bad
Bank que les gouvernements n’ont pas voulu créer, car rien
ne dit que les prêts actuels ne devront pas être
renouvelés et le collatéral accepté conservé plus
longtemps que prévu.
La
BCE pratique l’art de la quasi
création monétaire et est devenue une quasi bad bank pour que les banques
zombies puissent continuer de marcher.
Mais
croit-on vraiment que ce délai de trois ans permettra aux banques de
se refaire une santé, dans un contexte marqué par la
récession économique et la nécessité de se
renforcer qui les conduit à restreindre leurs opérations de
crédit, une fois le bateau délesté des actifs qui
pouvaient être vendus ?
Malgré
leur démenti, les gouvernements allemand et français
s’efforcent parallèlement d’obtenir des
aménagements à la réglementation de Bâle III,
afin, disent-ils, de ne pas pénaliser le crédit et la
croissance. Le sujet est assez technique, mais l’idée simple :
ils cherchent à obtenir des délais – comme toujours
– ainsi que des facilités permettant d’élargir la
liste des composants du Core tier one, ces fonds propres qui permettent de calculer
le ratio d’endettement des banques. La même démarche est
entreprise à propos de la composition du matelas de liquidités
dont les banques devront disposer, le Comité de Bâle tardant
beaucoup à statuer sur ce sujet. Au nom de la croissance, la mesure
phare de la régulation financière serait donc en passe
d’être détricotée, si cette initiative se
confirmait.
Troisième
volet, les banques espèrent de l’EBA (l’Autorité
bancaire européenne) une certaine mansuétude à propos de
l’examen des plans de recapitalisation qu’ils viennent de lui
remettre pour étude. Encore une fois, il s’agit de porter un
jugement sur l’éligibilité de certains instruments
financiers, une occasion de revenir sur le laxisme de la période précédente.
L’avenir proche dira si la fermeté de départ est
maintenue.
Objets
de toutes les attentions, les banques européennes ne sont pas pour
autant tirées d’affaire. L’ensemble est devenu
hétérogène et donc systémiquement fragile, les
banques des pays attaqués par les marchés étant
coupées de ceux-ci et sous assistance permanente. L’incitation
qui leur est faite d’acheter des titres de la dette de leur propre pays
avec les crédits de la BCE n’étant pas faite pour les
renforcer, comme la situation des banques grecques le démontre, si un
malheur devait arriver.
La
question qui se pose donc dès maintenant est de savoir si la BCE sera
en mesure dans trois ans de ne pas renouveler ses prêts, et s’il
ne s’instaurera pas, par voie de conséquence, un nouveau mode
hybride de fonctionnement du système bancaire, à cheval sur le
marché interbancaire et la banque centrale, le rendant
dépendant de l’assistance publique…
La
même question se pose à propos des Etats qui
bénéficient d’un plan de sauvetage et de ceux qui
pourraient les suivre selon des modalités préventives. Une
chose est en effet d’y entrer, une autre d’en sortir. Comment
pourront-ils à nouveau affronter les vents cruels du marché si
ceux-ci n’ont pas arrêté de souffler ? Si les taux restent
à des niveaux élevés ? Ne sera-t-il pas
nécessaire, dans ces conditions, de reconduire des dispositifs
d’assistance financière sur fonds publics, instaurant comme pour
les banques un dispositif parallèle au marché ?
Mais
n’anticipons pas ! Les dirigeants européens
s’apprêtent à emprunter un chemin particulièrement
étroit dans les mois qui viennent. Impérativement,
l’Italie doit absorber dans les mois à venir le choc du
refinancement de sa dette (90 milliards d’euros d’ici avril), en
attendant la création du MES prévue pour juillet, dont le
principe a été hier adopté par les ministres des
finances. Il va donc falloir ruser et utiliser toutes les ficelles
disponibles : achats de la dette par les banques privées nationales,
émission de titres à courte maturité, etc… Il
n’est pas interdit de solliciter la détente des marché constatée
à l’occasion de certaines récentes émissions !
Pour
la suite, Angela Merkel aurait – selon un
Financial Times décidément très informé ces
temps-ci – mis un marché dans les mains de ceux qui
réclament un renforcement des pare-feu: l’Allemagne
pourrait finalement accepter d’additionner la capacité du FESF
et du MES, à condition que des règles budgétaires plus
strictes que celles qui sont en discussion soient adoptées… Ce
qui, a bien y regarder, ne serait pas un grand engagement, car le FESF est de
toute manière programmé pour être arrêté en
2013. L’abondance pour les autres, la disette pour les autres : cette
règle ne se dément donc pas.
S’appuyant
sur la distribution de centaines de milliards d’euros de prêts
pour les banques, l’adoption de procédures renforcées
d’encadrement du déficit public au niveau européen et de
strictes réductions de celui-ci pays par pays, ainsi que sur le
renforcement limité des pare feu, le dispositif est
désormais au complet. Faut-il encore qu’il suffise à la
tâche ! La question qui à cet égard monte reste sans
solution : la mission qui est dévolue aux Etats européens
est-elle viable, s’ils ne bénéficient pas de relais de
croissance et s’enfoncent au contraire dans la récession ?
C’est fort peu probable.
Des
invocations sont de plus en plus entendues à ce sujet, mais elles ne
dépassent pas ce stade. Tout au plus est-il affirmé,
nécessité faisant vertu, que les réformes
structurelles sont le levier privilégié. D’autres
évoquent certes des financements européens, mais les montants
restent modestes au vu des disponibilités. Aucun ne pose clairement la
question essentielle : de quelle croissance s’agit-il, orientée
vers quels marchés et s’appuyant sur quelle production ?
Où sont les gisements de la croissance, pays par pays ? Au contraire,
il continue d’être affirmé que la diminution du
coût du travail améliorera la compétitivité.
Selon
un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT), la
“cause structurelle” de la crise spécifique de la zone
euro pourrait résider dans les bas salaires allemands, qui ont permis
d’améliorer la compétitivité des exportateurs
allemands. L’OIT constate que “les coûts du travail
allemands ont chuté depuis une décennie par rapport aux
concurrents, mettant leur croissance sous pression, avec des
conséquences néfastes pour la viabilité de leurs
finances publiques”. Présentée comme une solution, la
généralisation européenne du modèle allemand
– qui est illusoire – repose sur l’idée que le salut
repose sur le développement des exportations et s’apprête
à diminuer la demande intérieure et à accroitre les
inégalités par des mesures d’austérité.
Mais le pire est, selon l’OIT, que les succès allemands à
l’exportation ne résultent principalement pas de cette politique
salariale, mais tout simplement de l’adéquation de leur
production avec les besoins des pays émergents.
La
crise actuelle n’est pas européenne, l’une de ses origines
est le changement d’axe économique mondial que représente
l’émergence de pays que l’on continue abusivement de
qualifier ainsi. Dans ce contexte, la compétition économique ne
peut pas être gagnée par la diminution du coût du travail
et il faut adopter et promulguer une autre approche de la croissance
économique, pour les uns comme pour les autres. Une nouvelle fois, il
faut sortir du cadre…
Billet rédigé par
François Leclerc
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