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Mohamed Bouazizi était un jeune vendeur ambulant tunisien
depuis déjà quelques années. Il avait un rêve
très simple : acheter une camionnette pour ne plus avoir à
suer en transportant ses légumes dans une charrette. Malheureusement,
ses minces revenus ne lui permettaient pas un tel
« luxe » et, de plus, il avait à subir la
rapacité d’une administration sans pitié qui lui
confisquait régulièrement sa marchandise et sa balance au seul
motif qu’il ne disposait pas d’une autorisation officielle pour
exercer son activité.
En
Corée du Nord, l’État le plus totalitaire du monde, le
régime avait accepté
l’existence d’un marché noir. Pas par humanité mais
parce que feu Kim Jong-il avait sans doute bien assimilé les
leçons du Discours de la
servitude volontaire d’Étienne de La Boétie selon
lequel le peuple détient les clés de son retour vers la
liberté. Un gouvernement, fût-il très armé, voire
soutenu par les grandes puissances occidentales, ne résistera pas
à une forte pression populaire. La chute du Shah d’Iran, en
1979, en est l’exemple le plus éclatant.
Malheureusement
pour lui, le vieux président Zine el-Abidine Ben Ali sous-estima fortement le
mécontentement de son peuple, surtout suite aux brimades que lui
imposait l’administration. Alors que le redoutable Kim Jong-il
tolérait l’existence d’un marché noir, le
régime tunisien ne laissa même pas de pauvres vendeurs ambulants
exercer leur activité librement.
Le 17
décembre 2010, Mohamed Bouazizi subit une
humiliation de plus. Une de trop. Ce jour-là, il se vit à
nouveau confisquer son outil de travail (sa balance et sa charrette). Il
tenta vainement de plaider sa cause auprès de la municipalité
et du gouvernorat. Désespéré, il s’immola par le
feu devant le siège dudit gouvernorat. Il mourut deux semaines et demie
plus tard, le 4 janvier 2011, au Centre de traumatologie et des grands
brûlés de Ben Arous. Dans cet intervalle, les pouvoirs publics,
qui avaient tant ignoré les malheurs de ce jeune vendeur, prirent
enfin conscience de la portée de son acte suicidaire.
Ainsi, le 28
décembre 2010, Ben
Ali lui-même s’était rendu à son chevet.
Après sa mort, une importante foule cria vengeance. Le 14 janvier
2011, le puissant président tunisien s’enfuit par la
petite porte. La prophétie d’Étienne de La Boétie
fut, une fois de plus, réalisée.
Évidemment,
on attendra un peu avant de tirer les premiers bilans de la politique du
nouveau gouvernement tunisien. Les révolutions, fussent-elles
pacifiques, sont souvent trahies par les nouveaux gouvernants qui se
retrouvent au pouvoir. Les événements en Tunisie sont toutefois
porteurs d’espoir en ce qu’ils montrent que le simple suicide
d’un vendeur anonyme peut suffire à faire tomber un puissant
homme d’État, confortablement installé au pouvoir depuis
de longues années.
La
« Révolution de jasmin » a aussi de quoi inquiéter
certains chefs d’État et de gouvernement occidentaux et les
inciter à réformer un système injuste. Il n’est pas
anodin que le printemps arabe ait commencé en Tunisie. Si ce pays
n’est pas un modèle
de libéralisme, en revanche, il n’est pas l’État le
plus arriéré de la région pour autant. L’Occident
n’est pas immunisé contre d’importants mouvements
d’indignation qui, de toute façon, prennent déjà forme
depuis quelques mois. Pour l’instant, les hommes politiques tentent de
les brosser dans le sens du poil en détournant
l’attention vers les excès du secteur financier. Mais auront-ils
le courage, un jour, de reconnaître leur immense part de culpabilité
dans ce marasme économique ?
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