On le sait : à une droite froide, mercantile, capitaliste et purement pécuniaire correspond heureusement une gauche chaleureuse, humaniste et désintéressée. Pour les socialistes, l’humain passe avant tout et l’argent, sujet sale s’il en est, n’occupera jamais les préoccupations de ces philosophes. C’est pourquoi, lorsqu’un millionnaire propose de distribuer des billets de banque à Paris, toute la garde et l’arrière-garde socialiste de la mairie se lève comme un seul homme et dit « No Pasaran ! »
On apprend en effet, assez surpris, que Paris continue d’attirer l’attention des touristes et des riches hommes d’affaires du monde entier, et que l’un d’eux, Jason Busi, un Californien qui a réussi dans l’immobilier, a décidé d’organiser une chasse au trésor dans la ville. Il compte pour cela cacher des enveloppes contenant quelques dizaines de dollars et, pour animer son jeu, il donne des indices aux participants pour les retrouver via son compte Twitter. Le Californien n’en est pas à son coup d’essai puisque près de 15.000 dollars ont déjà été distribués à San Francisco, San Jose et Los Angeles. Bien évidemment, ces jeux bon enfant n’ont déclenché aucun problèmes aux États-Unis et c’est donc sans penser à mal que l’entrepreneur a décidé de reproduire le concept sur le sol français.
Mais voilà, sur le sol français, justement, rien n’indique que ça ne va pas, d’une façon ou d’une autre, tourner au grabuge. D’ailleurs, ce n’est pas comme si on n’avait pas déjà eu un exemple de ce que donne le meilleur du peuple français confronté à quelque chose de similaire : en 2009, une opération publicitaire avait finalement été interdite par le préfet Michel Gaudin. Rentabiliweb comptait distribuer des pochettes contenant entre 5 et 500 euros, et cela ne s’était pas bien passé. Mais si, rappelez-vous : il s’agissait d’une opération publicitaire, qui avait bien évidemment tourné au pugilat, dès que la préfecture, voyant des masses d’individus s’agglutiner autour du bus commercial, avait décidé d’empêcher l’opération. À la suite de quoi, un certain nombre de jeunes, fort déçus, avaient décidé de tabasser des gens, et mettre une jolie pagaille comme on en trouve assez régulièrement dans ce genre de contexte si particulier. Je l’avais d’ailleurs évoqué dans un petit billet, lisible ici, qui vous rafraîchira la mémoire.
Partant donc de l’évidente possibilité d’un dérapage, forcément due non au laxisme de la préfecture mais bien à l’instigateur de la manœuvre (qui, en plus d’être un vil capitaliste, est nécessairement désorganisé), Jean-Bernard Bros, conseiller de Paris et président du groupe Radical de gauche, bien vite rejoint par d’autres élus, a demandé à la préfecture de police de Paris d’annuler purement et simplement cette chasse aux trésors qui doit être organisée en juillet.
En vertu de quoi, la mairie de Paris explique qu’elle « condamne cette initiative qu’elle trouve indécente et moralement inacceptable ». Rassurez-vous, les socialistes de l’autre bord, à l’UMP, ont eu la même réaction saine : Pierre-Yves Bournazel, vice-président délégué du groupe UMP au Conseil de Paris, a quant à lui jugé ce jeu « dégradant ».
« Cette course aux enveloppes peut se transformer en concurrence virulente. Personnellement, je trouve ça malsain de jouer avec la difficulté des gens en période de crise. C’est très bien que ce Californien ait fait fortune, mais je l’invite plutôt à faire du mécénat, des dons à des associations ou à investir pour créer de l’emploi .»
Eh oui. C’est malsain, tout cet argent jeté à la face des pauvres qui doivent ainsi courir d’une enveloppe à l’autre pour le récupérer, les yeux humides d’humilité et de reconnaissance ! C’est indécent, que des gens qui ont réussi redistribuent ainsi leur argent à ceux qui veulent participer à leurs petits jeux sordides ! C’est moralement condamnable de répartir directement la richesse accumulée, au vu et su de tout le monde, parce que, parce que bon, tout le monde sait que, déjà, la richesse est moralement condamnable, et que la redistribuer ainsi sans passer par le concours de l’État, c’est encore plus moralement condamnable, voyons. Mais si.
Devant ce constat, les élus n’ont pas voulu s’arrêter en si bon chemin et c’est là que les choses prennent un tour intéressant. Considérant qu’une telle distribution d’argent sans contrepartie provoque à l’évidence des troubles à l’ordre public, ils ont décidé d’étendre l’annulation de ces procédés bien au-delà de ce simple événement publicitaire.
Dans leur sagesse (celle qui leur a permis, du reste, de se faire élire et de rester en poste de longues années), ils ont d’ailleurs noté que les établissements animaliers, notamment les zoos, interdisent formellement aux spectateurs et autres touristes de distribuer de la nourriture aux animaux. C’est bien normal, tant la pratique pourrait être dangereuse pour les pensionnaires à poils et à plumes de ces établissements : d’une part, ce genre de distribution sauvage ne permet pas de contrôler ce qui est donné, ni, bien sûr, ce que font les animaux avec – il n’est pas rare que les singes, facétieux, jouent ensuite avec la nourriture qui leur a été ensuite distribuée, montrant ainsi leur peu de considération, qui tend à s’installer et à leur faire voir celle qui leur est donnée régulièrement par le personnel du zoo comme moins intéressante. De fil en aiguille, cela donne de mauvaises habitudes aux animaux et finit par les rendre neurasthéniques, dolents et résignés à un sort médiocre.
En conséquence de ces fines observations, les élus parisiens ont décidé que, par extension de l’interdiction pour cette distribution d’enveloppes garnies, il était indispensable d’en finir avec la distribution de pognon gratuit tous azimuts. En toute cohérence, les élus Radicaux de Gauche ont donc décidé de tout faire pour qu’il soit mis fin, de façon définitive, aux aides sociales qui ne passent malheureusement pas le test qu’ils ont eux-même imposé aux distributions d’argent gratuit.
Tout comme la course au trésor de Jason Busi, cette distribution d’aide sociale est moralement inacceptable, ne permet pas du tout de contrôler ce qui est fait de la somme donnée, ni même la qualité ou de la provenance de l’argent (dont la plus grande part, inévitablement, est issue d’un racket, d’un vol ou de ponctions autoritaires sous la menace d’une arme). Il n’est qu’à voir le résultat d’années de distributions dans certains quartiers, certaines villes ou régions, certains partis ou certains syndicats pour comprendre qu’une telle distribution avilit les personnes qui reçoivent cet argent. Les bénéficiaires ne font ensuite plus aucun effort et deviennent neurasthéniques, dolents et médiocres.
Pour la bonne tenue du zoo du pays, il était temps que cela s’arrête. Le mouvement réclamant la fin de toutes les distributions d’argent gratuit est donc lancé et, qui l’eut cru, ce sont des élus radicaux de gauche qui l’ont lancé.
…
Mes lecteurs habitués auront compris qu’en réalité, le discours des moralisateurs de gauche s’est arrêté bien vite après l’étape où il s’agit d’interdire à une personne privée de faire part de charité ou d’esprit commercial (peu importe ici). Non, leur cohérence globale ne s’est pas étendue au-delà de leurs habitudes compulsives. Pour eux, la seule distribution possible provient de l’État et tous les maux qui sont évidemment attachés à celle d’un capitaliste sans foi ni loi sont parfaitement solubles dans le socialisme : la distribution d’argent gratuit, c’est moralement inacceptable, c’est une initiative indécente, sauf lorsque c’est l’État et ces élus qui le font.
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