La
liquidité des banques de la zone euro a été
exposée à des pressions renouvelées depuis mi-mai.
L'incertitude politique accrue en Grèce et l'insolvabilité du
groupe Bankia en Espagne ont été deux
facteurs, largement commentés, à l'origine de retraits de
dépôts plus ou moins importants. Cet article examine l'ampleur
du phénomène et conclut que la comparaison avec la période
post-Lehmann n'est pas exagérée à certains
égards.
Le bilan
consolidé de l'Eurosystème a encore
gonflé de quelques 56 milliards depuis mi-mai. Il ne s'agit pas ici
d'un phénomène trivial, car l'Eurosystème
avait déjà accru son bilan de plus de 300 milliards d'euros
suite aux deux opérations de refinancement de très long-terme.
L'injection de ces liquidités massives avait rendu pratiquement
superflu le recours aux opérations hebdomadaires de refinancement. Or,
ce sont précisément ces opérations qui viennent d'atteindre
167 milliards d'euros, et qui ont gonflé d'environ 93 milliards
d'euros entre le 12 mai et le 16 juin. Elles reflètent un besoin
renouvelé de liquidités qui semble être dû à
trois facteurs, dont l'un est particulièrement intéressant.
Premièrement,
quelques autres sources de liquidités pour les banques se sont taries
à la marge. Ainsi, l'ensemble des autres actifs et des autres
créances domestiques en euros a baissé de 22 milliards d'euros
depuis mi-mai. L'Eurosystème a
également réduit son portefeuille de titres financiers d'un peu
plus de 4 milliards d'euros. Au final, après prise en compte de
quelques autres facteurs de moindre importance, la liquidité nette
injectée par l'Eurosystème depuis
mi-mai correspond à l'agrandissement de son bilan, à savoir 56
milliards d'euros.
Deuxièmement,
la demande de billets par le public a augmenté de plus de 16 milliards
d'euros, générant un besoin de liquidité
équivalent pour les banques. Si l'on ne peut pas s'empêcher de
penser aux Grecs retirant leurs dépôts, il est cependant
difficile à ce stade d'y voir le résultat d'une ruée
plus ou moins importante sur certaines banques, étant donné la
volatilité et la saisonnalité de la demande de billets. Pour
satisfaire cette demande supplémentaire de billets, ainsi que quelques
autres fuites de liquidités mineures, les banques ont puisé
dans leurs propres réserves, en diminuant le total de leurs
dépôts auprès de l'Eurosystème
de presque 20 milliards d'euros. Reste donc la question de savoir quel a
été le facteur qui a généré la presque
totalité du besoin net de liquidités des banques,
lui-même à l'origine de l'expansion du bilan de l'Eurosystème?
Ce
troisième facteur consiste en une hausse significative du poste
« engagements externes en euros ». De fait, cette
hausse traduit une augmentation des créances sur l'Eurosystème
détenues par le reste du monde. Ces créances résultent
de paiements excédentaires en euro vis-à-vis du reste du monde,
et en particulier de transferts d'euros vers des banques hors de la zone
euro.
Ce poste a
été historiquement très faible, et sa dynamique mimait
plus ou moins son opposé du côté des actifs, à
savoir les créances en devises étrangères
détenues par l'Eurosystème sur des
banques domestiques. Les opérations de swaps euro/dollar
réalisées avec la Réserve Fédérale
Américaine ont été à l'origine d'une hausse
considérable et parallèle de ces deux éléments
d'actif et de passif, comme illustré par le graphique. (La BCE
s'endettait en euros auprès de la FED, pour prêter ensuite en
dollars aux banques de la zone euro).
L'écart
net entre les engagements externes en euros et les créances
domestiques en devises indique de combien les fuites accumulées
d'euros de banques de la zone euro vers des banques hors de la zone euro
excèdent les fuites accumulées en sens inverse, c.à.d.
de devises étrangères de banques hors de la zone euro vers des
banques de la zone euro. Or, c'est cet écart-là qui s'est
fortement creusé ces dernières semaines, passant de 31 à
91 milliards d'euros entre le 12 mai et le 16 juin. Il avait atteint son plus
haut historique de 98 milliards d'euros le 1er novembre 2008,
à savoir dans la période post-Lehmann.
Les dernières semaines ont donc
été marquées par une importante fuite de
liquidités de la zone euro vers l'extérieur. Il s'agit
probablement d'une nouvelle étape dans l'évolution de la crise
financière, où les fuites ne sont plus confinées
à des transferts intra-zone euro entre la périphérie et
le centre. Si ces fuites vers l'étranger devaient
s'accélérer, la BCE n'aurait pas d'autre alternative que
l'expansion de son bilan, quel que soit le moyen choisi (achat de titres
financiers, nouvelle opération de refinancement à très
long terme, etc.).
Créances domestiques en devises et engagements externes en
euros de l'Eurosystème
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