Sous l’insistance de la
BCE, qui peut se prévaloir de leur avoir sauvé la mise cette
semaine, les ministres des finances européens vont encore se retrouver
entre eux, pendant deux jours à partir de lundi matin. Toujours un peu
désorientés et à la recherche d’une solution
à cette crise européenne qu’ils ne parviennent toujours
pas – et pour cause – à maîtriser.
Les ministres vont
néanmoins essayer de deviner si, au terme d’une véritable
course d’obstacle qui va s’engager, le Parlement irlandais pourra
à partir de la mi-janvier adopter le nouveau budget de l’Etat,
condition préalable à la mise en oeuvre
du plan de sauvetage qu’ils doivent adopter. Plus délicat
encore, ils vont discuter du renforcement du fonds de stabilité
financière (EFSF), que la BCE suggère instamment, ainsi que des
grandes lignes du futur mécanisme de crise, prévu pour
2013. Ils ne seront pas seuls dans cet exercice, le directeur
général du FMI les y accompagnant, puisqu’il devrait
également mettre au pot.
S’ils
décident d’accroître sans attendre les moyens de
l’EFSF, ils donneront à la fois deux signaux. Ils montreront
certes être prêts, si nécessaire, à assurer le
sauvetage non seulement du Portugal, mais également de
l’Espagne. De forts doutes existant à propos de la
capacité de l’EFSF d’y faire face avec les moyens
financiers dont il dispose actuellement. Mais ils inciteront également
à la relance de la spéculation sur le marché
obligataire, puisque les méchants ne seront pas punis à la fin
du film, bénéficiant d’une garantie de remboursement de
facto en cas de malheur. Car on a bien insisté sur le fait que ce
n’est que lorsque le futur mécanisme de crise sera
constitué, mi-2013 au plus tôt, que des restructurations de
dette pourront alors les atteindre.
Mais aucune solution ne sera
apportée à l’insolvabilité des Etats qui, au terme
de leur sauvetage, devront rembourser les dettes contractées pour les
faire échapper aux griffes des marchés. Augmenter la
capacité de l’EFSF à sauver davantage de pays ne fait
donc qu’alimenter l’inquiétude de ceux-ci, au lieu de les
rassurer.
Au cœur d’une
contradiction, les marchés ont commencé à
précipiter la crise dont ils craignent d’être les
victimes, pourquoi s’arrêteraient-ils ? Une nouvelle fois, une
crise de solvabilité est traitée comme s’il
s’agissait d’une crise de liquidité. Le problème
est que les Etats n’ont pas les moyens de se refaire
qu’ont les banques et qu’il ne leur est pas accordé de
facilités comptables et d’autant d’avantageuses zones
d’ombres.
Un peu de temps pourra
être gagné entretemps , à coup
d’octrois supplémentaire de délais de remboursement de
l’EFSF et du FMI, comme cela en prend le chemin pour les Grecs. Mais
comme ces délais seront accordés moyennant contrepartie –
de nouvelles coupes budgétaires – la dynamique infernale du
défaut sera accélérée. Il sera encore moins
à portée d’atteindre les objectifs de croissance requis
par un business plan fantaisiste et de faire face à la dette
obligataire.
Une autre option est
défendue par Jean-Claude Juncker et Giulio Tremonti,
le ministre italien des finances. Elle privilégie la création
d’euro-obligations, une initiative qui serait un pas en faveur
d’une intégration économique européenne accrue.
Les Allemands n’en veulent pas a priori. Les faire changer d’avis
supposerait l’adoption de nouveaux gardes-fous,
de même nature que les normes de dette et de déficits
adoptées lors de la création de l’euro, qui devront
d’une manière ou d’une autre être abandonnés,
n’étant plus à portée de la quasi-totalité
des pays de la zone euro. Par quoi, alors, les remplacer
?
Il va soit falloir se
résigner à un éclatement de la zone euro, lourd de
conséquences pour tous, soit trouver des règles communes de
bonne conduite et de bon voisinage. Toute la question étant de savoir
lesquelles, ce qui ouvre un vaste champ de discussion alors qu’il y a
urgence à trouver une solution.
Dans l’immédiat,
de l’Irlande à la Grèce et du Portugal à
l’Espagne, le même scénario d’ensemble se dessine.
Les unes après les autres, ce sont des livres de chair qui vont
être en pure perte enlevées, sans qu’il n’y en ait
jamais assez sur le plateau de la balance. Les résultats exigés
étant irréalistes, s’appuyant sur des perspectives de
croissance plombées par une rigueur qui n’est pas dans les
moyens de ceux qui doivent y satisfaire.
La stratégie qui est
actuellement suivie est un contresens financier. Bien que
présentée comme résultant de nécessités
incontournables, elle résulte en réalité de choix
politiques, déplaçant progressivement le débat sur ce
terrain, au fur et à mesure que se développe un malaise social
cherchant des occasions de se manifester. Et qui n’est contenu
qu’en raison du silence de ceux qui sont susceptibles de prendre la
relève politique, accréditant l’idée
qu’aucune alternative n’est possible.
Faute de projet
européen, c’est le règne du chacun pour soi qui
prévaut. Et, quand il s’agit d’adopter une orientation
commune, celle qui s’installe ne peut mener qu’à
l’éclatement.
Elle a pour conséquence
de plonger l’Europe dans une politique de rigueur
généralisée, plus ou moins engagée suivant les
pays et en fonction des calendriers électoraux, faisant peser sur les
travailleurs et chômeurs une charge de remboursement énorme.
Elle aboutit à détricoter le filet de protection sociale,
annonçant la fin inéluctable de
l’« Etat-providence ». Cette
référence malséante qui substitue à la
solidarité entre les femmes et les hommes une intervention sur leur
destin de nature bienfaisante, comme les oeuvres du
même nom, qui leur aurait été octroyé et pourrait
donc leur être retirée sans autre forme de procès.
Afin de dégager des
gains de productivité grâce à des réformes
structurelles, cette politique va accroître la
précarité du travail et peser sur les revenus des salariés.
Enfin, dans la même logique, elle va favoriser l’essor, pour ceux
qui en auront les moyens, des plans de santé privés et des
retraites complémentaires par capitalisation, ces nouveaux joujoux des
financiers.
Les gouvernements grecs,
irlandais, britannique, portugais et espagnols sont déjà
à la tâche. Multipliant les coupes budgétaires pour
tenter d’échapper au désastre tout en s’y
précipitant. Se réfugiant derrière l’art du
possible et la nécessité qui fait loi. Les rancœurs, les
refus et les craintes, quand ce ne sont pas les colères, montent et ce
fragile barrage qui leur est opposé y restera-t-il
?
Le débat sur le retrait
des dépôts des banques témoigne d’une grande
nouveauté : aussi symbolique soit-il, il exprime non pas le classique
besoin de protéger son argent mais celui de punir les banques.
Il révèle en creux un besoin : celui de dresser une liste de
mesures de sauvegarde, afin de les populariser et de demander aux
organisations politiques de se définir par rapport à elles.
* www.les-crises.fr
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
presslib’ » est libre de reproduction
en tout ou en partie à condition que le présent alinéa
soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est
un « journaliste presslib’ » qui
vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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