Le déshonneur de celle qui se
prétend être la classe intellectuelle des Etats-Unis est désormais total, et
force la sphère politique plus proche encore du dysfonctionnement et de
l’effondrement. Ce sont là les gens auxquels Nassim Taleb fait référence par
les termes « intellectuels pourtant idiots ». De lourdes questions
sont soulevées par cette dynamique : comment la classe intellectuelle
des Etats-Unis a-t-elle pu sombrer dans un tel bourbier de désinvolture ?
Et quelles sont ses motivations ?
Pour parvenir à comprendre la
situation, nous pouvons nous tourner vers l’essai très sobre de Neal Devers,
intitulé The Overton Bubble,
et publié il y a deux ans sur TheFuturePrimaeval.net — un ami m’a envoyé le
lien il y a quelques jours (je ne sais pas comment j’ai pu passer à côté tout
ce temps). Le titre fait référence à la fenêtre d’Overton, définie ainsi par
Wikipédia :
La fenêtre d’Overton, aussi
connue sous le nom de fenêtre de discours, est la gamme d’idées que le public
acceptera… Le terme est dérivé du nom de son auteur, Joseph P. Overton
(1960-2003), ancien vice-président du Mackinac Center for Public Policy….
Devers peaufine cette définition :
La fenêtre d’Overton est un
concept de sociologie politique qui fait référence à l’ensemble d’opinions
acceptables qui peuvent être formulées par une personne respectable.
« Respectable » signifie ici que le sujet peut s’intégrer dans la
bonne société. La respectabilité est une condition préalable à la capacité
d’influencer le grand public.
Voilà qui soulève une autre
question : qui exactement appartient à ce cercle de « personnes respectables »
qui établissent les paramètres de la pensée acceptable ? Premièrement, les
médias conventionnels – le New
York Times, le
WashPo, CNN, etc. — ainsi que les fonctionnaires bureaucrates du
gouvernement permanent, j’ai nommé le Deep State, qui établissent et font
respecter les lois, ainsi que les universités qui éduquent les gens
respectables (la classe intellectuelle) et leur inculquent les dogmes et les
normes de leur temps, mais aussi les groupes de réflexion qui rémunèrent les
« experts » pour vendre leurs idées.
La fenêtre d’Overton peut être
perçue comme un mécanisme de contrôle politique, qui diabolise tous ceux qui
s’éloignent du consensus de la pensée respectable, notamment s’ils expriment
leurs hérésies en public. Une telle attitude a des conséquences.
Devers explique la situation
ainsi :
Le problème de la fenêtre
d’Overton en tant que mécanisme de contrôle politique, et de la politisation
de la parole et de la pensée en général, est qu’il génère des dommages
collatéraux significatifs pour la capacité de notre société à réfléchir
clairement. Si certaines idées peuvent paraître impensables ou innommables,
et que la vérité semble tomber en-dehors des limites du consensus poli,
l’élite au pouvoir se retrouve dans une situation qu’elle ne peut tout
simplement pas maîtriser. Une élite politique malavisée est une élite qui est
incapable de réfléchir clairement quant à sa situation stratégique, d’agir de
concert, ou de suivre ses plans… Une élite politique fragilisée est une élite
qui ne dispose pas de mécanismes de contrôle politique suffisants pour
policer la parole et la pensée, ou qui fait face à des ennemis si puissants
qu’il lui est nécessaire d’employer des mécanismes toujours plus vigoureux pour
contrôler la parole et la pensée. Nous pouvons comparer cela à une « loi
martiale intellectuelle », sa structure étant similaire à l’équivalent
en matière de sécurité physique.
Nous vivons aujourd’hui sous une
telle « loi martiale intellectuelle ». La dégradation conséquente
de la pensée signifie que la sphère politique ne parvient pas à établir un
consensus cohérent quant à ce qui lui arrive aujourd’hui (ou à établir un
plan d’action pour y faire face). C’est exactement là que a fenêtre d’Overton
se transforme en bulle d’Overton, telle que l’a décrite Devers. Cette bulle
est comprise d’idées qui sont estimées être évidentes (bien qu’elles ne le
soient pas) et de notions potentiellement destructrices pour la société,
voire même suicidaires. Voici une liste partielle des dogmes qui composent
aujourd’hui la bulle d’Overton :
- La Russie a
piraté les élections de 2016 (aucune preuve requise).
- La Russie (et
Vladimir Poutine en particulier) est déterminée à détruire la Russie.
- Tous les
immigrants, légaux comme illégaux, sont égaux devant la loi.
- Les frontières
nationales sont cruelles, peu pratiques et obsolètes.
- La civilisation
occidentale est l’une des forces les plus machiavéliques de l’Histoire.
- L’Islam est la
religion de la paix, et ce peu importe combien de massacres d’infidèles
sont perpétrés en son nom.
- Les hommes
sont une force négative de la société.
- Et particulièrement
les hommes blancs.
- Points
supplémentaires pour tout comportement tombant dans la rubrique LGBTQ.
- Toute
discussion concernant les problèmes et conflits raciaux est
nécessairement raciste.
- Le hijab est
un outil de la libération des femmes.
- Il devrait
exister une loi contre l’utilisation du mauvais pronom pour désigner
ceux qui ne se considèrent ni homme ni femme (le Parlement canadien
vient d’approuver une telle règlementation).
- Une culture
commune n’est pas nécessaire pour la vie nationale (tout peut arriver).
- Coloniser Mars
est une excellente solution aux problèmes que nous avons sur Terre.
Cette liste définit les
préoccupations générales de la classe intellectuelle d’aujourd’hui – à
l’exclusion d’autres problèmes. Voici une liste alternative de problèmes
desquels elle ne se soucie pas :
- Les problèmes
énergétiques au cœur de notre malaise économique.
- Le racket de
la dette qui gouverne notre société en l’absence d’apports énergétiques
abordables.
- Les
interventions et les manipulations dangereuses sur les marchés par les
représentants non-élus de la Réserve fédérale.
- Le
dysfonctionnement extraordinaire des marchés financiers.
- La fragilité
d’un système bancaire basé sur la fraude comptable.
- Le
dysfonctionnement et la fragilité de l’arrangement suburbain aux
Etats-Unis.
- Les
conséquences d’un effondrement catastrophique de l’économie lié à tout
ce qui précède.
- La destruction
de l’écologie, qui menace la continuation de la race humaine, et
potentiellement de la vie sur Terre.
Venons-en maintenant à la
question du mobile. Pourquoi la classe intellectuelle américaine
embrasse-t-elle des idées qui ne sont pas nécessairement vraies, et encore
moins évidentes, voire même autodestructrices ? Parce que cette classe
est dangereusement précaire, et a un besoin pervers d’avoir constamment
raison quant à ses dogmes et à ses normes. C’est là la raison pour laquelle
le comportement qui émane de la classe intellectuelle revient à une
revendication de vertu – nous sommes de bonnes personnes et défendons ce
qui est juste, non, vraiment ! Bien évidemment, la revendication de
vertu n’est qu’une autre version d’une attitude moralisatrice. Et il ne faut
pas oublier le carriérisme. Tant d’individus vivent du trafic et du soutien
des politiques sur lesquels sont basés ces dogmes qu’ils n’osent pas
s’éloigner de la bulle d’Overton de la pensée permissible, sans quoi ils
risqueraient de sacrifier leur statut et leurs revenus.
La classe intellectuelle est
aussi aux commandes des institutions américaines. Quand elle se retrouve dans
l’incapacité de penser clairement, nous faisons face à une dégradation de
l’autorité, qui nous mène ensuite à une dégradation de la légitimité. C’est
exactement là que nous en sommes aujourd’hui en matière de politique
nationale – de notre capacité à gérer la politique.
Lisez l’excellent article de
Neal Devers, The
Overton Bubble.