Une
des erreurs d'analyse les plus souvent entendues à propos de la crise
est celle qui revient à en dater le début à il y a un an,
lorsque le gouvernement américain et son ministre des finances, Henry
Paulson, ancien CEO de Goldman Sachs, refusait d'amener sa garantie à
Bank of America pour un éventuel rachat de Lehman Brothers, concurrent
direct de GS, dirigée par l'homme le plus haï dudit Paulson, un
certain Richard (Dick) Fuld.
Selon
90% des analystes "mainstream", la "tragique erreur" de
Paulson, le non-sauvetage de Lehman, (B.of.A choisissant désormais de
racheter un troisième canard boiteux de Wall Street, Merill Lynch), a
été le révélateur de la fragilité des
bilans bancaires, qui a précipité une chute des actifs
financiers, mettant les banques trop faiblement garnies de fonds propres au
bord de la faillite, obligeant les preux chevaliers étatiques du monde
à un gigantesque plan d'injection d'argent du contribuable pour
"sauver le système financier".
Inutile
de préciser que cette interprétation n'est pas la mienne. Le
lâchage de Lehman n'a fait que révêler une situation qui
de toute façon ne pouvait qu'exploser.
La crise a commencé pendant la
période de "fausse croissance" de l'économie
américaine
On
peut situer le début de cette crise au début des années
2000, et plus particulièrement à partir de 2003, quand
commencent à être massivement octroyés des prêts
hypothécaires à des personnes structurellement incapables de
les rembourser. Je ne reviendrai pas sur les
nombreuses explications de cette explosion du crédit,
largement évoquées sur ce blog, mais j'en rappellerai les
conséquences funestes.
La
valeur d'une créance, du point de vue du prêteur, ne tient
qu'à un seul facteur: la capacité du débiteur à
honorer sa dette. Que l'engagement ne soit pas tenu et la créance ne
vaut plus qu'une fraction de sa valeur initiale.
Face
à un risque de défaut de paiement, le créancier utilise
deux outils: le premier est une augmentation du taux d'intérêt
"sans risque" d'un "premium", taux supplémentaire,
calculé en fonction de la probabilité de défaut du
débiteur, que le banquier estime statistiquement.
Mais
pour le cas ou une situation exceptionnelle déjouerait la
prévision fondée sur la statistique, la banquier va user d'un
autre levier: il va prendre des garanties, comme par exemple une hypothèque
sur la maison du débiteur.
Le
banquier n'est pas un agent immobilier, et le banquier traditionnel et
prudent sait très bien que pour que la garantie soit efficace, il doit
l'exercer le moins souvent possible: s'il se retrouve à devoir saisir
trop de maisons pour cause de défaillances trop nombreuses de ses
emprunteurs, la valeur des maisons saisies finira par chuter, du fait d'un
marché inondé de saisies. Aussi le banquier traditionnel ne
considère la garantie hypothécaire que pour ce qu'elle est: une
garantie, mais pas comme la source de création de valeur qui rend
solvable son débiteur.
L'emrpunteur-débiteur
ne pourra rembourser son prêt que s'il appartient à une
chaîne de création de valeur capable de lui assurer une
rémunération (salaire direct, différé,
dividendes, revenus d'épargne, etc...) suffisante pour lui permettre
de faire face à ses échéances.
Mais
hélas, trop de banquiers, à la perception du risque totalement
pervertie par moult interventions mal inspirées de l'état (voir
ici),
ont fini par croire, au vu des courbes de croissance stratosphériques
de l'indice de Case-Schiller, que la maison apportée en garantie était
l'instrument de création de valeur qui permettrait de rembourser la
dette le cas échéant.
Or,
la prise de valeur de ces maisons était purement artificielle, ce qui
fait qu'environ 4 000
milliards de dollars de prêts ont été
fondés non pas sur une capacité de remboursement des
ménages, mais sur une prise de valeur infondée d'un bien
garantissant le prêt.
Les
économistes autrichiens ont parfaitement théorisé cette
mauvaise allocation de ressources qui se produit lorsque les banques
centrales subventionnent le crédit en dessous de ce que serait sa
valeur de marché. Selon eux, la crise commence non pas lors de
l'éclatement d'une bulle, mais lors de sa formation, alors que les
crédits qui la financent ne sont plus basés sur la
capacité de l'économie à créer la richesse
nécessaire à son remboursement. L'excès de dette non
réellement remboursable mis sur le marché marque le
début de la crise, quand bien même au début de sa
formation, l'économie connaît l'euphorie du consommateur
d'héroïne prendant les premiers shoots. Comme pour certaines
maladies, ce n'est pas parce que la période d'incubation est longue
que le sujet est sain...
Le déclencheur de la crise: le
sauvetage de Bear Stearns.
On
me répondra que même si la crise a couvé pendant les
années d'expansion bullaire du crédit, le gouvernement
américain, en lâchant Lehman pour des motifs dont la noblesse
semble effectivement absente, a précipité une crise de
confiance financière grave, alors que sans cela, il aurait
été possible de négocier un "atterrissage en
douceur" de l'économie, bien moins dramatique en terme d'emplois.
Là encore, qu'il me soit permis de douter.
La
première banque dont les difficultés liés aux
prêts "subprimes" furent révélées au
public fut la banque d'affaire Bear Stearns, qui annonça plusieurs
milliards de dépréciations d'actifs en Aout 2007, contraignant
son CEO à la démission. Bear était
déjà virtuellement insolvables dès Août 2007.
Pourtant, la faillite de la cinquième des grandes banques d'affaires
US n'allait être officialisée qu'en mars 2008, lorsque JP morgan
annonçait son rachat, moyennant un prêt à des taux
exceptionnellement bas octroyé par la FED.
Dès
Août 2007, il apparut évident à nombre d'observateurs que
le trésor et la Fed se mobilisaient pour trouver une solution
évitant la fermeture brutale de Bear Stearns. La conclusion d'avril
2008 leur donnait d'ailleurs raison. Le signal était clair: la FED et
le trésor aideraient les banques à ne pas sombrer. Le signal
donné aux CEO non ou peu actionnaires de ces banques était
clair: la fête pouvait continuer, inutile de passer en mode
"gestion de crise", il fallait continuer d'engranger des gains
à court terme, synonyme de fortes plus values sur stock options et
autres bonus gigantesques, et attendre sagement que l'oncle Sam vienne
à la rescousse avec les deniers du contribuable lorsque la loi de la
gravité rattraperait les débiteurs insolvables.
Fannie
et Freddie, malgré leur bilan se dégradant plus vite que la
cote de George Bush dans les sondages, continuèrent leur folle
politique de rachats de MBS douteuses. AIG continua comme si de rien
était à encaisser des primes d'assurance sur ces produits
dérivés au risque très mal calculé. Angelo
Mozilo, le CEO de la banque Countrywide, termina de vendre les actions de
l'établissement qu'il avait fondé en affichant des
résultats douteux...
Surtout,
peu de banques n'allaient faire l'effort de tenter de déboucler leurs
positions dans des "mortgage backed securities" douteuses en
essayant de les brader à des investisseurs aimant le risque (de
vilains "spéculateurs", en langage médiatiquement
correct) avec une décote importante, pour trouver le cash
nécessaire au paiement de leurs propres dettes.
Le
seul deal d'envergure de ce genre qui fut enregistré avant septembre
2008 fut le rachat par un fonds spéculatif Texan, dirigé par
John Paulson - sans
rapport familial avec celui qui officiait à la tête du
trésor (Henry) - de titres de MBS de valeur nominale de plus
de 3O milliards de $, pour seulement... 22% de ce nominal
en juillet 2008, soit environ 6 milliards, versés à Merill,
pris à la gorge. Et encore Merrill avait elle prêté
à John Paulson les trois quarts de la somme nécessaire à
ce rachat !
Mais
la quasi certitude que la FED interviendrait pour les sauver n'a pas
incité les banques à rechercher trop activement ce genre de
deal, ou d'autres moyens de colmater les voies d'au en train de s'ouvrir. Au
contraire, elles espéraient que des rachats subventionnés par
le gouvernement se feraient à un bien meilleurs prix pour elles, car
un bureaucrate du trésor jouant avec l'argent des autres et soumis
à la pression politique serait un moins bon négociateur qu'un
patron de Hedge Fund texan. Il s'est donc produit un gel du marché des
MBS, conduisant les banques qui en détenaient massivement à en
inscrire des pertes massives dans leurs comptes... La loi des
conséquences inattendues avait encore frappé.
Hélas,
le gouvernement américain a empêché que ne se mettent en
place dès 2007 les mécanismes de purge de la crise. Ce n'est
pas la lâchage de Lehman qui a causé la grande panique de
septembre 2008, c'est le soutien inconditionnel à Bear Stearns.
Si le trésor
et la FED avaient dit "no bailout" dès le départ...
Si,
dès les premières difficultés de Bear, la FED et le
trésor avaient dit: "débrouillez vous", les banques
en difficultés auraient dû trouver les moyens de sauver leur
existence toutes seules. Chapitre 11, restructuration des dettes et
échange de dettes contre capital, fermetures brutales de banques de
dépôt commandées par la FDIC et transfert des comptes
courants et des actifs sains vers des banques en meilleur santé... Naturellement,
nous nous apercevons aujourd'hui que les lois souvent hors du droit commun
régissant la faillite bancaire ne sont sans doute pas adaptées
à une crise financière de grande ampleur, mais la
législation américaine de la faillite n'en constituait pas
moins un bonne base de travail.
Et le fameux risque
systémique, me direz vous ?
Une
étude du professeur Helwege (PDF),
pour le Cato
Institute, montre que le risque systémique
lié à une faillite des grandes banques d'affaire a
été fortement surestimé. Ainsi, les créanciers de
Lehman étaient très nombreux mais aucun n'avait de grosse ligne
de débit chez cette banque, le plus gros créancier de Lehman,
une banque japonaise, supportant un risque de 350 millions de dollars. Pas
neutre, mais pas irrémédiable non plus, et l'on peut supposer
qu'il en allait de même pour Bear Stearns.
Helwege
estime que la contagion, si elle n'avait que peu de chance d'être
financière, aurait pu être "informationnelle", comme
elle le fut avec la faillite de Lehman: Toutes les banques ayant peu ou prou
les mêmes compositions de passif (un des effets
pervers des accords de Bâle décrits ici), et
le même type de produits en portefeuilles, la faillite de l'une
laissait croire aux marchés que toutes les autres étaient
porteuses des mêmes fragilités.
Mais si les quelques mois entre les premières
révélations des difficultés de Bear et sa faillite
avaient été mis à profit pour mettre au point un
dispositif de conversion en cascade de dettes contre capital (restructuration
du passif), alors d'une part la faillite de Bear se serait produite alors que
la bulle était un poil moins importante, et surtout l'annonce de sa
faillite correctment gérée aurait rassuré les
marchés sur la capacité du système à se
désendetter et à rebondir par lui même.
En
sauvant Bear, le trésor US a fait d'une part le choix d'une tentative
de masquage des difficultés du système financier, en
espérant que la crise ne soit que passagère. Mais après
la faillite de Fannie, Freddie, AIG, sans oublier quelques banques
commerciales, Paulson s'est rendu compte qu'aucun redressement de la
situation conjoncturel n'était escomptable, et que si personne ne
sifflait la fin de la récréation, les banques
contaminées par les mauvais actifs auraient tenté de continuer
la séance d'équilibrisme financier. Evidemment, le choix de la
banque sacrifiée par Paulson s'est porté sur celle de son
adversaire abhorré Dick Fuld, dans des conditions que d'aucun jugent
totalement contraire à la loi américaine... Mais c'est une
autre question.
Paulson
aurait-il dû, ayant commencé sur un mauvais chemin avec Bear,
s'y tenir coûte que coûte et ne pas laisser mourir Lehman ? Non.
Car la chute de la banque New Yorkaise a enfin donné aux banques les
plus fragiles un signal de retour à la raison. Si ce signal n'avait
pas été donné à un moment ou un autre, un
événement ultérieur aurait de toute façon
déclenché une panique identique: Tôt ou tard, le
trésor aurait dû lâcher un gros poisson, car ni la FED, ni
aucun trésor du monde, n'auraient pu sauver toutes les banques si
celles ci n'avaient lancé quelques efforts de réorganisation de
leur bilan.
Malheureusement,
la suite de décision totalement incohérentes (promulgation
rocambolesque du plan Tarp,
puis abandon de
certains volets, mais
reprise de ces volets par la FED) n'ont pas permis que ce
travail de purge soit correctement mené à bien, d'où une
situation des banques qui reste très fragile,
laissant craindre une nouvelle vague de défaillances, le nombre de
banques considérées comme "en situation difficile"
par la FDIC augmentant semaine après semaine, et les ménages
américains étant de plus en plus nombreux à faire
défaut sur leurs dettes.
L'état spéculateur n'est
pas très performant !
Pour
la petite histoire, lorsque Paulson (Hank) a commencé à
racheter des MBS douteuses aux banques dans le cadre du plan TARP, à
un prix estimé entre 40 et 60 cents par dollar de nominal (en toute
opacité, les opérations de rachat n'ont pas été
rendues publiques...), il a affirmé que le trésor ferait
à terme une grande affaire, car jamais les pertes des MBS
n'atteindraient 40 cents par dollar, et le cours des MBS finirait par se
redresser... Espérons qu'il soit patient, car aujourd'hui, le
papier émis par les MBS en 2007 se négocient 28 cents/1$ de
nominal si elles étaient notées AAA lors de
leur émission, et 4 cents/1$ si leur cotation était AA...
Paulson
(Hank) aurait sans doute mieux fait de laisser Paulson (John) et ses
amis spéculateurs racheter par paquets les MBS les plus douteuses pour
environ 20-25 cents/1$, voire moins, et renégocier avec les
ménages endettés dont les versements alimentent la MBS un
rééchelonnement des dettes, voire un abandon partiel de
créance, moyennant quelques aménagements contractuels, pour
sécuriser un remboursement de 50 à 60, et ainsi stabiliser la
situation de nombre de ménages endettés, le tout sans jamais
faire appel au contribuable, sans endetter ses enfants pour un siècle,
sans plan d'aide aux ménages endettés qui multiplient les
effets pervers...
Laisser
Bear Stearns faire faillite et faire en sorte que le processus de
restructuration ou liquidation soit rapide et efficace aurait sans le moindre
doute amoindri la panique financière et considérablement
contribué à assainir la situation.
Bien
sûr, l'on pourra me faire remarquer à juste titre que la sale
habitude du sauvetage de la finance défaillante par le contribuable a
commencé bien avant: sauvetage des saving and loans en 1989 (sous Bush
Père), du fonds LTCM en 1998 (sous Clinton)... Les racines du mal sont
profondes. Mais lorsque la l'administration a eu un premier choix crucial
à faire concernant cette crise ci, c'est lors de la découverte
des difficultés de Bear Stearns en 2007.
Gonflement
d'une bulle non fondée sur de la création de valeur dès
l'an 2000, et refus de révéler l'étendue des
dégâts lors du début de l'affaire Bear Stearns en 2007,
sont les éléments clé du commencement des deux phases de
la crise, et de la forme dramatique qu'elle a prise.
Dater
le début de cette dernière à la faillite de Lehman
Brothers est donc réducteur et n'aide en rien à comprendre
cette crise ni à poser les bons diagnostics.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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