Le bateau
ivre du gouvernement est, en réalité, une machine à
remonter le temps. C’est ainsi que nous sommes trimballés,
depuis le 15 mai 2012, de la Rome de 140 à l’Océania
de 1984. Mais n’oublions pas l’escale en 1810 quand
napoléon régnait sur l’Europe.
Je vois aujourd’hui de nombreuses résurgences de cette
époque. La Commission européenne ne s’occupe-t-elle pas
de tout ? De la couleur des phares des voitures au
calibre des pommes, en passant par l’envoi des cookies par les sites
web sur les ordinateurs des internautes. Chacun a des exemples précis
en tête.
Je fais l’hypothèse que cette fièvre – cette
folie même – réglementaire est une des explications
à la montée des mouvements nationalistes en Europe –
« populistes » diront certains – qui fleurissent
sur le continent et ont comme point commun d’être
anti-européens. Tout comme le despotisme napoléonien fût
à l’origine des révoltes nationales.
Ainsi, en Autriche, le FPÖ (Parti autrichien de la
liberté) de Heinz Christian Strache obtient
22,4 % des voix aux élections législatives de fin septembre
(près de 5 points de mieux qu’en 2008). En Norvège, le
Parti du progrès de Siv Jensen est
entré au gouvernement le mois dernier, après ses 16,4 % aux
législatives. L’Ukip (Parti pour
l’indépendance du Royaume-Uni) obtient 23 % aux élections
locales partielles du mois de mai. Même en Allemagne, Alternative für Deutschland (AfD), apparu il y a six mois, recueille 4,7 % des voix
pour sa première participation électorale lors des
élections fédérales de septembre, manquant de peu son
entrée au Bundestag. Les dernières élections en date,
celles de la République tchèque, ont donné 18,7 % des
voix à l’Alliance des citoyens mécontents (Ano), auxquelles on peut ajouter les 6,9 % d’Aube
de la démocratie directe.
Des résultats électoraux plus anciens sont du même
acabit. Le N-VA (Alliance néo-flamande) atteint 28 % des suffrages en
Flandre lors des élections communales et provinciales belges de 2012,
prenant l’avantage sur le Vlaams Belang,
autre parti nationaliste flamand. En Finlande, le parti des Vrais Finnois a
obtenu 19 % des suffrages aux législatives de 2011 et 39
députés. Au Danemark, le Parti populaire danois obtient 12,3 %
des voix aux élections législatives de 2011, toutefois en recul
par rapport à 2007. En 2010, le Jobbik
(Mouvement pour une meilleure Hongrie) recueille près de 17 % des voix
aux législatives hongroises. Etc.
La France ne reste pas à l’écart de ce mouvement.
Un sondage récent place le Front national en tête pour les
élections européennes de mai 2014 avec 24 % des intentions de
vote. Et nul doute que les élections
municipales de mars prochain verront le parti de Marine Le Pen atteindre des
sommets.
La Commission européenne a-t-elle pris la mesure de cette
poussée nationaliste ? Dans Le
Figaro du 26 octobre 2013, José Manuel Barroso,
le président de la Commission européenne, affirme qu’il
« faut élaguer la forêt normative ».
C’est ainsi qu’il confesse que « les lois
européennes et nationales sont parfois une charge pour nos
économies. Il faut y remédier ! ». Il écrit
également qu’il « est indéniable qu’un
grand nombre de personnes et d’entreprises se sentent mal à
l’aise avec l’Europe et soupçonnent une charge
administrative trop lourde et des initiatives trop souvent
intempestives ».
Barroso affirme que la Commission a « proposé de
nombreuses solutions concrètes pour alléger la
législation européenne et la rendre ainsi moins
coûteuse ». Il déclare encore que « la
Commission ne définira pas, par exemple, de normes de
sécurité pour les coiffeurs. Ce point n’a pas besoin
d’être réglementé au niveau de l’Union
européenne et il ne nous appartient pas de décider du type de
chaussures que les coiffeurs devraient porter ». Mais il est
probable qu’il ne s’agisse là que d’un vœu
appelé à rester pieux. En effet, Barroso termine sa tribune en insistant
sur le fait que « chaque fois qu’il faudra avancer
d’un cran dans le niveau d’intégration ou de
réglementation, nous serons déterminés à prendre
nos responsabilités » !
Certes, la Commission européenne a fait marche arrière
sur l’interdiction des talons aiguilles dans les salons de coiffure.
Certes, elle a reculé devant le tollé provoqué par son
projet de réglementation de la bouteille d’huile d’olive.
Bruxelles voulait, en effet, interdire de servir l’huile au restaurant
dans des petites jarres en verre. Et obliger, à la place,
d’utiliser des bouteilles scellées et non réutilisables,
afin d’empêcher la fraude.
En revanche, l’Union européenne vient bien de
réduire la teneur minimale en sucre dans les confitures. Et de
nouvelles règles sont attendues prochainement sur le nombre de litres
que doivent utiliser les chasses d’eau.
Certains pays – Grande-Bretagne, Pays-Bas et Allemagne en
tête – demandent le rapatriement d’une partie des pouvoirs
de la Commission dans les États nationaux. La France ne semble pas
s’être jointe à la demande. Et quand bien même elle
le ferait, ce serait aussitôt pour réglementer autant, sinon
plus, que l’Union européenne.
Alors, sommes-nous en 1810 ?
L’avenir nous le dira. Quoi qu’il en soit, nous ne demandons pas
à François Hollande d’être Napoléon. Nous
lui proposons un autre rôle, celui de « Doc » Emmett Brown, le savant fou de Retour vers le futur. Il aurait alors le pouvoir de nous ramener en
1966 quand Pompidou disait à Chirac, qui lui présentait une
pile de décrets à signer : « Mais arrêtez donc
d’emmerder les Français. Il y a beaucoup trop de lois, trop de
règlements dans ce pays ».
Ce pourrait être le rôle de sa vie.
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