Même des banques étrangères ont une exposition absurdement élevée
à la dette italienne.
La terrible « boucle du chaos » – soit lorsque des banques
bancales détiennent de la dette de pays tout aussi bancals, ce qui augmente
le risque de contagion au système financier si l’un de ces 2 acteurs vacille
– est bien toujours d’actualité malgré les gros efforts de Mario Draghi visant
à transférer la dette italienne des banques à la BCE. C’est l’opinion d’Éric
Dor, directeur des études économiques de l’école de commerce de l’IESEG, qui
a calculé l’exposition individuelle des banques à la dette italienne.
La boucle du chaos est un problème qui concerne particulièrement la zone
euro vu que les états membres ne contrôlent pas leur propre monnaie. Ils sont
incapables de résoudre le problème de la dette par la création monétaire.
La Banque d’Italie, au nom de la BCE, a acheté pour plus de 350 milliards
de bons du Trésor ces dernières années. L’ampleur de son portefeuille a
dépassé celui des banques italiennes, qui ont commencé à se débarrasser de
ces obligations vers la mi-2016, faisant ainsi de la banque centrale le
second porteur d’obligations italiennes après les sociétés d’assurance, les
fonds de retraite et autres sociétés financières.
Mais les banques italiennes possèdent encore énormément de dette de leur
pays. D’après une étude de la BRI, la dette italienne représente presque 20 %
des actifs de ces banques, il s’agit de l’un des ratios les plus élevés du
monde. Au total, il y a plus de 10 banques dont le portefeuille d’obligations
italiennes représente plus de 100 % du CET1 (capital de catégorie 1),
d’après les recherches de Dor. La liste inclut les 2 plus grandes banques
italiennes, UniCredit et Intesa Sanpaolo, dont l’exposition à la dette
italienne représente 145 % de leur CET1. Dans cette liste on trouve aussi
Banco BPM (327 %), MPS (206 %), BPER Banca (176 %) et Banca Carige (151 %).
Des banques qui possèdent des portefeuilles aussi importants et concentrés
sur les obligations de leur pays posent une menace réelle à la stabilité
financière. La BRI imagine un scénario dans lequel l’exposition souveraine
jusqu’à 100 % du capital requis serait toujours considérée comme sans risque,
tandis qu’une exposition supérieure à 100 % exigerait davantage de capital.
Mais toute tentative de se débarrasser de la boucle du chaos en éliminant le
statut du risque zéro à certaines obligations a rencontré, pour des
raisons évidentes, une farouche résistance de la part des lobbys bancaires et
des politiciens de pays comme l’Espagne, la France et l’Italie.
Les recherches de Dor montrent qu’au-delà des frontières italiennes, de
nombreuses banques ont une exposition absurdement élevée à la dette
italienne. Cela inclut la banque publique belge too big to fail
Dexia, qui a déjà été sauvée à 2 reprises de la faillite et dont le
portefeuille d’obligations italiennes représente un incroyables 320 % de son
capital de catégorie 1. Mais ce n’est encore rien par rapport au portefeuille
de la banque publique française Société de Financement Local, SFIL, qui fut
créée après le dernier renflouement de Dexia. Son portefeuille de dette
italienne atteint le ratio incroyable de 480 % de son capital de
catégorie 1.
Deux autres banques étrangères sont dangereusement exposées à la
dette italienne : la portugaise Caixa Central de Crédito Agrícola Mútuo,
dont le portefeuille représente presque le double de son capital de catégorie
1, et la banque espagnole Banco de Sabadell (102 %). Deutsche Pfandbriefbank
AG, une banque allemande spécialisée dans l’immobilier et le financement du
secteur public, a une exposition de 82 %. Elle est de 25 % chez BNP
Paribas et de 42 % chez Commerzbank.
Il est clair que le risque de contagion en cas de crise bancaire en Italie
reste un problème, principalement à cause de la BCE qui a fourni des
liquidités quasi illimitées aux grandes banques européennes et au marché
obligataire.
Cela a permis le maintien d’une dangereuse relation de
dépendance mutuelle entre les gouvernements et les banques. Lorsque les
banques investissent lourdement dans la dette gouvernementale, elles
deviennent dépendantes des bonnes performances du gouvernement, ce qui est
loin d’être un acquis, surtout dans la zone euro. Simultanément, les
gouvernements dépendent des achats continus des banques malgré le coup de
fouet massif à la demande donné par la BCE avec son QE.
Mais il y a tout de même un changement dans cette dynamique : l’équation
de la boucle du chaos contient désormais 3 acteurs au lieu de 2, vu que
désormais les banques et les gouvernements sont également devenus très
dépendants des largesses de la BCE. À travers les banques centrales de la
zone euro qui sont ses succursales, la BCE possède désormais 18 % de
l’intégralité des obligations italiennes. Durant le 4e trimestre de 2017, les
banques italiennes ont vendu un montant sans précédent de 40 milliards
d’euros d’obligations transalpines (dont 10,5 % en provenance du stock existant)
à la BCE. Soit quelque chose qui ressemble furieusement à une ruée vers la
porte de sortie alors que la BCE envisage de mettre un terme à son programme
d’achats obligataires.
Le problème est que la BCE est le seul acheteur net du marché. En fait, en
octobre de l’année dernière, la banque centrale a acheté 7 fois plus
d’obligations que les émissions mensuelles de l’époque, d’après les calculs
de l’économiste de la Deutsche Bank Torsten Slok. Même aujourd’hui, le QE
version light de la BCE représente 3 fois les émissions. À titre de
comparaison, le QE de la FED, même à son pic, n’a jamais représenté plus de
90 % des émissions obligataires du Trésor américain. Comme l’économiste
espagnol Daniel La Calle le fait remarquer, dans un tel environnement il est
impossible pour la BCE de savoir quelle sera la demande réelle pour les
obligations européennes lorsqu’elle se retirera du marché.
Article de Don Quijones, publié le 15 mars 2018 sur WolfStreet.com