Les Français reprochent au gouvernement ne pas savoir où
il va, de naviguer sans cap précis. Certes, ce constat n’est pas
nouveau et le reproche a été fait à la plupart des
gouvernements précédents. Celui-ci semble seulement vouloir
ramer plus fort vers une destination qu’il ne connaît pas.
Mais, n’est-ce pas se fourvoyer que de penser cela ? En
effet, plus j’y réfléchis, plus je me demande si le
bateau ivre gouvernemental n’est pas, en réalité, une
machine à remonter le temps. Nous voyagerions alors d’une
époque à l’autre, sans jamais bouger d’un pouce.
D’où l’impression, erronée, que nous
n’avançons pas.
Examinons rapidement les différentes années
traversées récemment, selon diverses sources :
-
140 : à
la suite de Lawrence Reed, Damien Theillier
s’interrogeait ici même « Sommes-nous Rome ? ».
À cette époque,
la société romaine ne pense qu’au pain et aux jeux. Les
impôts augmentent constamment, et une bureaucratie tentaculaire est
chargée d’organiser la spoliation et le travail forcé, et
d’écraser les fraudeurs.
-
1358 : en pleine
guerre de Cent Ans et dans un contexte de crise politique et militaire, de
pression fiscale accrue, la Grande Jacquerie voit les paysans se
révolter violemment contre la noblesse à laquelle ils
reprochent son manque de considération.
-
1450 :
l’année où fut inventée l’imprimerie est
souvent avancée pour délimiter le début de la
Renaissance. Renaissance qui marque, à son tour, le commencement de
l’Ancien Régime. Thierry Lentz voit,
en effet, le retour de cette période dans la décentralisation
et la recréation de baronnies provinciales, source d’incroyables
gabegies.
-
1675 : la
Bretagne se révolte avec les Bonnets rouges, alors qu’elle
connaît une crise économique profonde dans le secteur du
textile, et que Colbert ne trouve rien de mieux que de l’accabler de
nouvelles taxes.
-
1784 :
c’est l’année où l’on commence à
ériger le mur des fermiers généraux dont il est question
dans mon précédent article.
-
1789 : le climat
actuel apparaît prérévolutionnaire pour beaucoup de
commentateurs. Il est vrai que la France connaît alors comme
aujourd’hui de multiples crises – économique,
financière, institutionnelle, morale, religieuse, sociale – dont
le mélange peut être détonnant.
-
1942 : si
j’en crois le député socialiste Bernard Roman, les heures
sombres de notre Histoire sont de retour, avec la « rafle »
dont a été victime la très médiatique Leonarda Dibrani.
-
1956 : cette année là, aux élections législatives,
seul un électeur sur deux s’est prononcé en faveur
d’un des partis de gouvernement. Ces résultats annoncent 1958 et
la fin de la IVème
République.
-
1968 : à
l’occasion des manifestations contre le mariage gay, on a beaucoup
parlé d’un Mai 68 à l’envers. Mais qu’est-ce
donc que 68 à l’envers ? 86, 98 ou 89 ?
-
1981 :
François Mitterrand arrive à l’Elysée, et avec lui
les mesures dont nous payons aujourd’hui encore la facture (nationalisations,
cinquième semaine de congés payés, lois Auroux, retraite
à 60 ans, etc.). Finalement, le gouvernement Mauroy tombera
malgré le « tournant de la rigueur ».
-
1984 : depuis de
nombreuses années déjà, la novlangue a envahi les
espaces médiatiques. Certains mots, expressions, idées sont
interdits par la police du politiquement correct.
Je suis conscient d’avoir loupé nombre d’escales de
ce Radeau de la Méduse qu’est le navire piloté par
François Hollande. Je sais que vous ne manquerez pas de m’en suggérer
bien d’autres.
De mon côté, j’ai une autre date à proposer :
1810.
En 1810,
Napoléon 1er règne sur l’Europe. Il
règne directement sur la France et ses conquêtes, et
indirectement sur les pays vassaux à la tête desquels il a
placé ses pions : le Benelux, les États allemands, l’Italie, une partie des
Balkans, l’Espagne, la Confédération helvétique,
le duché de Varsovie, la Suède.
À côté – ou plutôt au-dessous –
de l’empereur, on trouve la masse des exécutants chargés
d’appliquer les décisions du tyran. Car Napoléon
s’occupe et décide de tout. L’historien Jean Tulard en donne des exemples édifiants : la
levée des conscrits, l’état des routes, les
dépôts de mendicité, le budget de l’Opéra de
Paris. À la veille de la bataille de Leipzig, décisive pour
l’avenir de l’Allemagne, il trouve le temps de signer la pension
de la veuve d’un commissaire de police et de ratifier des
élections à l’Institut de France.
Partout Napoléon entend imposer le code civil et
l’unification des lois. Cette ardeur à tout régenter et
à tout uniformiser se terminera mal pour l’Empire et son chef.
En effet, petit à petit, les nationalismes se réveillent et les
peuples se soulèvent, en Espagne d’abord, puis en Allemagne, en
Hollande, en Italie, en Suisse. C’est le début de la fin.
À
suivre
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