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Cours Or & Argent

Mariage annulé, une hystérie collective

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Publié le 04 juin 2008
2282 mots - Temps de lecture : 5 - 9 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

J'ai, comme tout le monde, entendu parler de "l'affaire" qui secoue le landernau politico médiatique, qui a déchaîné la presse bien pensante et mal entendante, et provoqué un beau capharnaüm judiciaire, je parle évidemment de l'annulation du mariage de deux époux pour cause, selon la presse, de non virginité de la promise. Je dis bien "selon la presse", car, une fois de plus, la présentation des faits par les principaux médias et les associations qui ont cru bon de profiter de l'événement pour se faire entendre a été biaisée et trompeuse, comme si les commentateurs voulaient "fabriquer" l'opinion sur cette affaire plutôt que de laisser chacun se déterminer.

 

Bien qu'en école d'ingénieur, le droit ne soit pas la priorité des élèves, quelques réminiscences des cours d'introduction aux principes du droit me sont revenues -- en fait, elles ne m'ont jamais vraiment quittées... --, qui ont aussitôt allumé une petite lumière rouge dans un coin de ma tête. En effet, même au pays d'Outreau, qu'un juge puisse prononcer un jugement sur de supposés attendus, tels que les radios les avaient présentés, tellement en dehors des principes de notre droit, me paraissait surréaliste. Je me suis dit qu'il fallait, pour se faire une opinion précise, lire les attendus du jugement.

 

Fort heureusement, il y a dans la blogosphère une île de sagesse juridique au milieu d'un maëlstrom de brutes aboyeuses promptes à profiter de n'importe quel événement mineur pour faire passer n'importe quel message. Maître Eolas, c'est de lui qu'il s'agit, avait sûrement déjà dégrossi l'affaire. je suis donc aller visiter son excellentissime blog, que j'avais un peu déserté ces derniers mois, pardon, maître.

 

J'avais raison de me méfier de la façon dont la presse présentait l'affaire. Que n'avait-on entendu ? Que les filles non vierges ne pourraient plus se marier sans être menacées d'annulation du mariage, que la justice se pliait aux diktats de l'islam radical, que le jugement rompait l'égalité de l'homme et de la femme devant le mariage...  D'autres, plus sobrement, estimaient que les lois appliquées par le juge étaient surannées et devaient être révisées.

 

Foutaises. Maître Eolas remet les faits en place:

 

Le tribunal a appliqué un article du code civil (art.180), lequel traduit un vieux principe de droit disant que l'acceptation d'un contrat -- et le mariage civil est, dans les faits, un engagement réciproque, donc un contrat de vie commune entre personnes -- doit être libre et fondée sur des bases sincères.

 

En l'occurence, la mariée rejetée par l'époux a reconnu avoir menti sur son état de virginité, et avoir eu conscience de l'importance de ce point pour l'époux. Elle savait qu'une autre réponse de sa part n'aurait pas conduit au mariage. Plus important, le couple, constatant que le mariage partait sur des bases malsaines, le mari déclarant que l'amour n'était plus possible du fait de ce mensonge préalable, s'est dans les faits séparé le lendemain de la nuit de noces, le mariage n'est donc pas entré dans une phase active.  Lorsque le mari a demandé l'annulation au motif "d'erreur sur des qualités essentielles de la mariée", formulation exacte de l'article 180, la mariée en a accepté les termes. le juge a demandé l'avis du parquet, celui ci a estimé que la décision relevait de l'appréciation du juge, et de rien d'autre. Bref, "affaire ordinaire". La séparation de fait s'est produite il y a plus d'un an, les deux futurs ex-époux ont vaqué à d'autres occupations, et la justice, à un train de sénateur, a fini par entériner l'accord entre les deux parties. 

 

Extrait de la plaidoirie, pardon, de l'exposé de Maître Eolas (c'est un pseudo):

 

Le jugement ne dit absolument pas que le mariage d'une femme non vierge est nul, ni que la virginité est une qualité essentielle de la femme. Il dit ceci et rien d'autre. Madame Y… a menti à Monsieur X… sur un point qu'elle savait très important pour lui. Elle savait que si Monsieur X… avait su la vérité, il ne l'aurait probablement pas épousé. Et d'en tirer les conséquences légales que lui demandent les deux époux dans ce qui après tout est leur vie.

 

Leur vie. Leurs épreuves. Leurs choix. Leur solution de sortie du problème. Et non, il faut que des associations que cela ne regarde pas critiquent des choix qui sortent de leur doxa, et poussent l'état à empiéter un peu plus sur la sphère privée des individus.

 

Là où les indignés des micros se muent tous en Tartuffe, c'est quand on se demande ce qu'il serait advenu en cas de rejet de la demande. Ces époux seraient-ils restés mariés et auraient-ils vécu heureux avec beaucoup d'enfants ? Non, ils auraient divorcé. Par consentement mutuel, puisqu'ils étaient d'accord pour se séparer. Consentement mutuel qui exclut que soient abordés les raisons du divorce. Donc dissolution du mariage, mais l'honneur est sauf : on ne saurait pas pourquoi.

 

Bref, prenez ce mouchoir et cachez-moi cette virginité que je ne saurais voir. Tartuffe est toujours face à Dorine.

 

Le juge n'a clairement pas statué sur la virginité de la demoiselle, mais sur le fait que le consentement de l'un des époux avait été obtenu par un biais induisant  la non sincérité des bases du contrat moral que constitue le mariage. Constatant que le mariage ne pouvait être viable, au vu de la situation, il a pris ce qu'il estimait être la meilleure décision: accepter l'annulation du mariage, sur laquelle les deux parties s'étaient mises d'accord. Jamais il n'a été question de la religion des époux. 

 

Un point non évoqué par le meilleur avocat de la blogosphère: une annulation de mariage, bien que rare, est une procédure encore usitée (par exemple, lorsque le mari s'aperçoit que l'épouse est un travesti, ou l'épouse que le mari est un délinquant en cavale, ...), qui présente une différence majeure avec un divorce. Le mariage étant considéré comme n'ayant pas eu lieu, les patrimoines des deux époux sont d'office remis, autant que faire se peut, à l'état initial. En cas de divorce, et si aucun contrat n'a été signé, la situation peut être différente. J'ignore quelle était la situation patrimoniale des époux, mais il est possible que l'annulation ait aussi été préférable au divorce pour cette raison. Mais ce n'est qu'une hypothèse.

 

Bref, l'annulation du mariage  est, çà l'évidence, une décision conforme et au droit, et à l'intérêt des parties.  Le juge s'est appuyé sur la notion de "qualité essentielle" figurant dans l'article 180 pour motiver son jugement, en bon magistrat, selon une figure rhétorique assez habile décrite en détail par Me Eolas.

 

J'entends d'ici bruisser la rumeur indignée des bien pensants : "comment donc le juge a-t-il pu estimer, au XXIème siècle, que la virginité était une qualité essentielle d'une mariée ?"

 

Parce que dans l'ancien temps, le législateur (il s'agit d'une vieille loi), encore intelligent, évitait parfois judicieusement de se mêler de ce qui ne le regarde pas,  et a bien pris soin de ne pas stipuler ce qu'étaient les qualités essentielles d'un ou d'une mariée. En clair, il a estimé que la définition de ces qualités essentielles relevait de l'appréciation des mariés eux mêmes, puis de celle du juge, pleinement investi du pouvoir d'apprécier la situation, chaque affaire judiciaire étant unique.

 

Sans doute certains jugeront-ils excessif ou ringard d'exiger d'une future épouse qu'elle soit encore vierge à la noce, à notre époque. Mais si nous avons le droit de porter un jugement moral sur l'affaire, le juge du droit, lui, ne peut se placer sur ce plan. A partir du moment où les termes du consentement étaient clairs, et la mariée a confirmé qu'ils l'étaient, et que le fiancé avait bel et bien exprimé le caractère essentiel que représentait celle ci le caractère de la virginité de sa promise, alors "l'erreur sur des qualités essentielles de la personne" était constituée.  Il appartenait au juge d'estimer  si l'erreur justifiait l'annulation du mariage. Pour les raisons évoquées plus haut :  caractère illusoire du maintien dans l'état de mariés d'un couple séparé depuis la nuit de noces, accord des deux époux, sans oublier l'absence d'opposition de la hiérarchie judiciaire à l'époque, celui ci a estimé que oui. Où est le scandale ?

 

Parce qu'une association, dont par ailleurs le combat pour l'émancipation des femmes au sein d'un système religieux et culturel tout à fait patriarcal et oppressif est parfaitement respectable, a décidé de se saisir de ce jugement pour partir en croisade contre l'exigence de virginité des femmes hors mariage exprimée par certaines communautés religieuses intégristes et rétrogrades, le ministère public, va se mêler d'une affaire privée qui devrait être classée, va remettre les deux ex-époux en position de devoir revivre un moment difficile... Alors même que Rachida Dati avait dans un premier temps soutenu la décision de son magistrat. Déplorable flip-flop sous la pression de l'opinion, nos politiciens n'ont décidément aucune constance.

 

Pire encore, certains évoquent déjà une loi, encore une, votée sous le coup de l'émotion, pour rendre impossible l'annulation du mariage en de telles conditions. Imaginons qu'une telle loi existe, qu'est-ce que cela changerait pour la jeune fille, ou pour toutes les jeunes filles qui subissent la pression de leur milieu pour se présenter vierge au mariage, voire pour aller chez un chirurgien se refaire l'hymen ? Rien. Rien du tout. La culture de la soumission de la femme aux interdits sexuels d'un patriarcat arriéré ne disparaîtra pas du jour au lendemain parce que le législateur aura amendé les clauses d'annulation d'un mariage civil.

 

Au contraire. Dans le cas présent, l'époux estimant le pacte amoureux brisé a fait appel à la loi et à la justice pour régler son cas d'une façon prévue par les textes : comportement normal et louable. On est  très loin d'un excité intégriste décrit sur certains forums, même si sa conception du mariage est rétrograde. Si la loi officielle l'en avait empêché, ne lui serait restée comme possibilité légale que le divorce, dont j'ignore s'il aurait induit un traitement différent de l'affaire, notamment au plan patrimonial. Ajoutons que, dans certains systèmes de pensée culturels et religieux, l'annulation est peut être préférable au divorce, notamment... Pour la jeune fille. Nombre de religions ne permettent pas le remariage religieux des divorcés. Certes, en l'occurence, la justice ne s'est intéressée qu'au mariage civil, mais les deux sont en France souvent assez liés.

 

On peut  craindre que dans des conditions identiques, l'absence de possibilité d'annulation du mariage puisse conduire les époux à des solutions plus extrêmes: jugements d'immams au nom de la Sharia dans des tribunaux spontanés. Les jeunes filles que les bien pensants prétendent protéger de l'arbitraire des mâles confinés de leur morale moyennâgeuse y gagneraient elles quelque chose ?

 

L'histoire ne dit pas quel aurait été le jugement si l'épouse éconduite avait refusé l'annulation. De même, certains évoquent la porte ouverte à d'autres motifs de demande d'annulation tels que le défaut d'excision: le jugement eut sans doute été totalement différent , un juge normalement constitué ne peut considérer qu'une mutilation est une qualité essentielle, fussé-ce l'avis des époux. Il est donc essentiel que la nullité d'un contrat tel que le mariage reste examinée par un juge. Mais le problème s'est sûrement posé et se posera encore. La résolution de ces situations très difficiles exige que la justice, d'une part, puisse en être saisie (c'est préférable à la Sharia des caves...), et que, d'autre part, elle puisse les juger sereinement sur des bases solides.  Ce n'est pas en exposant les couples soumis à ce type de difficulté au risque d'être jetés en pâture aux médias et à l'hystérie de certains, ajoutant la honte de la publicité à une épreuve difficile, que l'on incitera les familles à choisir la voie judiciaire pour trancher ce type de litige.

 

Il reste néanmoins permis de se demander si le problème de fond ne vient pas de l'existence d'une procédure de mariage civil, si le mariage proprement dit ne devrait pas être laissé à la sphère religieuse, et si les aspects hors mariage de la vie commune, relatifs aux enfants, au patrimoine, et aussi aux clauses de rupture du contrat, si ça tourne mal, ne devraient pas relever exclusivement de contrats de droit civil, et leur rupture d'un jugement de type civil. Une telle approche  parait radicale, mais au moins  obligerait-elle les futurs mariés à bien s'entendre sur ce qu'ils attendent l'un de l'autre, de la vie commune, du couple...  Aujourd'hui, nombre de mariages mal conclus finissent en divorce, sans parler des unions libres. Une réflexion préalable sur le sens donné au couple, autour d'un contrat privé de vie commune, ne serait-elle pas préférable à  un catalogue standard d'obligations devenues sans valeur juridique rappelées par le maire le jour du mariage ?

 

Vincent Bénard

Objectif Liberte.fr

Egalement par Vincent Bénard

 

Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones dédiés à la diffusion de la pensée libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement, crise publique, remèdes privés", ouvrage publié fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de marché pour y remédier.

 

Il est l'auteur du blog "Objectif Liberté" www.objectifliberte.fr

 

Publications :

"Logement: crise publique, remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat

Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république, bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La doc française, avec Pierre de la Coste

 

 

Publié avec l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits réservés par Vincent Bénard.

 

 

 

 

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