Article
de Business Week (1985).
Repris dans le recueil The
Economics of Life de Gary S. Becker et Guity
Nashat Becker
Au
cours de ces dernières décennies, de nombreux intellectuels ont
prétendu que l'on ne pouvait pas faire reculer le crime sans
changements radicaux de l'organisation sociale et économique. Le crime
serait insensible aux condamnations et aux châtiments car il résulterait
de l'aliénation et des injustices, qui comprennent les conditions
inacceptables de la vie en prison. Dans son livre The Crime of Punishment
[Le Crime du châtiment], le psychiatre Karl A. Menniger affirme
carrément : " J'ai le sentiment que le total des dommages sociaux
engendrés par tous les crimes commis par tous les criminels
emprisonnés reste inférieur à celui des crimes commis
contre eux."
Ce
point de vue engendre un sentiment d'impuissance quant à la
possibilité d'arrêter la montée du crime - sentiment qui
semble avoir eu une influence sur la politique des pouvoirs publics. Les
droits de l'accusé ont été très fortement
augmentés, les juges et les jurys sont devenus de moins en moins
enclins à punir même des personnes à l'évidence
coupables, et on a de plus en plus considéré les policiers non
comme des protecteurs mais comme des agresseurs.
Quelle
qu'en soit la cause, il est clair que le crime a augmenté rapidement
au cours des toutes dernières décennies et que la punition des
criminels a grandement décliné. Le nombre des crimes violents
par personne a plus que triplé aux États-Unis de 1930 à
1980 [Sur le plan méthodologique, rappelons, comme l'a plusieurs
fois souligné Thomas Sowell, que les statistiques sur les meurtres
présentent l'avantage d'éviter les possibilités de
non-enregistrement (sur consigne gouvernementale) par la police officielle,
les cadavres ne pouvant pas être aussi facilement ignorés que
les vols d'auto-radios dans les registres de l'État. A ce titre les
comparaisons sont plus fiables. NdT]. Les crimes contre la
propriété ont augmenté à peu près dans la
même proportion. Les tendances concernant les autres forfaits furent
similaires. En outre, entre 1950 et 1980, la probabilité d'arrestation
des personnes responsables de vols ou d'autres crimes diminua d'environ 50%.
La probabilité de condamner ceux qui étaient
arrêtés diminua également de manière
significative.
Un "métier" attrayant
Il
existe une optique plus ancienne quant à la motivation criminelle,
remontant à Jeremy Bentham, le grand philosophe anglais du
début du 19ème siècle. Cette approche a
été révisée et étendue dans les
années 1960 et 1970 par votre serviteur et d'autres
économistes. Selon l'approche économique, les criminels
répondent, comme tout le monde, à des stimulations. Les
étudiants sont plus nombreux à choisir d'aller dans les
métiers du commerce et de l'ingénieur quand
rémunérations et autres avantages y sont plus grands. De
même, au cours des dernières décennies, plus de personnes
ont été encouragées à commettre des crimes, ou
à commettre des crimes supplémentaires, parce que le crime est
devenu un "métier" plus attrayant au fur et à mesure
que la punition est devenue moins probable et moins sévère.
De
nombreuses études statistiques ont examiné la relation, aux
États-Unis et dans d'autres pays, entre crime d'une part et
châtiment, chômage et autres variables d'autre part, ceci afin de
déterminer si les criminels répondent oui ou non aux
stimulations. Ces études ont trouvé que les crimes passionnels,
tout comme les crimes contre la propriété, diminuent quand les
châtiments sont plus probables et plus sévères. Il en
résulte qu'une grande partie de la montée du crime depuis 1950
a été encouragée par la diminution des punitions.
La
proportion de la population entre 15 et 24 ans a augmenté depuis le
milieu des années 1950 jusqu'en 1980. Ceci a également
contribué à la montée du crime, car de jeunes gens sont
plus enclins à briser la loi. Ici aussi, les effets des stimulations
sont visibles. Les jeunes courent moins de risques d'être punis quand
ils sont arrêtés. Dans les faits, les tribunaux donnent à
chaque adolescent au moins un crime "gratuit." De plus, les jeunes
non qualifiés se tournent vers le crime lorsqu'ils ne peuvent pas
trouver un emploi honnête ou lorsqu'ils ne peuvent trouver que des
emplois mal-payés.
Dissuasion
La
situation semble toutefois prendre un virage prometteur. La frustration et la
peur produites par la montée du crime dans les années 1960 et
1970, ainsi que la résurgence de l'analyse économique du crime,
ont peut-être réussi à modifier la politique publique au
cours des dernières années. Les probabilités
d'arrestation des criminels et de punition de ceux qui ont été
reconnus coupables ont toutes deux commencé à grimper. Le
nombre de prisonniers a augmenté, de façon saisissante, de 40%
depuis 1980.
Les
crimes violents et les crimes contre la propriété ont
également cessé de monter et commencé à baisser.
Ceci est cohérent avec l'analyse selon laquelle les criminels sont
dissuadés d'agir en raison de la punition, bien que la proportion de
la population âgée de moins de 25 ans ait également
commencé à baisser ces dernières années.
On
peut décourager encore plus le crime. De nombreux changements seraient
efficaces, mais ils réclament tous des juges et des
législateurs bien disposés, ainsi qu'une opinion publique
favorable. Voici quelques suggestions pour modifier les incitations agissant
sur les criminels. Depuis 1960, le nombre des officiers de police a
baissé de plus de 50% par rapport au nombre des crimes. La certitude
de la punition peut être accrue par de modestes augmentations des
dépenses locales, au niveau fédéral ou au niveau des
États, afin de développer les forces de police.
De
plus, nous pourrions poursuivre la tendance récente vers des peines
plus lourdes pour les crimes importants et encourager les tribunaux à
rectifier plus profondément certains changements introduits au cours
des années 1960 et 1970 quant aux procédures criminelles.
Dans
le même esprit, nous pourrions exempter les jeunes gens des lois sur le
salaire minimum. Ces lois éliminent les jeunes non qualifiés du
marché du travail et augmentent leur taux de chômage. A son
tour, ce chômage incite les jeunes à s'engager sur la voie du
crime, et particulièrement des crimes contre la
propriété.
L'approche
économique indique que nous ne devons pas nous résigner
passivement au niveau actuel du crime. En apaisant la peur du public, la
réduction du crime consécutive à la mise en application
de ces propositions compenserait largement les coûts économiques
et sociaux.
Traduction : Hervé de Quengo
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