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Cours Or & Argent

Plus ça change, plus c'est pareil.

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Publié le 02 mars 2011
4488 mots - Temps de lecture : 11 - 17 minutes
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Rubrique : Fondamental

 

 

 

 

Il y a quarante ans, Raymond Aron (1905-83), philosophe, écrivait des éditoriaux dans Le Figaro.

En janvier 1971, l’actualité monétaire dans le collimateur des politiques et autres commentateurs n’était pas l’excédent de la balance des paiements de la Chine communiste - comme il peut l'être aujourd'hui -, mais le déficit de la balance des paiements des Etats-Unis - et il l'est encore pour certains observateurs ...-.

Des diagnostics différents sur les causes du déficit américain avaient même amené depuis peu les autorités américaines à changer le mode de calcul du solde comptable et à faire un calcul sur une base alternative dite l’une « des règlements officiels » et l’autre « des liquidités ».

Ce changement et ses causes ne sont pas sans anticiper sur les diagnostics différents sur les causes de l’excédent chinois qu’a pu faire le dernier G20, l’autre semaine, et sur l’accent qu’il a mis - avec l’assentiment diplomatique des autorités chinoises -, sur une composante de la balance des paiements chinoise, à savoir la "balance des transactions courantes".

Bien plus, un vent nouveau paraît aujourd’hui souffler dans les réunions monétaires du type "G20" et vouloir réanimer l’idée des droits de tirages spéciaux (D.T.S.), monnaie institutionnelle émise par le Fonds monétaire international (F.M.I.) les années 1970, 71 et 72.

Or c’est tout juste il y a quarante ans que la première grande allocation de D.T.S. aux pays membres du F.M.I. venait d’être réalisée.

Je vous propose ci-dessous deux textes de Raymond Aron des 10 et 11 janvier 1971 faisant une espèce de point sur la double question du déficit de la balance des paiements des Etats-Unis et de l’existence de la toute nouvelle monnaie institutionnelle « D.T.S. ».


1. L’alchimie des chiffres
Le Figaro, 10 janvier 1971.


Depuis mars 1968 et l'instauration du double marché de l'or, la « crise du dollar » ou la « crise du système international des payements » a quitté la première page des journaux pour redevenir un sujet réservé aux spécialistes.

Les difficultés du franc, après les événements de mai 1968, ne permettaient plus aux hommes d'Etat français d'exprimer publiquement leurs critiques.
Les autres gouvernements d'Europe avaient toujours accepté, sans trop de mauvaise humeur, le règne du dollar.

Enfin le système des deux marchés, au bout de quelques mois, se révélait moins vulnérable que beaucoup d'experts ne l'avaient pensé à l'avance.

Le gouvernement d'Afrique du Sud finit par conclure un accord avec le Fonds monétaire international qui l'autorise à vendre à celui-ci l'or nouvellement extrait lorsque le prix sur le marché libre risque de tomber au-dessous du prix officiel, devenu prix-plancher.
Si nous laissons de côté les particularités techniques de l'accord, celui-ci équivaut à une sorte de reconnaissance d'un prix minimum — le prix officiel — qui n'exclut pas la montée du prix sur le marché libre, montée qui, jusqu'à présent, demeure limitée par l'obligation faite au gouvernement d'Afrique du Sud d'y vendre son or dès que le cours y dépasse 35 dollars l'once.

Le maintien du prix libre au-dessus du prix officiel n'en reste pas moins possible et presque naturel : le gouvernement d'Afrique du Sud choisit le moment favorable pour vendre les quantités d'or nécessaires à l'équilibre de sa balance des comptes.
De plus, le maintien approximatif du prix libre alors que le dollar se dévalorise depuis trois ans de 4 à 5 % par an rend le prix de l'or métal de plus en plus avantageux.

La demande d'or pour des emplois non monétaires doit augmenter.
Les thésauriseurs n'ont pas disparu, ils gardent en dépit de tout l'espoir qu'un jour l'or retrouvera sa fonction de « conservation des valeurs ».

Bien que le métal, d'année en année, perde une fraction de son pouvoir d'achat, il continue d'exercer sur une fraction du public une fascination économiquement «  irrationnelle ».
Il se trouve des Français pour acquérir des louis à quelque 50 % au-dessus du prix correspondant à celui du lingot.

Au cours des trois dernières années, l'évolution de l'étalon-or (ou de l'étalon de change or) à l'étalon-dollar semble donc avoir atteint son terme.

La revalorisation du mark symbolise, au même titre que le double marché de l'or, l'ordre nouveau : si le dollar se dévalorise plus vite qu'une autre monnaie, c'est à cette dernière qu'incombe la tâche de rétablir l'équilibre par la réévaluation, non au dollar par la dévaluation.

Nombre de monnaies ont leur valeur fixée en dollar, non en or. Elles devraient se dévaluer en même temps que le dollar.
De plus, une dévaluation de la monnaie américaine entraînerait une modification du prix officiel de l'or que les responsables, à Washington, veulent éviter par principe : la stabilité du rapport or-dollar accentue le caractère conventionnel du prix du métal, devenu une sorte de monnaie de compte.

En tant que monnaie, l'or différait du papier par le fait qu'il possédait une valeur intrinsèque, une valeur de marchandise.
Marx, avec la plupart des classiques, définissait sa valeur par la quantité de travail nécessaire pour le produire, c'est-à-dire pour l'extraire.

En empêchant le prix de l'or monétaire de fluctuer, les dirigeants américains lui enlèvent en apparence sa qualité de marchandise : sur le marché libre, l’or-métal fluctue ; dans les relations entre banques centrales, l'or-monnaie, abstraction comptable, demeure stable, du moins en dollar.
Il va de soi en effet, que la revalorisation du mark par rapport au dollar entraîne du même coup sa revalorisation par rapport à l'or.

Ajoutons enfin que les droits de tirage spéciaux (D. T. S.) ont été «  activés » en 1970 pour la première fois.


Le Fonds monétaire, avec l'assentiment de la communauté monétaire internationale, a créé environ 3 milliards de dollars des réserves supplémentaires — premier exemple de création d'un instrument, plus proche d'une monnaie internationale que d'un crédit, par décision d'un organisme international.

La justification officielle des D.T.S. était la disparition ou la réduction du déficit américain de la balance des comptes.

Le déficit n'a pas disparu, il n'a pas diminué mais il finit par échapper au profane en raison de la dualité des modes d'évaluation: selon que le calcul se fait sur «  la base des liquidités», ou « selon les règlements officiels », le déficit se transforme en excédent on inversement.

Les comptes extérieurs des Etats-Unis comportaient un excédent de 2,7 milliards de dollars en 1969, selon les règlements officiels. Ils comportent un déficit de 9,5 milliards en 1970.

En revanche, selon l'autre mode de calcul (« liquidités »), le changement est de sens contraire; le déficit, encore supérieur à 4,5 milliards, devient inférieur à celui de 1969.

Si l'on s'en tient aux règlements officiels, le montant du déficit est égal au montant des créances supplémentaires en dollars, détenus par des organismes officiels étrangers, avant tout les banques centrales.

Selon l'autre mode de calcul, on tient compte des créances détenues par des personnes privées et les banques.

Or, quand les taux d'intérêt sur le marché des eurodollars sont très élevés, comme en 1969, les possesseurs de dollars, privés et publics, ont intérêt à les placer sur ce marché.
Les banques qui ont des dollars inscrits sur leurs livres ne vont pas les changer aux banques centrales contre une monnaie nationale mais les font fructifier sur le marché des eurodollars.
Eventuellement, les banques centrales font de même et, au lieu de garder leurs réserves en dollars sur le marché de New York, les placent sur le marché des eurodollars, en 1969, des banques américaines, en raison des restrictions de crédit outre-Atlantique, s'étaient endettées à l'égard de leurs filiales étrangères, surtout européennes — ce qui avait élargi le déficit, calculé sur la base des liquidités.

En même temps, les taux d'intérêt élevés détournaient les détenteurs européens de dollars de les changer contre une monnaie nationale, ce qui réduisait les créances en dollars détenus par les banques centrales, en d'autres termes réduisait le déficit en terme de «  règlements officiels ».

Ces mécanismes, que l'analyse précédente simplifie, prennent, dans le jargon technique, un caractère mystérieux,
Quand, la même année, les comptes extérieurs apparaissent, selon le mode de calcul, excédentaires de plus de 2 milliards et demi ou déficitaires de 7 milliards, quand un excédent de 2,7 milliards devient d'une année à l'autre un déficit de quelque 9 milliards, le non-spécialiste est enclin à se désintéresser de cette alchimie des chiffres et à renoncer à comprendre.

Certains de ces chiffres n'en comportent pas moins une traduction intelligible à tous.
Le déficit sur la base des règlements officiels signifie que des banques centrales étrangères possèdent 9 milliards de dollars de créances dont elles ont le droit théorique de réclamer la conversion en or — droit que, de toute évidence, elles ne peuvent exercer puisque le stock du Fort Knox est tombé aux alentours de 10 milliard de dollars.
Les Américains justifiaient volontiers les D.T.S. par le manque de liquidités qui résulterait du rétablissement de l'équilibre de la balance américaine des comptes.

Beaucoup d'analystes n'ont jamais cru au rétablissement de l'équilibre et les événements confirment leur scepticisme Renoncera-t-on pour autant à créer les D.T.S en 1971 et en 1972 ?

Personne ne semble le croire.


2. Le règne arbitraire du dollar
Le Figaro, 11 janvier 1971


Le rapport des conseillers économiques du président Nixon, dont nous avons extrait les chiffres de déficit évalué de 1970 (1), marque quelque inquiétude au sujet du déficit « sur la base des règlements officiels » et formule la remarque suivante : « II sera nécessaire de maintenir un équilibre approprié entre nos responsabilités internationales et les objectifs intérieurs de notre action économique dans les décisions portant sur la combinaison ou le mélange des différents instruments de notre politique ».

Cette formule, en langage clair, signifie que dans le choix des moyens — quantité de monnaie, prix de l'argent, défait budgétaire — la gestion économique devrait tenir compte des répercussions du choix sur la position extérieure du dollar. L'expérience n'incline pas à croire que ce conseil sera écouté.

En 1970, la balance commerciale s'est améliorée : l'excédent entre 2,5 et 3 milliards de dollars dépassera le double de celui de 1969, sans pour autant atteindre aux 5 pu 6 milliards de dollars, objectif déclaré maintes fois par les responsables de Washington.
Mais cette amélioration a été plus que compensée par les mouvements de sens contraire, qu'il s'agisse de sorties de capitaux plus importants ou d'entrée de fonds étrangers moins importants.

De I960 à 1965, la croissance de l'économie américaine s'était accomplie sans augmentation du coût de l'heure de travail, alors que ce coût augmentait chez les principaux concurrents des Etats-Unis.

Depuis 1965, l'inflation entraîne une augmentation des coûts et des prix, égale ou supérieure à celle que l'on observe en Europe et au Japon.
Il n'y a pas de motif d'escompter un rétablissement de l'équilibre des comptes grâce à une augmentation plus forte du surplus commercial.

La relance à laquelle s'est résolu le président Nixon n'entraînera pas nécessairement une accélération de la hausse des prix : la lutte contre l'inflation comporte éventuellement un arrêt de la croissance et une continuation de la hausse des prix.

Il n'en reste pas moins que la reprise de l'expansion, par elle-même, ne devrait pas apporter d'amélioration dans les comptes extérieurs des Etats-Unis. Une fois de plus les observateurs s'interrogent : combien de temps le déficit peut-il persister et le système fonctionner ?

A court terme, la question présente, à mon sens, un caractère plus politique qu'économique. Les banque centrales qui possèdent des créances en dollars savent que celles-ci ne sont pas, en fait, convertibles en or.

Si elles exigeaient cette conversion, elles obligeraient le gouvernement américain à décréter un embargo sur l'or. Il se créerait probablement deux zones distinctes, l'une à travers laquelle le dollar deviendrait officiellement une monnaie internationale, une autre qui s'efforcerait peut-être de restaurer la fonction de l'or et dont les transactions avec la première dépendraient des relations fluctuantes entre le dollar et l'or.

Si les Six parvenaient à une authentique solidarité, une sorte de monnaie européenne tendrait à naître et créerait une zone capable de traiter, d'égale à égale, avec la zone dollar. Dans les circonstances présentes, aucun gouvernement n'exigera une conversion impossible pour la simple raison que l'on craint les conséquences d'une crise plus que celles du déficit américain.
En d'autres termes, celui-ci me paraît susceptible d^ persister, au moins quelques années, sans qu'il en résulte de bouleversement : les gouverneurs de banques centrales se résigneront encore quelque temps à accumuler des dollars, faute d'apercevoir le moyen de faire autrement ou, si l'on préfère, par conviction que le refus leur coûterait plus cher, à eux et à tous, que l'acceptation.

Que devraient faire les responsables de la politique américaine ?
S'ils adoptent le diagnostic du professeur Samuelson, le déficit a une origine toute simple : la surévaluation de la monnaie américaine qui daterait des taux de change adoptés par les monnaies européennes, taux qui auraient cessé d'être « réalistes » dès le jour où les pays du Vieux Continent auraient relevé leurs ruines et modernisé leurs économies.

Même s'ils souscrivaient à ce diagnostic, les dirigeants de Washington seraient embarrassés pour suivre l'avis implicitement donné par le récent titulaire du prix Nobel :
Quels pays accepteraient une i réévaluation de leur propre monnaie par rapport au dollar ?
Quels pays s'accommoderaient volontiers d'une augmentation substantielle de l'excédent commercial américain ?
Suffirait-il d'une dévaluation du dollar pour réduire la tendance des grandes firmes américaines à investir au dehors ?

A l'heure présente, ni la livre, ni le franc, ni la lire n'apparaissent surévalués par rapport au dollar. A court terme, une dévaluation de celui-ci par rapport à l'or ou par rapport à l'ensemble des monnaies demeure donc toujours aussi improbable.

Si l'on met l'accent sur le rôle de banquier international joué par les Etats-Unis, on constate que le marasme de la Bourse américaine a réduit l'an dernier l'attraction du marché américain sur les capitaux étrangers cependant que la baisse des taux de l'eurodollar amenait une conversion en monnaies nationales des créances en dollars et que le changement de la politique monétaire permettait aux banques américaines de réduire leur endettement à l'égard de leurs filiales.

Ces péripéties mettent en lumière l'extraordinaire solidarité de l'ensemble atlantique, l'influence qu'exercent en fait les décisions prises à Washington sur toutes les économies occidentales : à cette situation les Européens sont contraints de s'adapter, bon gré mal gré, tant qu'ils ne constituent pas une entité économico - monétaire.

Dans la mesure où ils redoutent certains investissements des firmes américaines, ils doivent les contrôler directement, sans espoir de les empêcher en faisant pression sur la monnaie américaine.

Quant à l'administration de Washington, rien n'indique qu'elle envisage de modifier son action diplomatique et monétaire au-dehors, sa politique économique et monétaire au-dedans pour rétablir l'équilibre statistique de ses comptes extérieurs.

Pendant deux années, le président Nixon a lutté contre l'inflation en limitant l'augmentation de la masse monétaire et en laissant monter les taux d'intérêt.

Il a maintenant renversé sa politique et les taux d'intérêt ont baissé.
Ces nouvelles décisions sont entièrement imputables à des considérations internes. Elles amélioreront ou aggraveront la balance commerciale selon l'effet exercé sur le mouvement des coûts et des prix.

L'action américaine demeure, dans le système international, une variable majeure, indépendante non de la conjoncture de l'économie américaine mais des préférences des partenaires des Etats-Unis.

Est-ce à dire que le système actuel représente une solution durable?
Je ne le pense pas.

La création des D. T. S. (droits de tirages spéciaux), à laquelle la persistance du déficit des comptes américains enlève sa justification, garde une portée symbolique : la communauté monétaire internationale tente, pour la première fois, de prendre des décisions comparables à celles d'une banque centrale.

Cette tentative a-t-elle été heureuse ?

Je n'en suis pas sûr.
Mais, d'une façon ou d'une autre, de telles tentatives impliquent une participation accrue des divers Etats au pouvoir de décision.
Pour l'instant, les Européens ne savent pas comment limiter l'autonomie des Etats-Unis sans recourir à des moyens extrêmes de nature à provoquer une crise.

Mais l'administration, l'extension ou la suppression des D. T. S. doivent relever d'un Conseil international.
Or, en ce cas, les gouvernements ont intérêt à renforcer le pouvoir de ce Conseil en dehors duquel tous les Etats se trouvent soumis à une autorité, en fait supranationale, qui se confond avec celle d'un Etat national : les Etats-Unis.

Une autorité supranationale ne supprimerait pas le règne du dollar, elle en réduirait au moins l'arbitraire.


3. Bref, c'est quoi les D.T.S.

Raymond Aron n’était pas économiste, mais certains considèrent qu’il était libéral. 
J'aurai l'occasion de revenir sur ses écrits en matière monétaire - où, entre autres, il s'opposait aux idées de Jacques Rueff - car l'année 1971 fut chaude et les décisions prises cette année-là ont eu maintes conséquences dont nous vivons certaines encore aujourd'hui : par exemple, l'inconvertibilité extérieure des monnaies en or.

Sur la question des D.T.S., Jacques Rueff a eu l'occasion d'écrire à la même époque les lignes qui suivent :

"[...] Si l'on veut parer aux graves dangers qu'implique, pour la prospérité de l'Occident, la hausse exorbitante des taux d'intérêt, il n'est d'autre solution que de parer à la cause qui la provoque.
L'article précédent a montré que cette cause se trouvait tout entière dans la désaffection des détenteurs de capitaux à l'égard des investissements libellés en monnaie, tels que prêts à court, moyen et long terme, tels encore que prêts obligataires.

A ces formes d'investissements en monnaie, ils préfèrent l'acquisition de biens réels, or, terres, maisons, actions, tableaux ou oeuvres d'art, ayant, du fait de leur rareté et de la demande dont ils sont l'objet, une valeur intrinsèque.

La préférence donnée aux biens réels relativement aux avoirs définis en monnaie, procède du sentiment que la dépréciation des unités monétaires, rattachées toutes, en fait ou en droit, au dollar, est rendue probable, sinon certaine, par la dégradation progressive de la solvabilité des deux monnaies de réserve, le dollar et la livre sterling, ainsi que par l'inflation qui règne dans nombre de pays de la collectivité occidentale.

Si on veut écarter les sombres nuages qui bouchent notre horizon économique, il n'est d'autre solution que de rendre rapidement une solvabilité internationale non discutable à ces deux monnaies de réserve, et en outre d'éliminer les foyers d'inflation résultant de politiques de crédit trop libérales ou de circonstances particulières, telles celles qui ont régné en France après les événements de mai-juin 1968.
Rétablir la solvabilité internationale du dollar et de la livre sterling, c'est créer la certitude que les Etats-Unis et l'Angleterre pourront faire face sans limite à toute demande de remboursement de balances-dollar et sterling ou d'autres créances exigibles libellées en ces monnaies.

A cette fin, deux familles de méthodes ont été proposées : celles qui sont fondées sur la création ex nihilo de ressources monétaires nouvelles, et celles qui impliquent une hausse du prix de l'or.

Ce sont les solutions du premier type qui seront examinées dans le présent article.
Elles ont été formulées dans divers « plans », dont le plan Triffin est le plus ancien, mais dont le plan de droits_de tirage spéciaux, actuellement soumis à la ratification des pays membres de la collectivité monétaire occidentale, est la forme la plus élaborée.

Ces projets ont un trait commun : ils prévoient la création. par des méthodes diverses, d'une monnaie internationale nouvelle, qui est définie en or mais qui n'est pas remboursable en or.

Cette monnaie sera émise dans des limites définies et pourra être utilisée par les débiteurs en paiement des déficits de leur balance des paiements.
Il y aura ainsi substitution d'un nouvel instrument monétaire, définitivement inconvertible en or, aux créances dont les titulaires demandaient la conversion.

a) Une monnaie qui n'est pas « gagnée ».

Les modalités de l'émission diffèrent d'un plan à l'autre. J'examinerai ici plus spécialement celles que prévoit le plan de droits de tirage spéciaux.

Aux termes de ce projet, chacun des Etats participants recevra chaque année une allocation de droits de tirage spéciaux.
A concurrence de cette allocation, il pourra demander au Fonds Monétaire International la délivrance des monnaies dont il aura besoin pour le règlement de ses déficits de balance des paiements ou des monnaies propres à les procurer.

L'Etat qui aura demandé au Fonds Monétaire International des monnaies de règlement verra réduire, à due concurrence, le montant des droits de tirage inscrits à son crédit dans cette institution.
Inversement, l'Etat qui aura fourni les contingents de monnaie ainsi utilisés bénéficiera d'une augmentation, à due concurrence, de sa provision de droits de tirage spéciaux au Fonds Monétaire International.

Du fait de cette transaction, il y aura réduction de la réserve de moyens de paiement internationaux du débiteur et augmentation de celle du créancier.
En apparence, tout se passera comme si le règlement avait été accompli par transfert d'or.
Les droits de tirage spéciaux sembleront véritablement de 1' « or-papier ».

Mais il n'y a là que pure apparence.
En réalité, les différences sont profondes entre le paiement en or et le paiement en droits de tirage spéciaux.

— L'or est produit par extraction du sol ou obtenu par excédent de la balance des paiements. Dans les deux cas, il est la contre-valeur d'un effort de production de la collectivité qui en bénéficie.

Au contraire, les droits de tirage spéciaux sont créés de toutes pièces par une décision discrétionnaire du Fonds Monétaire International.

— On dira que cette distribution ne sera pas inéquitable, car elle profitera également à tous les Etats bénéficiaires, au prorata de leur quote-part au Fonds Monétaire International.

Mais l'égalité ici ne sera que formelle. La faculté d'utiliser des droits de tirage spéciaux à des achats à l'étranger sera réservée aux Etats dont la balance des paiements sera en déficit.
Pour les autres, tant qu'ils n'auront pas atteint le bienheureux état de pays déficitaire, les droits de tirage spéciaux seront sans objet, même si leurs détenteurs prétendaient acheter de l'or destiné à leurs industries ou modifier la composition de leurs réserves.

Ainsi se révèle la principale différence entre l'or et les droits de tirage spéciaux.
Le premier est un pouvoir d'achat inconditionnel, soumis à la seule souveraineté de son détenteur.
Le second est une faculté conditionnelle d'achat à l'étranger, soumise à l'appréciation discrétionnaire, donc politique, de l'organisation émettrice.

Selon le plan en cours de ratification, le montant des droits de tirage spéciaux créés annuellement doit être fixé en une seule fois, pour une période de cinq ans, chaque Etat recevant une allocation proportionnelle au montant de sa quote-part au Fonds Monétaire International.

Ainsi, l'or est « gagné », alors que les droits de tirage spéciaux sont « alloués ».

On mesure la portée de cette différence en observant les conséquences qu'elle entraîne pour un pays dont la réserve d'or et de devises est tombée au niveau au-dessous duquel il estime impossible de la laisser descendre.

En régime d'étalon-or, il est devant une alternative simple : cesser ses paiements à l'étranger ou acquérir les moyens de paiements internationaux qui lui font défaut.
S'il choisit cette dernière solution, il lui faut ou produire de l'or ou mettre en excédent sa balance des paiements.
Dans les deux cas, c'est contre des biens réels, c'est-à-dire par renonciation à la consommation interne de vraies richesses, qu'il obtient les moyens de paiement étrangers qui lui font défaut.
Le « pouvoir d'achat étranger » qu'il obtient est strictement limité au montant du sacrifice de consommation interne qu'il consent. Aucune habileté, aucune pression politique ne permettent de dépasser ce montant.

Au contraire, en régime de droits de tirage spéciaux, la restauration de la faculté d'achat à l'étranger n'est due qu'à un cadeau gratuit résultant, sans sacrifice d'aucune sorte de la part du pays qui le reçoit, d'une décision discrétionnaire de la collectivité qui contrôle la création des droits de tirage spéciaux, c'est-à- dire, suivant le projet discuté, du Fonds Monétaire International.

Le critère qui fait dépendre l'ouverture du droit à attribution de la constatation d'un déficit des paiements extérieurs apparaît comme particulièrement dangereux lorsque sont observées la difficulté et l'incertitude de la détermination du solde d'une balance des paiements, qui varie dans de larges proportions, ainsi que le montrent les statistiques officielles des Etats-Unis, avec la méthode choisie pour le calculer.

— Pour le pays créditeur, la différence entre or et droits de tirage spéciaux n'est pas moindre.

Lorsqu'il reçoit de l'or, il opère un échange entre les biens qu'il a cédés au pays créancier et l'or remis par celui-ci.

Lorsqu'il reçoit des droits de tirage spéciaux, il remet de la monnaie nationale, c'est-à-dire des moyens d'acheter à l'intérieur de ses propres frontières, en échange d'un actif créé de toutes pièces, qui ne lui vaudra pouvoir d'achat que lorsque sa balance des paiements sera devenue déficitaire.
Autrement dit, il donne à l'Etat débiteur faculté d'opérer un prélèvement sur sa production nationale en échange d'un simple espoir de pouvoir un jour, si le Fonds Monétaire International le lui permet et s'il a su se mettre en déficit, acheter des biens à l'étranger.

La monnaie créée en faveur du débiteur viendra majorer de son montant la circulation monétaire du pays créancier et pourra, un jour, lui imposer l'aventure néfaste de mesures de restriction monétaire ou même d'un « plan de stabilisation ».

b) Le privilège des Etats-Unis.

L'observation qui précède prend tout son sens si l'on observe que le projet de traité prévoit qu'un Etat « pourra utiliser des droits de tirage spéciaux pour éviter une variation de ses réserves brutes ».

Cette phrase sibylline a un sens très précis. Elle signifie que les Etats-Unis auront la possibilité d'utiliser leurs droits de tirage spéciaux pour faire face à une demande de conversion de balances-dollar, même si leur balance des paiements, au sens usuel du mot, n'est pas en déficit.

En acceptant cette clause, les pays créditeurs ont pris à leur charge le remboursement en leur propre monnaie des balances-dollar quand ce remboursement sera demandé.

Lorsque l'on sait les précautions qui interviennent dans chaque pays pour le contrôle, notamment par voie parlementaire, des engagements de paiement, on demeure confondu de la légèreté avec laquelle ce transfert de charge réelle du débiteur au créancier a été consenti.

L'attribution de droits de tirage spéciaux ne se fera évidemment, chaque année, que dans le cadre du maximum autorisé par les autorités du Fonds Monétaire International. Ce montant doit être fixé pour une période de cinq ans.

En 1967, le gouvernement des Etats-Unis estimait qu'il faudrait créer l'équivalent de 5 à 10 milliards de dollars en cinq ans [...]"


La lecture de ces quelques lignes pourra être complétée par celle du chapitre 13 du livre qu'a écrit Jacques Rueff et qui est intitulé Le péché monétaire de l'Occident, à  propos du "néant habillé en monnaie."

 

Georges Lane

Principes de science économique

  

 

Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.

 

Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur

 

 

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Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France. Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur
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