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Régulièrement, on voit fleurir, dans les
commentaires ici ou ailleurs, une délicieuse référence
à la fameuse Loi Giscard-Pompidou de 1973, qui interdirait à
l’Etat de se financer sans intérêt, et qui serait
directement responsable de son endettement total (ou pas loin). Et
régulièrement, on indique en support à ces assertions
les travaux de doctes économistes improvisés et autres
vidéos palpitantes expliquant par le menu pourquoi l’Etat
s’est vendu aux marchés et comment tout ceci est très
méchant. Et là, je crie « foutaises ! »…
Pour le détail sur cette loi et les graphiques
fantaisistes représentant la part d’intérêts dans
les dettes de l’état français, je vous reporte à l’article du Parisien
Libéral (aussi paru sur Contrepoints.org).
L’article y décrit la loi, qui dit en substance :
« Le Trésor public ne peut être
présentateur de ses propres effets à l’escompte de la
Banque de France. »
Il fournit également quelques éléments de
réflexions, qui ne semblent pas effleurer les tenants de la
théorie quasi-conspirationniste de
l’Etat vendant sa monnaie aux intérêts privés :
pour ces derniers, avec une telle loi, l’Etat a abdiqué sa
souveraineté et ne peut plus battre monnaie comme bon lui semble.
Pire, il doit s’acquitter en plus d’un montant de plus en plus
énorme d’intérêts (le pov’chou)
créés de toute pièce par le méchant
système bancaire.
L’une des vidéos en vogue sur le sujet (et que
vous trouverez sans problème) relate correctement le mécanisme
de réserve fractionnaire et la création monétaire par
les banques commerciales, sans cependant détailler pourquoi ce
système existe, pourquoi il fonctionne ainsi et quel rôle
l’état a eu pour en arriver exactement à ça.
C’est assez dommage, du reste, la démonstration gagnerait un
angle intéressant si ce « petit » détail
n’avait été omis. On y apprendrait par exemple le
rôle primordial — démesuré, même — de
l’état dans la façon dont fonctionnent les banques. Le
code bancaire, maquis touffu et particulièrement complexe, est
à lui seul la preuve (notamment par l’accroissement
rocambolesque de sa taille pendant les trente dernières années)
que le premier acteur dans le domaine bancaire est et reste
l’état, tout puissant pour décider comment sa monnaie
sera utilisée.
A ce sujet, la fumeuse vidéo n’évoque en
rien l’aspect totalement monopolistique de la monnaie étatique :
certes, les banques commerciales produisent une partie de la monnaie
scripturale, mais force est de constater que c’est sous l’oeil parfaitement politique des états qui en
décident unilatéralement la dénomination et la force,
par une pure politique monétariste.
En effet, avant 1973, la capacité de création
monétaire de l’Etat était limitée par les accords
de Bretton Woods,
c’est-à-dire par le dollar américain, lui-même
convertible en or. La fameuse loi de 1973 a été mise en place
juste avant l’effondrement du système pour éviter,
justement, que nos joyeux gouvernements n’usent et n’abusent de
la planche à billet, à l’occasion de la fermeture de la
gold-window par Nixon…
Evidemment, abroger la loi de 1973 ne redonnerait à
l’Etat qu’une seule capacité : celle de faire exploser
l’inflation comme bon lui semble, ce qui n’a jamais
constitué une source de richesse. Dévaluer une monnaie (= en
diminuer la qualité) n’a jamais provoqué autre chose,
à moyen ou long terme, que la ruine des épargnants.
Ce que les tenants de la belle théorie exposée
dans ces vidéos et dans ces graphiques ne comprennent pas, c’est
que les monnaies fiat qui existent actuellement ne reposent que sur une
unique valeur : la confiance qu’on leur donne. Lorsque les
états ont, progressivement, décidé d’abandonner
ouvertement la possibilité d’imprimer des billets de Monopoly,
ils l’ont fait en échange de la confiance dans leur monnaie.
C’est exactement ce que traduisent les taux
d’intérêts des banques privées lors des emprunts
contractés par ces états.
Autrement dit, à la fermeture de la gold-window, les états ont décidé de
passer par le marché essentiellement pour augmenter la confiance des
prêteurs dans leur monnaie. Et c’était indispensable :
moins une monnaie inspire confiance, plus l’ensemble de l’économie
qui l’utilise peine a générer
de la richesse, chaque échange étant alors entaché
d’une prime de risque de plus en plus grande (ça se traduit par
une monnaie faible, fluctuante sur les marchés des devises, par des
taux d’intérêts élevés pour les états
et les entreprises, et par une inflation importante).
L’inflation importante provoque une baisse de
l’épargne, baisse qui se traduit directement par un manque
à gagner en capital dans les entreprises. Ce manque de capital finit
tôt ou tard par se traduire par des pertes d’emplois, des
délocalisations, une baisse d’innovations et une fuite des
cerveaux. Si cela vous rappelle quelque chose, c’est normal.
Dans ces vidéos et autres articles, on ne parle du
reste jamais de l’éléphant dans le salon. Pourtant, il
fait de joyeuses claquettes et se résume à deux questions :
a/ qui, exactement, choisit de faire de la dette ?
b/ qui, exactement, prête les sommes dont l’état a besoin
?
Là encore, c’est furieusement dommage de ne pas
aborder les réponses à ces deux questions parce qu’elles
éclairent d’un jour limpide ce qui se passe sous nos petits yeux
ébahis.
En effet, il n’y a aucune raison pour un état
de créer de la dette. C’est tellement vrai que des douzaines
d’états dans le monde ont l’équivalent de la loi
tant décriée, mais qu’ils ont pourtant cette
capacité de faire des budgets équilibrés. Et ces budgets
équilibrés, ne créant pas de dette,
n’entraînent en rien cette accumulation sur quarante
années d’une masse colossale à devoir pour les trois ou quatre
prochaines générations (en imaginant qu’on puisse
vraiment rembourser, ce qui est un doux rêve).
Pour répondre à la première question, ce
sont les politiciens qui ont choisi, clairement, de faire de la dette. Et ils
l’ont choisi pour une seule raison : les électeurs ont
trépigné pour. Evidemment, c’est nettement moins
facile de cogner ensuite unilatéralement sur le système
bancaire qui a été pressé d’un côté
par l’état et de l’autre par les citoyens pour aboutir au
système qu’on connaît maintenant.
Quant à la seconde question, la réponse est,
là encore, très éclairante : ceux qui ont, massivement,
prêté à l’état, ce sont … les citoyens
eux-mêmes (de leur propre pays au départ, du reste du monde
progressivement), tant que la confiance dans l’état et sa monnaie
était bonne. Et si ces citoyens l’ont fait, c’est que ces
fameux intérêts (qui remplissent d’effroi les
vidéastes et économistes amateurs) constituaient pour eux
… une échappatoire à l’inflation subie par la
création monétaire pas du tout avisée de ces mêmes
états.
Autrement dit, les assurances-vie, les fonds de pension ont
massivement utilisé les émissions de dette des états
pour obtenir un rendement raisonnable qui permettait de
rémunérer ceux qui prêtaient et de leur éviter,
tout simplement … de perdre de l’argent.
Pour résumer jusqu’ici, nous avons donc un
état qui ne se gêne pas pour excréter de la dette comme
un gros pachyderme mou et complaisant parce que ses citoyens en
réclament à qui mieux-mieux, et de l’autre, des
intérêts absolument nécessaire pour assurer que la
monnaie fasse un minimum confiance, et qu’elle ne spolie pas
complètement les épargnants.
Mais le pompon, c’est de comprendre que l’Etat a
poussé le vice de la création de dette à son paroxysme
en créant de la dette à chaque remboursement (ce qu’on
appelle un roll-over). Ce roll-over peut fonctionner tant que la croissance
est bonne (ce qui veut dire que l’inflation et la création
réelle de richesse aident à gommer le montant des
intérêts sur la nouvelle dette contractée). Evidemment,
comme la croissance se réduit au fur et à mesure que
l’état grossit (et pour cause), le montant des
intérêts n’est plus gommé et vient s’empiler.
Là encore, conclure que l’Etat paye maintenant
très majoritairement des intérêts, c’est une erreur
grossière : l’Etat paye un credit-revolving
qui a très mal tourné parce que ses revenus n’augmentent
pas aussi vite que ses dettes. Et ses revenus n’augmentent pas assez
vite parce que l’épargne a été,
consciencieusement, sabotée pendant toutes ces années, par
l’inflation et des taux d’emprunts artificiellement bas
(là encore, demandez-vous qui, au final, fixe les taux directeurs, si
ce n’est … des politiciens).
Autrement dit, l’Etat a absolument tout fait pour que le
capitalisme soit découragé, et il a atteint la « vitesse
de libération » lorsqu’il est clairement intervenu directement
dans les banques commerciales les plus joufflues pour en éviter la
faillite : théoriquement, la création monétaire est
limitée par le ratio minimum de réserves, mais dans la
pratique, l’existence même du nouveau paradigme introduit par nos
politocards alter-comprenant du Too
Big To Fail a fait sauter cette obligation en
un clin d’oeil.
Dès lors, le reste n’est qu’histoire : au
fur et à mesure que les problèmes de dettes se sont faits plus
aigus, la capacité de l’état à assurer ses
remboursements s’est érodée, et avec, la confiance dans
la monnaie qu’il utilise. Les notes des agences de notations ne sont
qu’une traduction de cette érosion ; et les taux d’emprunt
qui grimpent en flèche en sont une autre. Et le retrait de plus en
plus important des fonds des assurances vie, constaté actuellement,
en est une troisième.
De tous ces éléments, il n’est nulle trace
dans les discours léni(ni)fiants de nos apprentis
monétaristes. Pour eux, le retour à la souveraineté de
l’état, c’est le retour d’un âge d’or
(!) largement fantasmé : comment croire que des politiciens qui nous
ont trimbalé de déficits en
déficits, de crises en crises, de bobards en bobards, seraient
à même de revenir à une situation saine, subitement ?
Et conséquemment, ce qui nous pend au nez, à
présent, est évident : lorsque la base de la monnaie
étatique, la confiance, s’évapore, la monnaie papier
revient rapidement à sa valeur intrinsèque.
Zéro.
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