Monsieur Le Maire voulait faire
parler de lui...
Bruno Le Maire (photo), ministre
de l'agriculture, devait s'ennuyer ferme dans son bureau, vu qu'il ne passe
jamais en prime time sur TF1. Alors il a décidé de faire
parler de lui, et est en train de concocter un projet de loi de
"modernisation de l'agriculture et de la pêche", LMAP, que l'on pourrait
résumer en cinq mots: "subventions,
réglementations, taxes, état nounou",
ce qui permettra à la gauche de glapir sur "l'ultra
libéralisme" du gouvernement Sarkozy-Fillon.
Pour de vrai, le projet, plutôt
court aux standards actuels puisqu'il ne se compose "que" d'environ
22 pages, 24 articles, un nombre indéterminé d'alinéas
et 100 000 signes, sans compter l'exposé des motifs et l'étude
d'impact, est un monument à la gloire de l'agriculture
administrée. Dernière étape avant la collectivisation ?
On n'est pas encore en Sarkolkhozie, mais on prend doucement le chemin...
Morceaux choisis :
"
Art. L. 632-2-1. - Les organisations
interprofessionnelles (ndVB: d'une filière de producteurs) reconnues
peuvent être consultées sur les orientations et les mesures des
politiques de filière les concernant.
« Elles peuvent définir, dans le cadre
d'accords interprofessionnels, des contrats types dont elles peuvent demander
l'extension à l'autorité administrative intégrant des clauses types relatives aux
modalités de détermination des prix, aux
calendriers de livraison, aux durées de contrat, au principe de prix plancher, aux
modalités de révision des conditions de vente en situation de
fortes variations des cours des matières premières agricoles,
ainsi qu'à des mesures de régulation des volumes dans le but
d'adapter l'offre à la demande. Elles peuvent également, dans le cadre de ces accords, établir des guides de bonnes pratiques
contractuelles qui ne peuvent pas faire l'objet d'une extension.
En clair, cela veut dire que
nous paieront nos produits agro-alimentaires plus cher, les producteurs
étant censés pouvoir imposer leurs prix et leurs conditions aux
acheteurs. Bon, je suppose que chez Auchan, Carrefour and Co, on a
déjà trouvé le moyen de contourner la disposition. Mais la philosophie de ce gouvernement, dont je vous rappelle que les
socialistes affirment qu'il est "ultra-libéral", laisse
songeur.
Taxe, taxe, taxe droit devant !
Continuons. L'exposé des
motifs évoque à l'article 9 une "assurance
récolte". Voyons de quoi il s'agit:
« Art. L. 361-1. - Un
fonds national de gestion des risques en agriculture est institué afin
de participer au financement des dispositifs de gestion des aléas
climatique, sanitaire, phytosanitaire et environnemental dans le secteur
agricole. Il comprend deux sections créées en recettes et en dépenses,
définies aux articles L. 361-2 à L. 361-4.
« La
gestion comptable et financière de ce fonds est assurée dans
les conditions prévues à l'article L. 431-11 du code des
assurances et précisées par décret.
« Art.
L. 361-2. - Les ressources du fonds national de gestion des
risques en agriculture sont les suivantes : « 1° Une contribution additionnelle aux primes ou
cotisations afférentes aux conventions d'assurance
couvrant, à titre exclusif ou principal, d'une part les dommages aux
bâtiments et au cheptel mort affectés aux exploitations
agricoles, et d'autre part les risques de responsabilité civile et de
dommages relatifs aux véhicules utilitaires affectés aux
exploitations agricoles.
« La contribution est assise sur la totalité
des primes ou cotisations versées. Son taux est fixé à
11 % de ce montant. Elle est liquidée et
recouvrée suivant les mêmes règles, sous les mêmes
garanties et sous les mêmes sanctions que la taxe annuelle sur les
conventions d'assurance prévue à l'article 991 du code général
des impôts.
A l'instar du dispositif en
vigueur pour "protéger" les habitations des catastrophes
naturelles, dont je vous entretenais de la fabuleuse efficacité et de l'absence
totale d'effets pervers il y a quelques jours, un
"fonds de gestion des risques en agriculture" serait chargé
de renflouer les agriculteurs qui gèreront mal leurs risques, en
faisant payer tous les autres. 11% sur les contrats d'assurance, tout de
même -Mais attention: "le gouvernement n'augmente pas les
impôts", hein ? Selon des sources bien informées, il
semblerait que les aléas dont il faille absolument que l'état
protège les agriculteurs soient le printemps, l'été,
l'automne et l'hiver.
J'arrête là. Les
plus courageux pourront aussi lire l'étude d'impact, environ 5 fois
plus épaisse que le projet de loi dont je cite un unique extrait pour
vous imprégner de l'incandescente philosophie qui éclaire
chacune des lignes de cette avancée législative majeure, qui...
Et puis non, lisez vous même:
"Préserver
le lien social et l'équité sociale
L'attachement de
notre pays à la gastronomie et au fait de « bien
manger » est une manière de préserver le lien
social. Tant que l'on mangera encore ensemble, ou encore en même temps
(dîner à heure fixe), on gardera des liens familiaux, amicaux et
sociaux forts.
Par ailleurs, la
fracture alimentaire est une réalité, et qui risque
de se renforcer. Le prix est encore l'élément
déterminant de l'achat et les restrictions que s'imposent certaines
catégories de population hypothèquent leur santé future
et celle de leurs enfants. Il fait partie des rôles de l'État
que de compenser certaines inégalités de conditions de vie en
aidant à accéder à des produits de première
nécessité de qualité."
Le gouvernement va aider les
familles modestes à manger "ensemble" et "à
heures fixes" pour "préserver le lien social" et
conserver des "liens familiaux forts". Heureusement que
l'état est là pour resserrer mes liens familiaux... Mais
faudra-t-il regarder l'allocution télévisée quotidienne
de Kim Jong Il pendant que nous mangerons, pardon, "renforcerons notre
lien social" ?
Serait-ce mon lien social qui
est trop resserré ? J'ai l'impression d'étouffer...
Le retour de la bulle...
Mais finissons en
apothéose avec une autre
nouvelle taxe en préparation, puisque, vous le savez,
ce gouvernement répète en toute occasion qu'il n'augmente pas
les prélèvements obligatoires. Mais une taxe, c'est
différent, pas vrai ?
L'image ci dessus nous apprend
(cliquer dessus pour l'agrandir) que M. Le Maire voudrait faire subventionner
l'installation des jeunes agriculteurs et les collectivités locales
par une taxe supplémentaire sur la plus-value de la revente de
terrains devenus constructibles. Je vous rappelle qu'au sommet de la bulle,
la différence de prix "de marché" - très contrarié il est vrai
- entre terrain agricole non viticole et terrain constructible non
viabilisé atteignait couramment un facteur 400 et plus. Aujourd'hui
encore, la différence de prix entre terrain constructible et inconstructible
reste très élevée.
Retour de la bulle
immobilière: certain !
Je suis donc en mesure de vous
annoncer la formation d'une nouvelle bulle immobilière et
foncière de grande ampleur dès que l'économie retrouvera
un semblant de couleurs, si la loi est votée. La seule mince
consolation est que ce redressement économique durable n'est pas pour
demain, mais ce n'est pas franchement une bonne nouvelle.
En effet, une commune dispose
d'un stock de terrains à transformer en parcelles constructibles limités.
Va-t-elle, si elle veut maximiser ses revenus, chercher à
libérer beaucoup de terrain à faible prix ? Ou au contraire
va-t-elle chercher à obtenir le meilleur rapport entre rentrées
fiscales et surface "consommée", sachant que plus un groupe
de communes d'un même bassin géographique limitera la
constructibilité des terrains, plus le différentiel entre
terrains constructibles et terrains agricole va s'accroitre ?
Vous avez compris: la
deuxième alternative est la plus séduisante. La loi, si elle
passe en l'état, donnera aux communes une formidable incitation
financière à pratiquer à grande échelle le
"land banking", c'est à dire de la rétention
foncière, comme si l'arsenal réglementaire issu du Grenelle
de l'environnement n'était déjà pas
suffisant pour cela.
Les trois principaux exemples
récents de bulle foncière provoquée par le land-banking
des autorités publiques locales sont l'Espagne, l'Arizona et le
Nevada, avec des mécanismes certes un peu différents, mais
relevant de la même logique de maximisation des revenus des
collectivités publiques grâce à la vente de droits
à construire.
Et bien rassurez vous, nous
allons les copier. Et je ne vous parle pas de la lutte entre
propriétaires fonciers pour faire parti des rares gagnants de la
loterie à la constructibilité. Tous les coups seront permis...
Je me demande parfois comment
tout cela va finir, quand l'accumulation d'idioties gouvernementales aura
produit tellement d'effets pervers qu'il ne sera plus possible de contenir la
colère de tous les laissés pour compte du logement, du pouvoir
d'achat, de l'emploi. L'impression que nous nous laissons submerger par une
hausse incontrôlable du niveau de l'intervention publique et de la
dette qui finira par nous noyer, sous l'effet du réchauffement
étatique d'origine humaine...
Et naturellement, quand tout
cela explosera, "on" accusera le grand méchant marché
et ses terrrribles imperfections.
Grosse fatigue.
Vincent Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot (Paris), deux
thinks tanks francophones dédiés à la diffusion de la
pensée libérale, et sympathisant des deux seuls partis
libéraux français, le PLD
et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la
Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Cos