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L'annonce
faite par Madame Boutin de la suspension définitive des expulsions
locatives sans solution de relogement peut passer pour une mesure socialement
pleine de bon coeur si l'on s'en tient à un examen superficiel. Mais
elle ira, une fois encore, à l'encontre des intérêts des
personnes modestes qu'elle est censée protéger.
Locatif: un
"marché" non efficient
Le parc de
logements locatifs privés, d'environ 5 millions d'unités, se
caractérise depuis plus de vingt ans par un désengagement
massif des gros investisseurs institutionnels qui ne représentent plus
que 2% de l'offre totale, par une rétention croissante des bailleurs
individuels privés qui laissent hors du marché environ 600 000
logements qui pourraient réduire les tensions sur bien des bassins
d'habitat.
Aujourd'hui,
aucun investissement locatif ne se fait sans gros coup de pouce fiscal:
Besson, Robien et Borloo hier, Sellier demain. Mais ces carottes fiscales
coûtent cher à l'état et ont favorisé un
mal-investissement massif. Nombre de
villes moyennes où le Robien a été sur-investi
souffrent maintenant d'un trop plein de logements inadaptés à
la demande locale, alors que les grandes agglomérations ou construire
est très difficile sont en situation de pénurie. Les
investisseurs potentiels sont échaudés et la construction de
nouveaux locatifs privés est atone.
Il en
résulte une pénurie globale de logements que l'on peut estimer
au minimum à 900 000 unités pour permettre de loger a minima
toutes les personnes sans adresse personnelle: SDF, logements de fortune,
colocation subie, etc, et sans doute bien plus si l'on tient compte du nombre
de familles vivant dans des logements frappés par de graves
problèmes d'insalubrité.
Cette
pénurie pousse évidemment les loyers à la hausse,
entraînant une difficulté de paiement des loyers pour moult
familles. Pourtant, malgré la hausse des prix observée entre
1997 et 2007, l'offre locative est restée très
inférieure aux besoins. Inefficience de marché ? Les
lecteurs de mon livre le savent, il n'en est rien.
Des politiques
qui font fuir l'investisseur
A la source de
cette frilosité des offreurs se trouve la combinaison d'une
fiscalité punitive sur les revenus de la pierre, et de lois
protégeant abusivement les mauvais payeurs, qui ont conduit à
transformer un placement autrefois considéré excellent pour les
pères de familles, en un produit excessivement peu rentable ET
risqué, surtout pour ceux qui ne peuvent louer qu'un seul logement et
ne peuvent donc pas répartir leurs risques.
En proposant de
rendre de facto impossible les expulsions sans une "solution de
relogement" qui, de toute façon n'existe pas dans la plupart des
cas dans les grandes agglomérations, Christine Boutin envoie un
nouveau signal négatif aux inconscients qui seraient encore
tentés par l'investissement locatif: Si vous avez un locataire mauvais
payeur, il sera encore plus difficile de récupérer votre bien.
Et ce ne sont pas les garanties publiques (GRL) ,
accessibles uniquement en cas de bail à des locataires structurellement
peu solvables, qui rassureront les candidats loueurs... Pas plus que les
associations de contribuables !
Cela
réduira encore l'appétit des investisseurs pour la pierre,
aggravera encore la pénurie de logements sur les marchés
les plus sensibles, réduira encore les possibilités de
relogement des locataires en difficulté, poussera à nouveau les
loyers à la hausse, et au final pénalisera les familles
honnêtes qui, malgré les incitations légales à
l'irresponsabilité, mettent un point d'honneur à respecter
leurs engagements. Surtout, cela rendra encore plus difficile la quête
d'un logement pour toutes les familles qui doivent entamer une
mobilité géographique, ou, pis encore, celles qui n'ont pas de
logement. Avantager les locataires en place, par quelque moyen que ce soit,
se fait toujours au détriment de ceux qui doivent entrer sur le
marché du logement.
Le logement
"social" ne règlera pas le problème
Il serait
illusoire de croire que le logement social pourrait fournir les
"solutions de relogement" que la ministre appelle de ses voeux: les
différents niveaux de pouvoir publics, malgré leurs annonces
régulières et fracassantes, ne peuvent subventionner
l'édification de plus de 50 à 80 000 logements par an, à
rapprocher de 1,3 millions de demandes de logement social en souffrance.
Ma cabane au
Canada, tapie au fond des bois...
L'exemple
canadien
(plus
précisément québécois, décrit par un
professeur catalogué "de Gauche") nous montre
que l'expulsion locative n'est pas l'ennemie des locataires responsables,
loin s'en faut. Au Canada, un mauvais payeur est expulsé sans
état d'âmes au bout de quelques semaines, permettant au bailleur
de remettre son bien sur le marché en moins de deux mois, et ce,
même au coeur de l'hiver. Catastrophe sociale ? Pas du tout !
Là bas, tant les SDF que le recours aux expulsions sont rares,
et les locataires qui pressentent des difficultés anticipent par eux
mêmes le besoin de relogement en recherchant un logement plus petit ou
un peu moins bien situé. Résultat de cette responsabilisation
des locataires, les investisseurs, individuels ou institutionnels, sont en
confiance, et maintiennent une offre suffisante pour satisfaire la demande de
logement, et laissent très peu de logements hors marché.
Madame Boutin
ferait mieux, si elle veut vraiment aider les familles en difficulté,
de promouvoir la responsabilité locative, garante d'un rencontre
fructueuse entre offreurs et demandeurs de logement.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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