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Méthodologie de l'Action humaine

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Extrait des Archives : publié le 28 novembre 2012
1304 mots - Temps de lecture : 3 - 5 minutes
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Rubrique : Fondamental

 

 

 

 

Commentaire sur un article de Vernon Smith

 

Cato Journal, Vol. 19, No. 2 (Automne 1999). Copyright © Cato Institute. (Fichier PDF de la version anglaise)

 

Vernon Smith nous a donné un ensemble très intéressant de réflexions sur L'Action humaine de Mises. Dans le domaine de la méthodologie, L'Action humaine peut être considéré comme un exemple d'apriorisme extrême, alors que Smith peut être considéré comme un empiriste convaincu (du type expérimentateur). Etant donné cela, Smith montre une ouverture d'esprit surprenante et louable envers le livre de Mises.

 

Neutralité éthique et rationalité en économie

 

Mises (1966: 19), citée par Smith, déclare que "L'action humaine est toujours nécessairement rationnelle." Smith nous dit que Mises considère qu'il en est ainsi "parce que la praxéologie est neutre vis-à-vis de tout jugement de valeur concernant ses données - c'est-à-dire les fins ultimes choisies par l'action humaine. Par conséquent, il n'existe pas de base objective permettant d'affirmer que les choix de quiconque puissent être irrationnels." Je crois que le "parce que" de Smith est inapproprié. Bien que le paragraphe cité par Smith parle à la fois de la rationalité de l'action humaine et de la neutralité éthique de la praxéologie, la seconde n'est pas la raison de la première. Nous ne devons pas confondre deux questions distinctes : (1) la signification du terme "rationnel" en économie et (2) la neutralité éthique en analyse économique (Wertfreiheit). Neutralité éthique signifie que l'économie ne s'occupe que de déterminer les conséquences de l'activité du marché et de la politique économique, et pas de les juger selon des critères de bien et de mal. Être rationnel, pour Mises (1966: 20), c'est avoir un comportement décidé, c'est-à-dire essayé de manière délibérée d'atteindre un objectif donné. De plus, "action" veut dire "comportement décidé" (Mises 1966: 11). Le seul comportement non décidé (n'ayant pas de but) est le comportement réflexe. Ainsi, par définition, toute "action" humaine est "rationnelle," qu'on accepte ou non la Wertfreiheit. (Dans la phrase suivant la déclaration cité par Smith, Mises continue ainsi : "Le terme ‘action rationnelle' est donc pléonastique et doit être rejeté comme tel.") On peut accepter la terminologie de Mises et néanmoins rejeter la Wertfreiheit, en considérant que l'économie a une mission éthique et doit juger les décisions comme bonnes ou mauvaises. Les deux questions ne se chevauchent qu'apparemment quand on utilise les termes différemment, en particulier quand un observateur décrit la décision d'un individu comme étant "irrationnelle" en voulant dire "mauvaise" ou "contraire à mes objectifs (à moi, l'observateur)." Mises parle de neutralité éthique afin de prévenir contre cet usage, et non pour expliquer pourquoi l'action humaine est nécessairement rationnelle.

 

L'économie n'est pas une science naturelle

 

Smith propose rapidement une critique constructive : "Il y a plein de parties à mettre à jour chez Mises, en raison de choses que nous pensons savoir aujourd'hui et que nous ne connaissions pas il y a 50 ans," en particulier sur "la nature de la prise de décision humaine." Nos nouvelles connaissances sur la prise de décision proviennent (1) des propres expériences de Smith sur les stimulations et les choix de "marché" avec des sujets humains ; (2) de l'anthropologie, de l'ethnographie et de la psychologie évolutionniste ; et (3) de la recherche en neurosciences - par exemple, sur les cerveaux de singes ou sur des cerveaux humains endommagés.

 

Il est facile d'être d'accord sur le fait qu'un jugement prononcé il y a 50 ans sur l'état des sciences naturelles a de bonnes chances de devoir être mis à jour. Je suis d'accord avec Smith pour dire que Mises avait tort, ou au moins était trop radical, quand il écrivait (Mises 1966: 31) : "Aucune expérience de laboratoire ne peut être menée en ce qui concerne l'action humaine." Pour être honnête avec Mises, cependant, cette phrase se trouve au milieu d'un paragraphe traitant du problème de l'explication de l'expérience historique. Mises soulignait seulement le fait que l'histoire économique ne se fait pas dans le cadre d'un laboratoire, de telle sorte qu'il faut utiliser des méthodes différentes des expériences contrôlées afin d'établir des explications causales pour les actions de l'histoire humaine. Les données historiques ne sont pas des données de laboratoire. La critique de Smith suggère une grande question importante à quiconque prend au sérieux le projet milésien de "praxéologie" (la déduction apodictique de la théorie économique à partir de la pure logique du choix). Les idées de Mises sur les méthodes appropriées de l'économie ont-elles besoin d'être mises à jour ? Je soutiendrais que non. Je pense que Mises a toujours raison d'insister sur le fait que les propositions correctes de la théorie économiques sont enracinées dans des méthodes distinctes de celles des sciences naturelles. La praxéologie est indépendante des sciences naturelles et l'économie expérimentale est à cet égard une science naturelle. Ceci ne veut pas dire que l'économie expérimentale n'a pas sa place dans le département d'économie, ni qu'elle est inintéressante ou non pertinente quant à la façon dont nous autres faisons de l'économie non expérimentale. Il y a de la place à la fois pour la praxéologie et pour une approche du type sciences naturelles du comportement humain sur des marchés.

 

Ma position se résume à ceci : l'économie expérimentale et les autres sciences naturelles ne sont pas en position de réfuter les propositions déductives de la théorie économique. Ces propositions reposent sur notre vision "interne" des êtres humains en tant qu'agents économiques, alors que les sciences naturelles nous donnent une vision "externe" des êtres humains. Les expériences peuvent illustrer ou "démontrer" le fonctionnement de la théorie économique. Pour reprendre les termes de Smith, elles peuvent "donner vie" à ses "constructions imaginaires." De façon plus importante, elles peuvent aider à régler des questions importantes qui ne peuvent l'être de manière apodictique. L'ensemble de ces questions empiriques n'est pas vide (et Mises ne pensait d'ailleurs pas qu'il l'était). D'un autre côté, l'ensemble des propositions déductives utiles en économie n'est pas non plus vide. Il comprend non seulement la théorie du consommateur, mais aussi une partie de la théorie monétaire (la loi de Gresham, par exemple).

 

Découverte entrepreneuriale

 

Smith dit que les neurosciences actuelles réfutent l'idée de Mises selon laquelle il existe une "distinction nette" entre comportement décidé et comportement inconscient, réflexe ou involontaire. Je ne doute pas que, du point de vue des neurosciences, il existe un continuum plutôt qu'une distinction nette. Mais je suis en désaccord lorsque Smith dit qu'avoir un but "n'est pas une condition nécessaire à son [Mises] système. Les marchés accomplissent leur œuvre que le ressort principal de l'action humaine comporte ou non un choix conscient mûrement réfléchi." La remarque de Smith peut s'appliquer au système théorique de Walras, dont Pareto, je crois, disait, "l'individu peut disparaître, pourvu qu'il nous laisse une photographie de ses goûts."

 

Mais cela ne s'applique pas au système théorique de Mises. La compréhension par Mises de la façon dont le processus de marché fonctionne réellement est celle d'un processus de découverte entrepreneuriale, et non de simples réponses homéostatiques à des stimuli. Que l'ordre social qui en résulte ne soit pas intentionnel ne signifie pas que les décisions individuelles qui en font partie ne sont pas délibérées [1].

 

Note

 

[1] A ce sujet, voir l'échange classique entre Becker (1962, 1963) et Kirzner (1962, 1963).

 

Références

 

Becker, G.S. (1962) "Irrational Behavior and Economic Theory." Journal of Political Economy 70 (Février): 1–13.

 

Becker, G.S. (1963) "Rational Action and Economic Theory: A Reply to I. Kirzner." Journal of Political Economy 71 (Février): 82–83.

 

Kirzner, I.M. (1962) "Rational Action and Economic Theory." Journal of Political Economy 70 (Août): 380–85.

 

Kirzner, I.M. (1963) "Rational Action and Economic Theory: Rejoinder." Journal of Political Economy 71 (Février): 84–85.

 

Mises, L. von (1966) Human Action: A Treatise on Economics. 3ème édition. Chicago: Henry Regnery.

 

Smith, V. (1999) "Reflections on Human Action after 50 Years." Cato Journal 19(2): 195–209.

 

Traduction :  Hervé de Quengo

 

 

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