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L’époque étant au
ravivement de l’idéologie égalitariste, une petite
explication de texte me semble utile - celle d’un extrait du philosophe
David Hume (Écosse, XVIII°), aussi clair que concis, et plus que
jamais pertinent :
« Les historiens, et même le bon sens, peuvent nous faire
connaître que, pour séduisantes que puissent paraître ces
idées d'égalité parfaite, en réalité elles
sont, au fond, impraticables, et si elles ne l'étaient pas, elles
seraient extrêmement pernicieuses pour la société
humaine.
Rendez les possessions aussi égales que possible:
les degrés de l'art, du soin, du travail des hommes rompront
immédiatement cette égalité. Ou alors, si vous restreignez
ces vertus, vous réduisez la société à la plus
extrême indigence, et, au lieu de prévenir le besoin et la
mendicité chez quelques-uns, vous les rendez inévitables
à la communauté entière.
La plus rigoureuse inquisition est également
nécessaire pour déceler toute inégalité
dès qu'elle apparaît, ainsi que la juridiction la plus
sévère, pour la punir et la rectifier.
Mais, outre que tant d'autorité doit bientôt
dégénérer en tyrannie, et être exercée avec
une grande partialité, qui peut bien être investi dans une
situation telle que celle ici supposée ? »
Hume s’attache donc ici à montrer que l’égalité est un
idéal illusoire, et nuisible aux sociétés qui cherchent
à l’atteindre.
Tout d’abord, il ne suffirait pas de redistribuer les richesses.
Celles-ci ne pleuvent pas du ciel : elles sont produites, et des individus
différents ont des revenus différents parce qu’ils ont
des capacités différentes. Il faudrait donc redistribuer constamment
les richesses.
Ce constat détruit,
insistons-bien là-dessus, la prétendue différence entre
égalisation des chances de départ et des résultats.
Parmi les égalitaristes, certains extrêmistes voudraient, en
accord avec la doctrine communiste, atteindre un même niveau de satisfaction
pour tous les membres de la société, quelle que soient leurs
contributions productives au fonds de consommation. D’autres,
apparemment plus mesurés, acceptent les différences de
richesses, mais uniquement dans la mesure où celles-ci sont
effectivement « méritées, »
c’est-à-dire précédées d’une
égalisation des chances. Mais, si les chances d’une
génération naissante dépendent de la réussite de
la génération précédente, si les enfants sont
bien plus ou moins « favorisés » par leur milieu
social et les différents capitaux accumulés par leurs parents, alors,
clairement, égaliser les chances présentes des enfants revient
à égaliser les résultats passés de leurs parents,
et demandera à nouveau d’égaliser leurs propres
réussites à l’avenir, avant qu’elles ne se
transmettent à leur propre progéniture. « Il faut
donc redistribuer constamment les richesses. »
La conséquence, comme le note Hume, en serait une
déconnexion totale entre les capacités de consommation et les
capacités de production des membres de la société.
Chacun se rendant rapidement compte que son niveau de vie ne dépend en
rien de ses propres actions (du fait qu’il se forme utilement ou non,
déploie ses efforts ou non, épargne ou non,) on imagine bien
les résultats désastreux qui s’ensuivraient. Prétendant
« prévenir le besoin chez quelques-uns », on y
condamnerait la communauté entière.
Devant ce monumental problème d’incitation, la seule
possibilité serait de passer à un autre registre : la
coercition, c’est-à-dire le travail forcé. Hume ne le
mentionne pas car il ne
connaissait pas encore les délires socialistes à venir, mais il
est clair que la seule solution serait que l’État contrôle
entièrement la production, et pas seulement sa distribution. Que
l’on se rappelle le mot de Trotsky : avec le capitalisme, qui ne
travaille pas ne mange pas ; avec le socialisme, qui n’obéit pas
ne mange pas.
À nouveau, la social-démocratie vire ici au communisme.
Mais, outre les insurmontables problèmes d’organisation que cela
poserait, notons le caractère arbitraire (et totalitaire) d’un
tel régime. Certains seulement (un Président, un Parlement, le
Bureau d’un Parti, etc.) décident seuls à combien chacun
a droit et combien chacun doit. Cela, bien entendu, n’est rien
d’autre que la loi du plus fort et un esclavage en règle. Par
exemple, il n’est plus du tout question d’égalité,
ici, puisque l’État distribue selon ce qu’il juge
être les besoins (différents) de chaque foyer.
Bien entendu, un tel pouvoir contrôlant production et distribution
des richesses « doit bientôt dégénérer en
tyrannie. » Telle est bien la dernière contradiction de
l’égalitarisme : instaurer une inégalité totale,
et totalitaire, entre gouvernants et gouvernés.
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