Article de Paul Craig Roberts, publié le 18 février 2016 sur son blog :
« L’économie américaine fut enterrée lorsque les emplois des
classes moyennes furent délocalisés et le système financier dérégulé.
Les délocalisations ont profité aux cadres supérieurs et aux actionnaires
car la baisse des coûts du travail a augmenté les profits. Ces profits ont
ruisselé jusqu’aux actionnaires sous la forme de plus-values tout en
profitant aux dirigeants sous la forme de « bonus de performance ».
Wall Street a quant à lui bénéficié de la hausse des marchés engendrée par
l’augmentation des bénéfices.
Cependant, la délocalisation des emplois a également entraîné les
délocalisations de la croissance et du pouvoir d’achat des consommateurs.
Malgré les promesses de « nouvelle économie » et de meilleurs
emplois, les emplois de substitution consistent de plus en plus en des postes
à temps partiels, des emplois mal payés dans les services, par exemple en
tant que vendeur, serveuse ou barman.
La délocalisation des emplois industriels et dans les services qualifiés
vers l’Asie a stoppé la croissance de la demande aux États-Unis, décimé les
classes moyennes et engendré des perspectives d’emploi insuffisantes pour les
diplômés de l’enseignement supérieur qui sont alors dans l’incapacité de
rembourser leurs prêts étudiants. L’échelle de la promotion sociale
qu’offraient les États-Unis en tant que « société des
opportunités » a été vendue pour des profits à court terme.
Le crédit pour compenser la baisse ou stagnation des revenus
En l’absence de croissance des revenus des consommateurs pour porter
l’économie, la Fed sous Alan Greenspan a eu recours à la croissance du crédit
des ménages pour compenser la différence. Sous le régime de Greenspan, les
revenus en stagnation ou en baisse des Américains furent dopés par la
possibilité de consommer à crédit. Les citoyens étaient en mesure d’obtenir
des crédits grâce à leur bien immobilier, qui s’était apprécié depuis, pour
gagner ainsi en pouvoir d’achat.
L’expansion de la dette, largement corrélée au crédit hypothécaire, s’est
subitement arrêtée lorsque la fraude perpétrée par un système financier
dérégulé a provoqué l’effondrement des marchés immobilier et actions. Le
renflouement des coupables a alors alourdi le fardeau de leurs victimes.
Sous Bernanke, l’économie américaine fut soutenue par les assouplissements
monétaires, soit l’augmentation massive de la masse monétaire afin de sauver
les banques « too big to fail ». Les liquidités fournies par la Fed
se sont déversé sur les marchés actions et obligataires, enrichissant ainsi
ceux qui avaient investi dans ces actifs. Les dirigeants des entreprises ont
contribué à la hausse des marchés actions en utilisant les profits et en
empruntant pour racheter les propres actions de leur société, donc en
creusant leur dette.
Les bénéficiaires de l’inflation des prix des actifs financiers, produite
par les QE et les rachats d’actions, sont bien moins nombreux que ceux qui
ont profité de l’expansion du crédit à la consommation de Greenspan. Une
poignée de gens relativement riches, ce n’est pas suffisant pour porter
l’économie.
La politique des taux 0 de la Fed fut conçue afin de soutenir les bilans
des grosses banques tout en privant les Américains du paiement d’intérêts sur
leur épargne. Cette politique a réduit les revenus des retraités. Ils furent
donc forcés de réduire leur consommation ou de taper dans leur épargne pour
compenser, privant ainsi leurs héritiers d’un filet de sécurité.
En utilisant des statistiques sous-évaluées de l’inflation et du chômage
en tant qu’écrans de fumée, le gouvernement américain a maintenu les
apparences d’un redressement économique. Les étrangers ayant mordu à
l’hameçon ont continué de soutenir le dollar en détenant des instruments
financiers américains.
L’arnaque du calcul de l’inflation
Le calcul officiel de l’inflation fut « réformé » durant l’ère
Clinton afin de sous-estimer fortement l’inflation. 2 méthodes ont été
utilisées pour y parvenir :
- La première consiste à supprimer du panier de
référence du calcul de l’inflation les produits dont le prix augmente
pour les remplacer par des alternatives moins chères. Par
exemple, si le prix de l’entrecôte augmente, on la remplace par un steak
de ronde. Auparavant, l’inflation était calculée sur base d’un niveau de
vie constant. Aujourd’hui, le calcul réformé mesure la baisse de la
qualité de la vie.
- L’autre méthode utilisée pour sous-estimer l’inflation
consiste à ne pas prendre en compte la hausse des prix lorsque
la qualité augmente. Il est vrai que l’augmentation de la
qualité peut provoquer une hausse des prix. Cependant, lorsque
l’ancienne alternative n’est plus disponible il s’agit toujours d’une
hausse de prix pour le consommateur. (…)
Ces 2 « réformes » ont permis de dissimuler la véritable inflation,
mettant ainsi un terme à l’indexation du montant des aides sociales au coût
de la vie. La baisse des revenus réels des bénéficiaires de la sécurité
sociale a également impacté négativement la demande globale. La
sous-évaluation de l’inflation donne également l’illusion que l’économie
américaine se redresse vu qu’elle engendre la surestimation de la croissance
du PIB. (…)
Sur les chiffres du chômage, qui s’élève réellement à 23 % aux États-Unis
Le taux de chômage rapporté par les presstituées est sans valeur vu qu’il
ne prend pas en compte les travailleurs découragés, qui représentent un pan
important des chômeurs américains. Le taux officiel est d’environ 5 %, soit
celui rapporté par le calcul U-3 qui ne prend pas en compte les chômeurs qui
ont abandonné leur quête d’un emploi par découragement.
Le gouvernement américain dispose néanmoins d’un autre mode de calcul, l’U-6,
qui prend en compte les travailleurs découragés depuis moins d’un an. Ce taux
officiel est de 10 %. Si on prend en compte les chercheurs d’emploi
découragés depuis plus d’un an, comme c’était le cas auparavant, le
taux de chômage américain s’élève à 23 % (voir John Williams sur
shadowstats.com).
Les stimulations fiscales et monétaires ne peuvent remettre les chômeurs
au travail que si des emplois locaux existent. Mais vu qu’ils ont été
délocalisés, ces politiques sont inutiles. (…) Les politiques américaines du
21e siècle ont détruit la possibilité de voir augmenter la demande réelle des
consommateurs. Les économistes le nieront car ils sont complices du
globalisme et des délocalisations. Ils les vendent sous l’illusion du
libre-échange qui soi-disant profite à tout le monde tout en étant incapables
de prouver leurs dires. (…)
Sur la « nouvelle économie »
On nous a dit que les revenus allaient provenir d’emplois mieux rémunérés,
de la « nouvelle économie », mais aucun signe des effets de cette
mythique nouvelle économie n’est visible dans les statistiques de l’emploi.
Il n’y a pas de nouvelle économie. La nouvelle économie est telle la
promesse des néoconservateurs d’une guerre en Irak qui devait être une
promenade de santé de 6 semaines remboursée par le pétrole irakien. Alors que
la facture s’élève à 3 trillions de dollars d’après Joseph Stiglitz et Linda
Bilmes et que cette guerre a duré tout au long du 21e siècle et devient
toujours plus dangereuse. (…)
Le gouvernement américain a abandonné l’ensemble de sa population à
l’exception des riches. »
Crédit photo : Sergio
Vassio via Flickr