Avec
une prévisibilité quelque peu navrante, la droite conservatrice
remet ces jours-ci le couvert sur un de ses thèmes favoris : le mariage
homosexuel, cause (ou conséquence) du déclin de notre
merveilleuse civilisation occidentale que le monde entier nous envie.
L’occasion de revenir sur un concept où étatisme et
religion font bien souvent cause commune au détriment des citoyens.
À quelques
jours d’intervalle, donc, François Lebel et Christine Boutin
mènent la charge sur les projets du Parti socialiste (PS)
d’autoriser le mariage homosexuel en France. Et ils n’y vont pas
avec le dos de la cuillère : pour François Lebel, le
mariage homosexuel ne serait rien moins que la porte ouverte
à la polygamie, à l’inceste et à la
pédophilie. Il faut donc s’y opposer avec la dernière
énergie. Dont acte. Cette sortie est en tout cas la preuve que,
malgré la prétendue séparation de l’Église
et de l’État, le mariage civil conserve un caractère
sacré.
La sacro-sainte « norme
sociale »
En
réalité, le mariage, même civil, est loin
d’être idéologiquement neutre, au contraire. Pour pouvoir
jouir des avantages que procure le mariage – essentiellement en termes
d’organisation patrimoniale et successorale – un couple doit
montrer patte blanche. Le mariage doit concerner un homme et une femme, ces
derniers doivent impérativement vivre ensemble, et se doivent qui plus
est « mutuellement secours et assistance ». Cette
situation devrait nous amener à nous poser deux questions :
·
Pourquoi
le mariage confère-t-il encore aujourd’hui des avantages
patrimoniaux et successoraux ?
·
Pourquoi
cette institution juridique, censée être vierge de toute
idéologie religieuse en vertu du principe de séparation de
l’Église et de l’État, impose-t-elle encore ces
trois obligations ?
Le mariage, outil patrimonial
Actuellement,
tant en Belgique qu’en France, le mariage reste avant tout un outil
patrimonial. Même si PACS (France) et cohabitation légale
(Belgique) adoucissent la facture, certaines différences subsistent en
termes de droits de succession. En-dehors même de la
légitimité – plus que contestable – d’un tel
impôt, ce dernier est en effet majoritairement orienté de
manière très conservatrice : il favorise la famille, et
encore plus la famille proche. Or, hors des liens du mariage, les individus
en couple sont considérés comme de parfaits étrangers et
doivent donc régler des droits de succession substantiels en cas de
décès du conjoint. Le mariage « corrige »
le tir en permettant à un couple de devenir proches au sens
successoral du terme, et donc de bénéficier de droits de
succession réduits. Les formes de cohabitation récemment
introduites permettent des aménagements semblables, mais les couples
mariés restent malgré tout privilégiés.
Une distinction archaïque
La subsistance
de cette distinction a-t-elle une raison d’être ? Nous
entrons là en plein dans le défaut majeur du mariage civil sous
sa forme actuelle : il introduit une discrimination fiscale entre les
individus que la loi autorise à se marier et ceux à qui le
législateur refuse cette possibilité. Ainsi les homosexuels, les polygames,
les polyandres… mais aussi les couples qui auraient le malheur de
choisir de ne pas vivre ensemble, ne peuvent pas se marier. Le Code Civil
impose effectivement aux mariés l’obligation de vivre sous le
même toit. En France, aujourd’hui, l’homosexualité
– comme toutes les pratiques amoureuses qui n’impliquent pas un
couple hétérosexuel - est fiscalement
pénalisée !
Les fourches caudines de la
bien-pensance
Pour
bénéficier de facilités en matière de
fiscalité et de succession, les individus censément libres qui
vivent sur notre territoire doivent donc passer sous les fourches caudines de
la bien-pensance. En clair, au début du 21ème
siècle, et alors que nous avons depuis longtemps –
prétendument – entériné la séparation entre
l’Église et l’État, nos pays établissent
encore une discrimination fiscale envers les individus qui auraient le
malheur de ne pas se confirmer aux canons de la pratique chrétienne du
mariage : l’union d’un homme et d’une femme.
Deux réponses
insatisfaisantes
À ce
stade, nous voici donc bien en peine d’apporter une réponse
rationnelle et sans contradiction à nos deux questions : la
subsistance des avantages fiscaux et patrimoniaux octroyés aux couples
mariés leur permet, certes, d’échapper à la
fiscalité pénalisante, mais à la seule condition
d’être conformes à un idéal chrétien bien
peu compatible avec les valeurs de la République. Ou du Royaume de
Belgique, d’ailleurs, car même si ce dernier accepte
aujourd’hui le mariage homosexuel, il fronce toujours les sourcils
envers les couples qui n’habitent pas sous le même toit, les
trios, les quatuors….
Une confusion dangereuse
Un cynique
pourrait penser que ces limites à ce qui est permis dans le cadre du
contrat de mariage résultent uniquement de préoccupations
fiscales : si demain je peux me marier avec qui je veux (mon meilleur
ami, mes deux copines bisexuelles ou même tout le monde ensemble), ces
gens bénéficieront d’un régime de succession
avantageux. Et là, le Trésor y perdrait. Mais est-ce si cynique
de penser cela ?
Nous pouvons
en tout cas estimer avec raison que ceux qui s’opposent aujourd’hui
au mariage homosexuel ou à la polygamie pour des raisons
idéologiques contribuent, dans une démocratie occidentale
soi-disant éclairée, à perpétuer un obscurantisme
fiscal qui consiste à punir financièrement ceux qui ne se
comportent pas comme de bons chrétiens.
Sortir le mariage de la sphère
publique
Pour sortir de
ce dilemme, il n’y a qu’une seule solution :
1°) mettre fin aux discriminations
fiscales qui favorisent les couples mariés.
2°) sortir
le mariage – au sens ancien du terme – de la sphère
publique et le laisser réintégrer la sphère
privée, qu’elle soit philosophique ou religieuse. De cette
façon, chaque communauté – religieuse ou laïque
– pourra entériner les unions selon ses principes
éthiques et moraux sans que cela puisse avoir de conséquences
pécuniaires pour les individus.
Une solution
qui, hélas, risque fort de ne jamais passer la barrière de
l’étroitesse d’esprit et de l’avidité des
politiciens, toujours prompts à se mêler de la vie
d’autrui, surtout quand cela permet à l’État de
percevoir plus de recettes.
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