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Jusqu'ici, je ne pouvais me
référer qu'à des études anglo-saxonnes pour
étayer par l'expérience mon affirmation selon laquelle les lois
de zonage restrictives du droit à construire sont un facteur essentiel
de la formation des bulles immobilières.
Et il est vrai que de l'autre côté de la Manche ou de
l'Atlantique, les preuves empiriques et les études
d'économistes confirmant cet état de fait ne manquent pas. Glaeser, Krugman, Cox, Evans,
Barker, entre autres, ont assez
largement documenté ce phénomène, et ont pour la plupart
déjà été cités dans ce blog (cf Liste d'articles en fin de note).
Mais il me manquait une étude française sur ce sujet. Cette
lacune est réparée.
Gabriel Lecat:
influence de la présence d'un POS sur les prix des communes autour de
Dijon
Gabriel Lecat, Ingénieur du Génie Rural, Eaux et Forêts,
et docteur en sciences économiques, a étudié, dans le cadre de sa
thèse de 2006, entre autres, l'influence des POS
(ancêtres des PLU jusqu'à la loi SRU) sur la formation des prix,
et bien d'autres éléments, dans les communes de l'aire
métropolitaine dijonnaise. Puis à l'issue de ce travail,
poursuivant ses travaux, il a publié des articles plus accessibles, et
notamment celui qui nous intéresse ce jour, dans la revue "études
foncières" n°136 de novembre-décembre
2008.
Malheureusement, cette revue ne met en ligne que les "chapeaux" de
ses articles, suivre
le lien ne vous en dira guère plus. Je vais donc
vous en livrer un très court résumé.
Gabriel Lecat s'est posé la question de savoir si les
allégations d'experts tels que Alain Dinin, promoteur (ex
président de Nexity), Paul Lacaze, Ingénieur
Général des Ponts et Chaussées, ou... Vincent
Bénard, blogueur libéral (nommément
cité dans les références de l'article !)
imputant l'envolée des prix immobiliers à la raréfaction
du foncier constructible liée à des règles de zonage
trop strictes, étaient fondés.
Je disais dans mon livre que la relative unité de la
réglementation urbaine en France rendait difficile des analyses
différentielles telles que celles menées par Cox ou Glaeser aux
USA. Mais il existe, sans doute pour peu de temps encore, quelques endroits
où cette uniformisation n'est pas totale.
Le département de côte d'or fait partie des départements
les plus morcelés de France en terme de nombre de communes, avec 787.
La moyenne nationale tourne autour de 360, et un département pourtant
nettement plus peuplé comme la Loire Atlantique plafonne à 210.
Aussi trouvait-on encore à la date de l'étude des communes non
munies de PLU, voire même de cartes communales, et simplement soumises
au règlement national d'urbanisme, ce qui donne plus de souplesse aux
propriétaires pour bâtir. Là encore, la comparaison avec
la Loire Atlantique est intéressante, puisque dans mon département
de résidence, absolument toutes les communes sont zonées.
Une aire urbaine
morcelée avec des situations multiples
L'aire urbaine de Dijon compte pas moins de 214 communes, soit plus que toute
la Loire Atlantique. Par aire urbaine, il ne faut pas comprendre "aire
continument agglomérée", mais aire dans laquelle un
pourcentage élevé d'habitants travaillent dans une autre
commune de l'aire. En quelque sorte, il s'agit de toutes les communes
fortement dépendantes de l'agglomération dijonnaise en termes
d'emploi. On retrouve donc dans l'aire urbaine des communes à
caractère rural non directement limitrophes de la zone
urbanisée autour de Dijon.
Dans une aire aussi disparate, à l'époque de l'étude, on
trouvait encore des communes non zonées soumises seulement au RNU. Je
crains que les évolutions récentes du droit de
l'aménagement du fait du "Grenelle" de l'environnement ne
contraignent nombre de ces communes à rejoindre le troupeau des
communes zonées à l'avenir, par l'extension du
domaine des "SCOT", mais c'est un autre
débat.
Gabriel Lecat s'est donc livré, sur la base de toutes les transactions
immobilières conclues entre 1998 et 2002, ainsi que sur les bases de
données des transactions agricoles pour une période comparable,
à une analyse différentielle des prix observés sur les
communes avec ou sans POS.
De façon intelligente, il a appliqué des méthodes de
filtrage des données recueillies permettant d'extraire les autres
facteurs de différenciation des prix immobiliers. En effet, le type
d'habitat, de services offerts, d'écoles, diffèrent totalement
dans le centre de Dijon et dans un village à 15-20 km de là, et
les communes centrales sont évidemment toutes zonées, alors que
les communes périphériques de l'aire urbaine le sont plus ou
moins. G. Lecat s'est servi de modèles éprouvés par des
équipes universitaires étrangères européennes
(Heckman et Lozano, explicités dans sa thèse) permettant de
discriminer les différents facteurs de formation des prix et d'isoler
un effet "POS" sur les prix des terrains constructibles, ou
agricoles. Naturellement, ces modèles peuvent être
contestés, mais ils ont le mérite d'apporter une correction au
moins partielle à l'inévitable "biais de
sélection" qu'aurait constitué une simple
"arithmétique de moyennes" des données brutes.
En outre, les prix présentés le sont hors coût de
viabilisation, il s'agit d'un prix de foncier hors travaux.
Ajoutons que la période d'étude correspond au début de
la formation de la bulle immobilière, et que donc l'effet
"crédit facile" y a joué un rôle nettement
moins important qu'entre 2002 et 2007 dans la formation des prix.
Les PLU font-ils
monter les prix ?
Les conclusions de l'étude de G. Lecat sont sans appel:
L'effet des "POS" sur le prix du foncier constructible dans les
communes qui en sont pourvues est une augmentation de 40€/m2 pour un
prix moyen constaté de 47€, soit 85% du prix du terrain ! Compte
tenu des surfaces moyennes du périmètre de l'étude, cela
correspond à une hausse de prix de 37 000€ par terrain ! Et ce
avant le sommet des années bulle. Autrement dit, le prix moyen du m2
terrain si aucune
des communes concernées n'avait été zonée
aurait été de l'ordre de 7€, plus les coûts de viabilisation
! Les POS ont donc imposé en moyenne 37 000 Euros de surcoût aux
acheteurs.
Le prix observé dans les communes sans POS était de seulement
14€ du m2. Si toutes les communes non munies de POS en avaient
été dotées, le prix du terrain dans ces communes aurait
atteint 24€ du m2. La différence de prix "avec POS"
des communes non zonées avec le prix moyen des communes effectivement
pourvues de zonage s'explique par des facteurs qualitatifs autres que le POS
moindres en général dans les communes non zonées,
plutôt rurales, que dans les communes centrales.
A contrario, le prix moyen du terrain agricole est quant à lui
réduit par les POS. Cette réduction est la moyenne de
l'augmentation spéculative des terrains agricoles situés en
bordure de zones constructibles (un
tel terrain agricole "pourrait devenir" constructible, ce qui
augmente son prix), et de la baisse corolaire du prix de la
majorité des terrains auxquels le zonage ôte toute chance
d'être constructible dans un avenir visible. Il est à noter que
le prix moyen du terrain agricole hors côte de nuits
(le vignoble de Marsannay la Côte jouxte la banlieue sud...) se situe
autour de 4000 €/ha, soit 40 centimes par m2, et que sans zonage, ce
prix monterait à 50 centimes environ. Vous pourrez donc noter que le
facteur multiplicatif entre le prix d'un terrain agricole (non viticole) et
celui d'un terrain constructible hors viabilisation pourrait être
estimé à 14 sans POS (les facteurs limitatifs de la
constructibilité sont alors uniquement techniques: possibilité
d'amener les VRD à des coûts raisonnables), et à 120
avec. Et encore, avant la folie des années du sommet de la
"bulle".
Vous comprenez donc pourquoi le zonage devient un enjeu politique majeur
à l'échelon des communes, et que durant les années de
bulle, les affaires de corruption liées aux POS et PLU aient
justifié que les services français de prévention de la
corruption aient cru bon ajouter ce type d'affaires à leur rapport
bisannuel. Mais foin de digression, revenons au travail de G. Lecat.
En bon scientifique, celui ci se refuse à donner à ces chiffres
une signification par trop extrapolée. Notamment, il refuse de dire si
l'augmentation des prix liée aux POS est seulement fonction d'une
limitation quantitative de l'offre générée par les POS
(effet de rareté), ou si le POS, en tant qu'outil de planification,
amène en lui même un surcroît qualitatif aux communes
zonées, justifiant un prix supérieur (effet
d'aménité). En outre, il admet que les résultats sont
ceux de l'agglomération dijonnaise et que d'autres
agglomérations sous des contraintes spécifiques
différentes auraient pu révéler des ordres de grandeurs
différents.
Pour ma part, l'analogie avec les études effectuées dans le
monde anglo saxon précédemment citées, ne me laisse
guère de doute quant à la prépondérance du
facteur de rareté. De plus, dans toutes les aires urbaines de France
ces 10 dernières années, et l'agglomération dijonnaise
n'y a pas échappé, l'accroissement relatif de population a
été plus fort dans les secondes couronnes
périphériques et les communes rurales excentrées, ce qui
tend à prouver qu'un éventuel effet d'aménité
supérieur des communes très zonées, plutôt
centrales, a eu au mieux une incidence très limitée sur les
décisions d'installation des ménages. Je serais curieux de
savoir si M. Lecat, ou d'autres, ont pu approfondir cette question.
Conclusion
L'étude de Gabriel Lecat vient renforcer toutes celles parues dans le
monde anglophone, montrant de façon consistante l'existence d'une
"pénalité réglementaire" lorsque les lois du
sol sont restrictives. Ce phénomène ajoute aux prix du foncier
un "ticket d'entrée" incompressible qui tend à
prendre des proportions incommensurables lors des périodes de
formation de bulles de crédit facile.
Mais si les règles d'autorisation de la construction redevenaient
flexibles, les prix des terrains autour des villes les plus chères
pourraient connaître une chute libre tout à fait salutaire et
être préservés des phénomènes bullaires, ce
qui profiterait à tous ceux qui peinent à se payer un logement
décent avec leurs revenus modestes.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, bientôt la quarantaine,
a une formation d'ingénieur et est un ancien militant syndical de
Force Ouvrière, passé graduellement au libéralisme entre
94 et 2000, ayant fini par déduire de ses multiples expériences
personnelles et professionnelles que l'intervention de l'état ne
résolvait que rarement les problèmes de société
qu'elles prétendait combattre, mais qu'elle était au contraire
en grande partie le problème.
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot
(Paris), deux thinks tanks francophones dédiés à la
diffusion de la pensée libérale, et sympathisant des deux seuls
partis libéraux français, le PLD et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec
Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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