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Cours Or & Argent

Mondialisation : non à la tentation protectionniste !

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Publié le 14 janvier 2008
2131 mots - Temps de lecture : 5 - 8 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

"Nothing, however, can be more absurd
than this whole doctrine of the balance of trade"

Adam Smith - the wealth of nations

 

Quand un politicien vient à parler de la désindustrialisation française, c'est le plus souvent pour stigmatiser la concurrence nécessairement déloyale de pays qui ne respectent ni nos standards sociaux ni nos normes environnementales. Et de réclamer non pas des mesures protectionnistes, car le terme est mal connoté, mais, plus subtilement, que l'union favorise "la préférence européenne", que l'on pratique le "patriotisme économique", ou, variante retorse, que l'on créée une taxe douanière contre les produits en provenance de pays rejetant "trop de CO2". Au niveau européen, hélas, les leaders français passés et actuels se sont faits les champions de ces demandes d'érection de murailles contre l'invasion des "produits étrangers", et Nicolas Sarkozy ne fait pas exception. Nous avons encore en mémoire les pressions du gouvernement Villepin sur Peter Mandelson pour faire adopter par l'UE des mesures discriminatoires contre les textiles chinois, sans parler de notre opposition féroce à toute réforme de fond de la très protectionniste Politique Agricole Commune.

Dans la période économique difficile que nous connaissons, de telles politiques protectionnistes, qu'elles soient revendiquées ou masquées, sont absolument suicidaires.

 

Voyons pourquoi.

D'où vient la valeur ?


Lorsque vous achetez un jouet, un ordinateur ou un appareil électrique, il y a toutes les chances qu'ils aient été fabriqués en Chine, ou en Asie du sud est. Le politicien démagogue y verra une invasion inacceptable de produits "étrangers".

Toutefois, il y a des chances que la réalité soit beaucoup plus complexe. Ainsi, une grande partie de ces produis aura certes été fabriquée en Chine. Mais avant d'être fabriqués, ces articles auront dû être conçus, et si possible au plus près des besoins du consommateur final. Il aura dû être vendu, "merchandisé", distribué.

Or, lorsque l'on regarde un produit moderne, on constate que sa valeur provient bien plus de l'adéquation aux besoins du consommateur qu'il suscite, ou de la cote d'amour que sa marque recèle, que du fait qu'il ait été fabriqué. De surcroît, la capacité de nombreux intermédiaires de nous délivrer ces produits à proximité de chez nous, voire chez nous, au lieu de nous obliger à aller les chercher chez des producteurs du monde entier, ajoute à ces "produits" une valeur immense. Des ordinateurs qui resteraient stockés dans les hangars de lenovo seraient rigoureusement identiques à ceux que l'on trouve chez carrefour, mais sans la "supply chain" qui permet à ce produit de franchir des milliers de kilomètres, l'ordinateur en question n'aurait que très peu de valeur à nos yeux.

Autrement dit, dans un monde ou des milliers de références se battent pour conquérir le portefeuille de la ménagère comme du yuppie, la capacité d'un produit à se faire connaître, à séduire, à s'adapter au plus près des besoins du consommateur, à lui être livré, avec un service après vente et des prestations annexes de qualité, comptent autant que la fabrication du produit lui même, voire, de plus en plus souvent, beaucoup plus.

Conclusion
: quand vous importez un produit made in China, ou made in Mexico, vous importez certes une valeur ajoutée par la fabrication créée dans ces pays, mais aussi la valeur ajoutée créée par la conception, le marketing, la distribution du produit, qui peuvent être en partie bien de chez nous. Ou d'ailleurs. Et ces valeurs ajoutées peuvent être infiniment supérieures à celles apportées par la simple fabrication du produit.

 


Ainsi, un jouet conçu par un bureau d'études français pour être vendu aux européens et fabriqué en Chine va évidemment déséquilibrer notre balance commerciale en faveur des chinois, mais il y a de fortes chances pour que le solde des valeurs ajoutées créées par la vente de ce jouet, depuis sa conception à sa distribution, créée beaucoup plus de valeur ajoutée en Europe qu'en Chine. La balance commerciale, dont le microcosme politico-médiatique nous rebat tant les oreilles, n'est donc pas un indicateur pertinent de bonne ou de mauvaise santé économique, son "rétablissement" ne peut en aucun cas être invoqué pour justifier des mesures protectionnistes.

Le corollaire désagréable pour ceux qui travaillent à la fabrication de ce que nous consommons, est que leurs emplois sont condamnés à voir leur rémunération chuter, en part relative, par rapport à ceux qui exercent des tâches tertiaires, dans le marketing, la conception, le financement, etc... Ce phénomène est absolument patent dans l'ensemble du monde occidental: depuis que celui ci se "désindustrialise", tant le nombre que  les rémunérations des «cols blancs" ont cru bien plus vite que la population et la rémunération des ouvriers, fussent-ils de plus en plus qualifiés, ce qui a provoqué, ces 25 dernières années, un accroissement de la prospérité sans précédent dans tous les pays occidentaux, ainsi que dans tous les pays émergents qui se sont intégrés à cette dynamique créée par la mondialisation des échanges.

Aussi, délocaliser la fabrication en Chine, au Mexique, ou ailleurs, revient à maximiser la part que l'entrepreneur français, européen ou américain pourra consacrer aux tâches qui ajoutent le plus de valeur à leur prestation. Même des processus de fabrication complexes comme ceux de nos automobiles, gagnent à être transférés chez les pays pour l'instant à bas salaire, dans l'UE ou en dehors, tels que la Slovaquie, la Turquie, le Mexique (pour le marché US), ou la Roumanie, et peut être demain la Chine ou l'Inde, afin de permettre aux constructeurs d'améliorer le contenu de leurs automobiles à moindre coût, au bénéfice du consommateur.

Une conséquence évidente s'impose alors: Rendre moins attractive la délocalisation des fabrications en Chine, par exemple en appliquant des droits de douane prohibitifs, revient à empêcher des transactions dont la concrétisation justifie toute une chaîne de création de valeur en partie encore localisée dans nos pays. Empêcher la délocalisation en Chine tue la création de valeur ajoutée en Europe.

Vous me direz que "les entreprises européennes n'auraient alors qu'à rapatrier leur production chez nous, et le tour serait joué: non seulement la valeur ajoutée des tâches "nobles" serait maintenue, mais nous garderions aussi la fabrication, ce qui nous éviterait d'avoir à traiter le délicat problème de la reconversion de ceux qui y travaillent. Non ?"

Le raisonnement ci dessus se heurte toutefois à deux écueils majeurs, et se révèle donc totalement faux.

Tout d'abord, l'entreprise européenne ne vend pas qu'en Europe, et est, sur d'autres marchés, confrontée à des concurrents. Si ceux ci peuvent réduire la part de la fabrication dans leur chaîne de valeur, ils pourront soit vendre moins cher, soit consacrer plus de ressources à créer des produits mieux adaptés aux marchés locaux: la compétitivité des entreprises européennes s'en trouverait durement affectée.

D'autre part, et peut être surtout, une telle politique augmenterait les prix des produits proposés aux européens, par le double effet des coûts de fabrications plus élevés, et d'une moindre concurrence des entreprises situées hors de l'union. Or, si vous réduisez l'attractivité des transactions accessibles aux acheteurs, vous réduisez mécaniquement le nombre de transactions, et donc vous contractez la taille du marché intérieur, réduisant du même coup la capacité des entreprises d'ajouter de la valeur, c'est à dire, en français courant, de créer de la richesse. Moins de richesse signifie un niveau de vie moins élevé, plus de chômage... Cercle infernal !

Il est donc absolument vital que les entreprises européennes puissent profiter de l'atelier pour l'instant à bas prix que constitue la Chine, pour favoriser cette création d'emplois à haute valeur ajoutée en nombre suffisant pour poursuivre l'élévation globale de notre niveau de vie.

L'enjeu, pour l'Europe, n'est pas de se protéger de la perte des emplois industriels, mais de rester une place dans laquelle il est possible et attractif de créer ces emplois à haut potentiel, lesquels créeront à leur tour un marché de consommateurs capables de consacrer des ressources importantes à de nouveaux services permettant de créer les emplois qui recycleront, pour le meilleur, les cols bleus qui ne seront plus affectés à la fabrication de slips en Tergal ou de jouets en bois. A contrario, de nouvelles fabrications à haute technicité et à haute valeur ajoutée naîtront, qui permettront de recréer une nouvelle "classe ouvrière" bien plus prospère que celle que nous connaissons, telle qu'elle se développe dans des pays qui se réindustrialisent, comme l'Irlande.

Car ne nous y trompons pas. La Chine, l'Inde, le Brésil, etc... grâce aux revenus générés par ces fabrications destinées en majorité à l'occident, développent de fait une classe de cadres intermédiaires et supérieurs qui leurs permettront à terme de ne plus être que les simples réservoirs de cols bleus de l'occident. Leurs entreprises emmagasineront le savoir faire qui leur permettra d'investir les créneaux à forte valeur ajoutée dans lesquels ils se situent encore en retrait. Leurs systèmes éducatifs se modernisent à grande vitesse. De copieurs et sous-traitants, ils deviendront concurrents de plein exercice, et encore l'emploi du futur est-il ici abusif, cette évolution ayant déjà commencé.

En contrepartie, leurs marchés intérieurs exploseront, ce qui donnera à nos entreprises de nouvelles opportunités d'accroître leurs revenus... sous réserve que les conditions qui leur soient offertes par le territoire national et communautaire soient compétitives: la main d'oeuvre à haut potentiel se révèle, elle aussi, incroyablement mobile, et les bureaucraties, les fiscalités et les réglementations pléthoriques imposées par l'UE et les états membres à leurs entreprises n'y favoriseront pas l'implantation de foyers de création de haute valeur ajoutée. Sans parler de la décrépitude de certains systèmes éducatifs qui pourrait, dans la seconde moitié du présent siècle, cantonner un pays comme la France au rôle de pourvoyeur de cols bleus mal payés pour le compte de décideurs chinois...

Attention, tentations protectionnistes en hausse !

Malheureusement, si les velléités protectionnistes affichées non seulement par la France et quelques  politiciens européens, mais aussi, plus gravement encore, par certains des principaux candidats  aux élections américaines à venir, venaient à se concrétiser, alors le mouvement vertueux d'accroissement de la prospérité décrit ci dessus se briserait net. La source de création de valeur décrite dans les lignes qui précèdent serait vite réduite à peu de choses : tous les ingrédients d'une crise majeure et durable, dont on ne sait comment elle se terminerait, seraient réunis.

Rappelons nous les leçons de la crise de 1929 : il est aujourd'hui pratiquement établi que le renforcement des lois protectionnistes aux USA (le Smoot-Hawley Act), discutées avant le jeudi noir, puis votées juste après, en furent à la fois le catalyseur, et un facteur lourdement aggravant, sans lequel le coup de tabac boursier vécu par les investisseurs aurait eu des répercussions bien moindres.

Avec des échanges interbancaires fragilisés, un système financier déséquilibré par la crise du subprime, un pétrole rendu cher, le monde est dans une situation tendue qui fait craindre à certains économistes le retour de la pire des situations pour nos économies, celles d'une combinaison d'inflation et stagnation qui se traduirait par une explosion du chômage de masse et de la pauvreté, notamment dans les pays qui n'auraient pas réformé suffisamment leurs sources de rigidités internes, au premier rang desquels le nôtre. De plus, gageons que la stabilité géopolitique mondiale n'aurait rien à gagner d'un plongeon des principales économies qui tirent la prospérité vers le haut.

Un accroissement des protectionnismes à l'échelon mondial porterait  certainement le coup fatal qui transformerait un simple trou d'air économique difficile à passer en dépression majeure. Espérons que la raison prévaudra et que des négociations mondiales vers un commerce libéré de ses entraves législatives et douanières reprendront et aboutiront rapidement.

En attendant, les projets européens tels que la "Taxe Kyoto" sur les importations en provenance d'Asie doivent être combattus avec force. Le soutien apporté à de telles folies est une erreur majeure du président Sarkozy, espérons qu'il se trouvera des voix de la raison pour le faire changer d'avis...

 

Vincent Bénard

Objectif Liberte.fr

Egalement par Vincent Bénard

 

Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones dédiés à la diffusion de la pensée libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement, crise publique, remèdes privés", ouvrage publié fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de marché pour y remédier.

 

Il est l'auteur du blog "Objectif Liberté" www.objectifliberte.fr

 

Publications :

"Logement: crise publique, remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat

Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république, bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La doc française, avec Pierre de la Coste

 

 

Publié avec l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits réservés par Vincent Bénard.

 

 

 

 

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Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org).
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