Estimé
à 457 milliards d’euros, le projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour l’année 2012 suit une
stratégie de réduction des niches fiscales
légitimée par le rapport
rendu public cet été par l’Inspection
Générale des Finances. Aussi et surtout, il repose sur la
croyance que les 538 dérogations fiscales en vigueur en France ne sont
rien d’autre que des « cadeaux fiscaux ». Il y a
là une part de vrai et une part de faux.
Des subventions qui ne disent pas leur nom
Niches
fiscales et subventions procèdent d’un seul et même
raisonnement. Du point de vue de l’État en effet, une
dérogation fiscale n’est jamais qu’une subvention en
négatif. Cet effet
de substitution entre niches fiscales et dépenses publiques
classiques n’a d’ailleurs pas échappé à
l’Institut français pour la recherche sur les administrations et
les politiques publiques (IFRAP) : un gouvernement peut, par ce moyen,
privilégier certaines populations ou certains secteurs
d’activité sans recourir à de nouvelles dépenses.
L’erreur
serait de croire qu’en instaurant une TVA à 5,5% dans la
restauration (contre 19,6% en général) ou en allégeant
tel prélèvement social, l’État tourne le dos
à l’interventionnisme et libère
l’économie : il serait plus exact de dire que de cette
manière, le droit fiscal distingue entre les agents économiques
(ménages ou entreprises) qui doivent s’acquitter scrupuleusement
de l’impôt et ceux qui, pour des raisons essentiellement
politiques, reçoivent un traitement de faveur.
Or une
économie libérale stricto
sensu est incompatible avec la distribution des privilèges, ceux
qui permettent par exemple aux grands groupes de ne s’acquitter que
partiellement de l’impôt sur les sociétés, quand
les entreprises plus modestes s’enlisent dans les sables mouvants de la
fiscalité française. Il est donc possible de voir, dans ces
subventions qui ne disent pas leur nom, autant de « cadeaux
fiscaux », dans la mesure où certains sont avantagés
par rapport à d’autres en raison non pas de leur
activité, mais du jugement plus ou moins favorable que les
parlementaires et le gouvernement portent sur cette activité.
« Manque à gagner » : une notion floue
Si les
dérogations fiscales sont, à proprement parler, des
privilèges, la dénonciation des « cadeaux
fiscaux » présuppose l’acceptation du droit fiscal en
vigueur et la reconnaissance de sa légitimité. Car même
si l'économiste peut les trouver pertinentes, des expressions telles
que « cadeau fiscal » ou « manque à
gagner pour l’État » n’en restent pas moins
très orientées politiquement.
Elles ont
également l’avantage, en cette période
pré-électorale, d’être moins rigides que les
dispositifs auxquels elles font référence. Parler de
« manque à gagner », c'est affirmer que
l’État fait un « cadeau fiscal » dès
lors qu'il permet à certains de payer un impôt inférieur
à la norme... ou au taux que pourrait justifier une propagande
efficace. M. Mélenchon n’est pas loin.
La hausse de
la TVA sur le tabac (au total, +12% d’ici l'été 2012)
n’a d’autre explication que cette possibilité
d’exploiter l’élasticité de la demande, avec
l’assurance que personne ne fera valoir, contre cette hausse, un
très improbable droit au cancer. Idem pour l’extension aux sodas
« light » de la taxe
« comportementale » d’abord
réservée aux boissons sucrées, qui n’a strictement
rien à voir avec la prétention de rééduquer le
consommateur – même si cette insupportable pédagogie rose
bonbon pour vieilles dames fatiguées est un effet secondaire
inévitable de l’ingérence de l’État dans les
choix du consommateur. On pourrait multiplier les exemples.
Les
défenseurs des niches fiscales condamnent ce raisonnement
prédateur. Ils doivent pourtant comprendre que le contraire d'une
fiscalité écrasante n'est pas la multiplication des
exonérations, mais l'égalité des contribuables.
Dès lors, la question qui se pose n'est pas de savoir s'il faut
sacrifier ou préserver les niches fiscales, mais s'il faut modifier
notre code des impôts. Et la réponse est que oui, il le faut.
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