Avec plus de 600.000 élus sur son territoire, la France est la patrie de l’édile, la première productrice mondiale (en nombre par habitant) de représentants du peuple, de fiers porteurs de cocardes tricolores, de bruyants députés et de ventripotents sénateurs. La France est bonne fille et permet ainsi à près d’un pourcent de sa population de disposer d’un pouvoir direct ou indirect mais jamais négligeable sur les quatre-vingt-dix-neuf autres.
Mais n’allez pas croire que cette position d’élu est une sinécure. Que nenni !
Triste est le sort du sénateur. Dure est la législature du député. Pénible est le mandat du maire, surtout d’une grande ville. Ne vous y trompez pas : nous avons là des hommes et des femmes d’exception, hors du commun, qui ont toujours su placer l’intérêt de la Nation au-dessus du leur, des individus qui ont la République et la démocratie chevillées au corps, l’envie irrépressible d’offrir par leur travail désintéressé un monde meilleur à leurs concitoyens.
Vous croyez que j’exagère ? Certains seraient entrés en politique avec d’arrière-pensées égoïstes, chercheraient l’enrichissement personnel et fuiraient le travail tout autant que l’effort ?
Rien n’est moins vrai.
Comment ne pas croire à l’abnégation dont il faut disposer pour se lancer dans la chose publique, lorsqu’on lit les patrimoines que déclarent nos ministres ou nos élus, violant ainsi leur pudeur et leur évidente humilité ? Il s’agit, lorsqu’on prend connaissance des sommes déclarées, de bien modestes personnes. Pauvres, même, parce qu’on frôle ici le problème majeur à chaque tiers provisionnel : souvent, leurs comptes courants totalisent de très faibles sommes. On frémit à l’idée d’une saisie sur salaire, ou de la majoration fiscale qu’ils devront payer pour n’avoir pu rassembler la somme à temps ! Et très manifestement, ce n’est pas le seul problème puisque certains émargent aussi à l’ISF et que leurs patrimoines ne leur permettront pas de payer tout ça d’un coup ! À l’évidence, des ministres vont se retrouver dans une situation économique douloureuse et vont certainement devoir revendre leur combi Volkswagen, leur scooter ou leurs vélos pour boucler les fins de mois malgré des salaires supérieurs à 10.000€ par mois ! Il faut faire quelque chose, il en va de la réputation et de la bonne santé politique de notre République !
Comment ne pas comprendre la difficulté du travail qui est le leur alors qu’ils s’expriment, assez régulièrement, sur ce sujet et nous rappellent, avec cette discrétion caractéristique des gens modestes imbibés du devoir de servir, que dès qu’ils franchissent les portes de leur mairie, de leur hôtel départemental ou régional, de l’Assemblée, du Sénat ou de leur ministère, leur vie devient un sacerdoce, un véritable apostolat ? Comment ne pas se rappeler des malaises réguliers qui parcourent les rangs parlementaires lorsqu’ils expliquent n’être pas assez écouté, n’être pas assez choyés tant par l’exécutif que par les Français eux-mêmes, qui, toute stupéfaction bue, sembleraient commencer à trouver leur nombre et leurs charges trop importantes et le feraient bruyamment savoir ? Comment oublier la longue complainte d’un Claude Guéant à la fin du mois de Juillet, croulant sous le travail et dont le salaire, cinq fois supérieur au salaire médian français, ne permettait pas d’éponger les frais ?
Et puis, tout le monde l’oublie, mais plus souvent qu’à son tour, l’élu doit faire face à de nombreux mandats simultanés : combien de sénateurs sont aussi maires, combien de députés conservent vaillamment un ancrage local et quelques missions désintéressées dans des communautés de communes, des collectivités territoriales, des syndics divers et variés ? Ce cumul, absolument indispensable pour éviter de gonfler les rangs de nos élus de 600.000 actuellement à, probablement, plusieurs millions, est à l’évidence la source de bien du tracas pour ces hommes et ces femmes qui ne comptent pas leurs heures à monter des dossiers pour aider le cousin, le frère, la maîtresse ou l’ami propriétaire d’une société de BTP. Qu’il est aisé pour ces Français qui se complaisent dans la facilité d’un travail unique, voire d’un pratique chômage, de moquer les cumulards !
Mais surtout, ce que le brave peuple français semble refuser de comprendre, c’est qu’à ces conditions de vie spartiates, ces horaires herculéens, ces charges cumulées et difficiles, à ce travail de Sisyphe, il faut ajouter le fardeau d’équipes de soutien parfaitement incompétentes ! Oui, je le dis : au nombre d’affaires diverses et variées, toutes plus sordides les unes que les autres, qui émaillent la vie de nos élus et qui chargent leurs casiers (judiciaires) sans pour autant décharger leurs mandats, nos pauvres ascètes de la vie publique sont bien mal entourés !
Prenez tous ces maires qui se retrouvent, actuellement, dans des situations inextricables pour avoir cru bien faire en signant pour leur municipalité des prêts colossaux basés sur de fins instruments financiers qu’ils ne voulaient pas comprendre : à l’évidence, les équipes de financiers et de comptables qui travaillent pour eux n’ont pas pris le temps d’étudier ces prêts complexe. Pourtant, il aurait suffit d’une lecture rapide de quelques minutes pour comprendre l’évidence des pièges tendues par ces perfides institutions bancaires !
Prenez ces ministres, ces sénateurs, ces députés qui se font malencontreusement pincer, qui à la frontière avec des valises de coupures, qui sur les bancs de l’assemblée clamant leur innocence, qui dans tel paradis fiscal, expliquent que leurs finances sont saines et leurs transferts monétaires légaux et fiscalement irréprochables : là encore, il semble évident que sont fort mauvais les intermédiaires auxquels ils font appel pour se constituer leurs retraites, mettre quelques sous de côté pour leur famille et leurs vieux jours.
C’est une certitude : être élu est une torture subtile que seuls des fous s’infligent. Mais la question devient alors : pourquoi vote-t-on pour des fous ?
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Ce billet a servi de chronique dans la dernière enquête de Contribuables Associés