Le mythe de la
"dérégulation financière sauvage" qui aurait
provoqué la crise catastrophique que nous connaissons a la peau dure.
Voici par exemple ce que l'on peut lire sur le blog d'un économiste en
vue (et souvent bon, soit dit en passant) de la blogosphère, Barry
Ritholtz, citant un confrère avec lequel il se
trouve en accord:
From this confluence
of campaign finance, personal connections, and ideology there flowed, in just
the past decade, a river of deregulatory policies that is, in hindsight,
astonishing:
1. insistence on free movement of capital across borders;
2. the repeal of Depression-era regulations separating commercial
and investment banking;
3. a congressional ban on the regulation of credit-default swaps;
4. major increases in the amount of leverage allowed to
investment banks;
5. a light (dare I say invisible?)
hand at the Securities and Exchange Commission in its regulatory enforcement;
6. an international agreement to allow banks to measure their own
riskiness;
7. and an intentional failure to update regulations so as to keep
up with the tremendous pace of financial innovation.
The mood that
accompanied these measures in Washington seemed to swing between nonchalance
and outright celebration: finance unleashed, it was thought, would continue
to propel the economy to greater heights.
Chacune de ces
"dérégulations" mérite un petit commentaire :
1. Liberté
de mouvement de capitaux à travers les frontières:
il y a encore quarante ans, les mouvements de fonds transnationaux
demandaient plusieurs jours et requéraient des frais hors de
proportion avec ce qu'ils sont aujourd'hui. La liberté de circulation
des capitaux et la fluidité qui l'ont accompagné ont
été un fabuleux vecteur d'opportunité pour de nombreuses
sociétés établies dans des pays qui sont parti de
très bas (Taïwan, Singapour, Malaisie, ...) et qui ont
joué à fond le jeu de la mondialisation des échanges, et
par ricochet pour nos entreprises, qui ont pu trouver de nouvelles
opportunités de croissance.
2. Abolition
des règles de séparation entre banques commerciales et banques
d'investissement: le fait est que si cette séparation
a disparu depuis 1999, après 66 ans de "glass steagal act",
les banques d'affaires ne se sont pas aussitôt mariées à
des grandes banques commerciales. Par contre, la possibilité de tels
mariages en a sauvé 4 sur 5 de la cessation d'activité depuis
le début de 2008.
3. Refus
du congrès de réglementer les "credit default swaps" :
un point pour lui, quoiqu'il ne dise pas en quoi une telle réglementation
aurait pu empêcher que les mêmes bons soient sur-couverts par
plusieurs assurances dont beaucoup purement spéculatives, et en quoi
la régulation n'aurait pas amené son lot d'effets inattendus et
pervers... Il est également à noter que la solution
prévue pour remédier à ce problème de
sur-spéculation à découvert est une sorte de chambre de
"compensation" des options que les opérateurs se prennent
entre eux: pas réellement une option ultra-réglementaire, donc.
4. Augmentation
des effets de levier légaux autorisés aux banques d'affaire:
parfaitement exact, j'en ai d'ailleurs déjà parlé,
mais est-ce un problème de dé-régulation ou de
dé-mission du régulateur ? Quand un état choisit la voie
de la régulation, il devrait savoir que la première chose que
le régulé va essayer de faire, c'est de fléchir le
régulateur. La dérégulation invoquée ici n'en est
pas une mais est au contraire la preuve que la régulation est la porte
d'entrée du "capitalisme de connivence"
5. Une
SEC bien molle vis à vis des banques : la encore,
parler de "dérégulation" alors qu'il s'agit seulement
d'une incapacité de l'état à assumer les
conséquences de la voie régulatrice qu'il a choisie, confine au
"foutage de gueule", Mister Ritholtz.
6. Un
accord international pour permettre aux banques d'auto-mesurer leur propre
exposition au risque: Je suppose que Ritholtz évoque
Bâle I (puis Bâle II). Là encore, parler de
dérégulation est une fumisterie, je vous renvoie à mon article sur ces charmantes
constructions réglementaires censées
expliquer aux banques comment faire leur boulot.
7. "Une incapacité INTENTIONNELLE (de
l'état) à tenir à jour ses réglementations pour
tenir compte de l'évolution rapide des innovations financières"
-- Là encore, il s'agit d'une pure foutaise: tout d'abord,
l'état américain a ajouté dans les années 2000
jusqu'à 70 000 pages annuelles de réglementations applicables
aux banques, sans doute le secteur le plus réglementé au monde
avant même les armes et le nucléaire civil.
Ensuite, l'incapacité de
l'état à se tenir à jour des pratiques privées
n'est pas intentionnelle: elle est sociologique, et inhérente à
l'incapacité de toute bureaucratie d'embaucher les meilleurs
spécialistes d'une thématique donnée, et quand bien
même, de les faire travailler dans un cadre leur permettant de donner
le meilleur d'eux mêmes. Si 70 000 pages d'inepties n'ont pas permis de
mettre à jour les règles par rapport aux pratiques
financières, ce n'est pas par une volonté béate de
"déifier wall street et le marché", comme le
suggère Ritholtz, mais parce que les régulateurs sont par
nature bien vite dépassés par la tâche... Et qu'ils
finissent par s'en ficher, tant que la paie tombe.
Quand on veut "réguler",
il faut non seulement légiférer mais se donner les moyens de
faire appliquer la législation et de faire évoluer la
législation avec les pratiques : c'est impossible, quand le volume de
textes applicables occupe une très grande salle de
bibliothèque.
Dérégulation,
donc ? Mais quelle dérégulation ?
Ajoutons que
brandir les 7 éléments qui précèdent comme preuve
d'une soi disant folie dérégulatrice, c'est oublier que:
> Le marché du crédit US
était régi par des lois très contraignantes (dont le
Community Reinvestment Act) qui ont contraint les banques à octroyer
des prêts qu'elles n'auraient jamais ouvert,sauf accident, dans un
marché libre. Les banques devaient prouver leur bonne application du
CRA à pas moins de 4 agences fédérales.
> Le marché du crédit US a été
largement modelé par l'intervention de deux
géants opérant sous la garantie de l'état, Fannie et Freddie, et dont la
subordination à des objectifs politiques incompatibles avec une saine
gestion financière, a provoqué le gonflement d'une bulle de
crédit sans précédent. Ce sont d'ailleurs les
démocrates, prompts à crier haro sur la
dérégulation aujourd'hui, qui se sont principalement
opposés à la réforme de la régulation de ces deux
monstruosités juridiques.
> Les réglementations de Bâle
ont de facto donné à des agences de notation une position
oligopolistique, et ont créé une demande artificiellement
gonflée en produits de titrisation opaques, pourvus qu'ils paraissent
peu risqués aux yeux des agences. Comme je l'ai déjà
dit, "ne pas réguler" les fonds propres des banques mais les
obliger à être transparentes sur la compostion de leurs
portefeuilles aurait permis aux partenaires et investisseurs d'exercer leur
propre jugement, et aurait sans aucun doute permis d'allumer des signaux
d'alerte bien plus précoces chez les investisseurs.
> En matière de
réglementation du sol, les états US les plus
"dérégulés" sont ceux qui
ont connu le moins de bulle immobilière et le moins d'augmentation du
nombre de faillites d'emprunteurs.
La crise actuelle
n'est pas une crise d'une prétendue dérégulation
sauvage, mais une crise d'incapacité du législateur à
maîtriser les conséquences inattendues de chacune des couches
législatives qu'il a imposées aux banques depuis des
décennies.
Même si
aujourd'hui, nous avons l'impression de nous époumoner dans le vide,
le temps viendra où la justesse de notre diagnostic sera reconnue, et
où les remèdes qui en découleront se situeront aux
antipodes des billevesées étatistes actuellement
appliquées.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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