Mes chères contrariées, mes chers contrariens
!
Lorsque j’étais enfant, j’avais le don
d’occuper mes parents en les bombardant de mes questions,
commençant invariablement par « maman pourquoi-ci ou pourquoi
ça ? ». Résultat : à la fin du CP (je savais enfin
lire), mes parents ont eu l’excellente idée de m’offrir le
livre « Dis pourquoi ? ». Je l’ai toujours dans ma
bibliothèque, souvenir précieux d’enfance, et ce livre et
ses illustrations ma foi ont réussi à répondre à
pas mal de questions mais pas toutes !!
Avec les années, je suis tout de même resté un
grand enfant (demandez à ma femme qui, au bout de quelques
années de mariage, finit par se faire une raison et accepter le fait
qu’un homme cherche forcément une femme qui lui rappelle sa
maman.), bref, je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi.
Pourquoi ? Ce simple mot est généralement suffisant pour
déstabiliser les plus grands esprits (enfin grands je ne sais pas, mais
en tout cas pour ceux qui reprennent en boucle la pensée dominante).
La liste des
« pourquoi » sans réponses.
Vous remarquerez également que l’on pose rarement la
question "pourquoi" publiquement ? Moi j’aime bien me la
poser car tout processus de compréhension commence forcément
par un processus de questionnement.
Pourquoi donc, alors que l’année dernière
républicains et démocrates étaient parvenus à un
accord dans la douleur certes, mais à un accord quand même avant
de devoir fermer l’État fédéral il n’en fut
pas de même cette année ?
Pourquoi donc alors que le déficit budgétaire
américain est en baisse sensible (il est encore très
élevé) et que les coupes budgétaires portent leurs
fruits, les républicains deviendraient subitement «
extrémistes » alors que la tendance à la réduction
des dépenses est fondamentalement lancée ? Ils pourraient
pousser leur avantage et communiquer sur ces succès de
réduction des déficits et expliquer que cela renforce les
États-Unis pour demain et permet au dollar de garder sa valeur.
Pourquoi ne le font-ils pas ?
Pourquoi l’année dernière le Dow Jones a-t-il
perdu 1 000 points lors du psychodrame annuel sur la négociation
budgétaire et cette année à peine 1 000 points
également alors que contrairement à l’année
passée, nous sommes bel et bien dans une impasse (pour le moment) et
que le shutdown a bien eu lieu… cela ne se
reflète pas dans les cours.
Pourquoi les régulateurs financiers américains ont-ils
tenu mardi 8 octobre 2013 une réunion d'urgence pour évaluer
les risques que poserait un échec du Congrès à relever
le plafond de la dette des États-Unis qui seraient ainsi
menacés d'un défaut de paiement selon le communiqué du
Trésor ?
En effet, pourquoi organiser une telle réunion si ce risque est
tout simplement impossible ? Pas envisageable, impossible comme le dit si
bien la plus grosse banque allemande dans son analyse en créditant ce
scénario d’un 0 % de chance que cela arrive.
Pourquoi un haut responsable du Trésor US à
l’issue de cette réunion déclare-t-il qu’un «
défaut de paiement pour la première fois de notre histoire
représente un risque sérieux pour notre rang mondial » ?
Le risques est-il aussi sérieux qu’il y
paraît ? Les États-Unis n’ont-ils pas intérêt
à montrer « officiellement » qu’ils y perdraient
alors que la réalité est tout autre. Encore faut-il rendre cela
« acceptable » ?
Pourquoi les pétromonarchies ne détiennent-elles presque
plus de bons du Trésor américain ? Pourquoi les laisse-t-on
procéder à des rachats massifs d’actifs et
d’entreprises occidentales ?
Pourquoi alors que Ben Bernanke annonce
depuis un an qu’il va réduire les injections de
liquidités renonce-t-il au dernier moment à le faire…
moins de 10 jours avant que l’impasse budgétaire
n’apparaisse ? Il y a un lien évident à faire sur ce
point précis et c’est un lien de toute première
importance pour comprendre ce qu’il se passe.
La politique
prime l’économique dans l’histoire du monde.
Bien souvent, nous pensons à tort que l’économie
prime sur le pouvoir politique. En réalité, c’est
l’inverse. Un pouvoir politique peut abdiquer sur des périodes
de temps plus ou moins longues sa primauté régalienne,
néanmoins celle-ci subsiste toujours et s’exprime lorsque les
intérêts supérieurs, c’est-à-dire vitaux, d’une
nation sont en jeu. Dans de tels cas, peu de choses sont en mesure de
résister à la « raison d’État ».
Quels sont les éléments structurants pour comprendre la
situation américaine ?
Le monde vit un basculement. Après la chute du mur de Berlin en
1989 et l’effondrement de l’empire soviétique s’est
ouverte une période d’hyperpuissance américaine.
L’URSS n’existait plus. La Chine pas encore. Il ne restait que
les USA qui dominaient le monde sans partage. Le monde était
unipolaire.
Aujourd’hui, certains parlent de monde multipolaire ou apolaire.
Tout le monde comprendra le multipolaire avec plusieurs grands pôles
que sont la Chine, le Brésil, la Russie, l’Europe et
évidemment les USA.
Pour l’idée d’apolaire, l’idée est un
peu différente car elle sous-entend qu’aucun pays
désormais n’est en mesure d’assurer un leadership
réel, prenant acte ainsi du déclin des USA soumis à la
montée en puissance de la Chine et autres pays émergents
définitivement émergés. Avec ce terme, plus personne ne
domine quoi que soit.
Pour autant, l’histoire des États-Unis, histoire jeune au
demeurant, nous enseigne que ce pays ne raisonne que par sa suprématie
totale et sans partage. Tel est dans l’esprit américain «
l’intérêt vital ». Un leadership mondial sans
contestation basé sur la certitude d’être les «
meilleurs » pour le monde et d’avoir une mission
quasi-civilisatrice. Cela a d’ailleurs particulièrement bien
été dit par Vladimir lors des derniers événements
en Syrie. Voici ce que Poutine a déclaré dans une tribune
publiée par le New York Times à l’attention du peuple
américain :
« Le Président Obama a affirmé que "ce qui
rend l'Amérique différente. C'est ce qui nous rend exceptionnel
!".
Il est extrêmement dangereux d'encourager les gens à se
considérer comme exceptionnels, quelle que soit la motivation. Il y a
de grands pays et des petits pays, des riches et des pauvres, ceux qui ont de
longues traditions démocratiques et ceux qui en sont encore à
chercher leur chemin vers la démocratie. Leurs politiques
diffèrent, aussi.
Nous sommes tous différents, mais quand nous demanderont la
bénédiction du Seigneur, nous ne devons pas oublier que Dieu
nous a créés égaux. »
Comprendre l’âme américaine, c’est entendre,
comme l’a si bien compris et entendu le président russe, cette
supériorité à laquelle le peuple américain croit
très naïvement, ce qui entraîne quelques
incompréhensions lorsque par exemple le peuple irakien ne souhaite pas
pour eux-mêmes « l’american way of life ». Comment un tel don peut-il
être refusé ?
Comprendre la stratégie américaine depuis deux
siècles, c’est appréhender cette idée que les
Américains se font d’eux-mêmes et de leur façon de
vivre, une façon supérieure à tout autre civilisation,
une façon de vivre qui doit être imposée avec en objectif
ultime : la domination d’un peuple « exceptionnel » sur
tous les autres.
Vladimir Poutine exprime avec une grande justesse le danger
d’une telle croyance et les dérives auxquelles nous assistons
depuis les événements du 11 septembre. Si la sagesse
c’est d’être fort et la force d’être sage, les
Américains ont oublié toute sagesse pour ne se concentrer que
sur l’utilisation systématique de la force pour maintenir une
domination sans partage. Telle est la stratégie américaine,
tels sont les faits tels que nous les voyons depuis 10 ans.
Un
leadership menacé de toute part
Il est évident que les Américains sont désormais
acculés, pieds au mur. La Chine est en réalité devenu la première puissance économique
mondiale si l’on pense, ce qui est du bon sens, à retraiter le
PIB chinois et le PIB américain de l’endettement associé.
En « net », le PIB chinois est désormais supérieur
au PIB américain. Pour un leadership mondial sans partage, vous
repasserez.
Mais ce n’est pas tout. La Chine est devenue l’usine du
monde y compris l’usine américaine, et l’on voit
très bien à travers la bataille sans merci entre Apple et
Samsung sur les brevets à quel point les USA sont menacés
à court terme par leur partenaire chinois qui a, en 10 ans,
pillé toutes les technologies utiles, monté en gamme,
réussi sa transition vers l’économie socialiste de
marché, su associer dictature, parti unique et pourtant relative
liberté d’entreprendre. L’économie chinoise est
d’une efficacité redoutable. L’Amérique est
condamnée à la défaite dans les deux ans sans
réaction de sa part. Rien ne peut arrêter la Chine. Rien ou
presque rien.
Enfin, la retraite américaine en rase campagne sur la Syrie
sous l’amicale pression sino-russe a créé un
électrochoc au sein des élites américaines qui ont pu
ressentir à quel point la perte d’influence de leur pays
était grande.
Il va donc falloir rétablir la domination des États-Unis
d’Amérique et vite de préférence.
Le dollar ?
Notre monnaie et votre problème !
C’est comme cela qu’un secrétaire
d’État américain avait résumé de
manière fort laconique la position américaine sur les
problèmes monétaires liés à la fin des accords de
Bretton Woods dans les
années 70.
Il en va exactement de même de la dette américaine pour
laquelle les Américains peuvent parfaitement dire : notre dette, mais
votre problème.
Soyons clair : dans la position actuelle des USA, celui qui a un
problème n’est pas l’endetté… mais le
prêteur, surtout lorsqu’il est chinois avec presque 1 300
milliards de dollars de bons du Trésor US.
La
stratégie du déraillement
La Chine est aujourd’hui la première économie
mondiale (en net et hors dette), mais la Chine est très fragile.
Bulle immobilière massive, économie à 70 %
exportatrice vers deux grandes zones économiques que sont
l’Amérique du Nord et l’Europe, croissance importante de
la population, mouvements sociaux maîtrisés uniquement
grâce à une économie qui avance, tensions
régionales, ethniques et politiques, corruption endémique,
endettement important des villes et des entreprises, bref, si la Chine perd
ses réserves de change investies en bons du Trésor
américain et si la Chine perd ses deux principaux clients, la Chine
devrait en toute logique dérailler et connaître une
période extrêmement difficile.
Il en va de même pour la Russie qui détient pour plus de
250 milliards de dollars de dette US mais qui surtout tire ses revenus de l’exportation
de gaz et de pétrole.
Or la stratégie américaine, avec la mise en route de
l’exploitation des gaz de schiste sur son propre sol, vise
l’indépendance nationale. Cela ne va pas durer longtemps et la
production d’un puits de gaz de schiste décline très
rapidement, bien plus vite qu’un puits de pétrole conventionnel.
Mais pour quelques années, les USA sont et seront indépendants
de tout fournisseur extérieur.
Une
conjonction rare de facteurs favorables à une conflagration
géopolitique
Si l’on met tout bout à bout, nous devons nous rendre
compte qu’il y a actuellement une conjonction rare de facteurs qui
pourraient pousser les États-Unis à utiliser l’arme
économique à travers un défaut de paiement
ordonné et sélectif afin de faire dérailler la Chine et
la Russie, en s’appuyant sur sa toute nouvelle indépendance
énergétique rendant momentanément l’importance du
dollar moins prégnante, en pouvant compter sur le soutien de ses
alliés de l’OTAN et d’une Europe docile et aux ordres
prête à fusionner dans une Union Transatlantique. La Chine et la
Russie seraient ruinées, l’Europe et les USA affectées
certes, mais nous sommes tous condamnés à une lente agonie si
nous ne faisons rien avec à la fin une perte de confiance
généralisée.
À l’issue de cette crise, les dettes seraient
apurées. Les dernières lois sociales supprimées. Sous la
pression d’émeutes inévitables dans les cas de grandes
misères, on peut imaginer la nécessité de pouvoirs forts
et coercitifs. Le chômage explosera, la pauvreté aussi, mais
à la fin… les États-Unis auront préservé
leur leadership, fait dérailler la Chine et changé les
règles du jeu en cours de partie… car les Américains sont
en train de perdre le match. Or les Américains sont historiquement de
très mauvais joueurs… ils ne jouent que pour gagner… pas
pour participer. L’esprit de Coubertin, c’est bon pour des
Européens !
Alors voilà, nous sommes dans une impasse semble-t-il politique
qui pourrait cacher en réalité un plan de communication de haut
niveau pour « vendre » et « marketer
» le défaut américain qui répondrait à une
logique globale, favorable aux intérêts à long termes des
États-Unis et masque en réalité une guerre
économique sans pitié.
Si tout ce que je viens de vous exposer ne reste qu’une analyse,
cette théorie a le mérite de faire coller et de relier entre
eux la totalité des éléments.
Nous sommes à un moment clef. Le défaut sera
d’ailleurs probablement décalé de quelques jours, le
Trésor américain nous indiquant qu’il peut poursuivre ses
opérations encore quelques jours de plus pour laisser un peu de temps
aux politiques pour se mettre d’accord…
Ha oui, il y avait une dernière question que
je voulais vous poser… quel est le niveau d’activité de
Goldman Sachs en Chine pays communiste ?
Un indice : cet été, la banque américaine a
achevé la vente de sa participation dans une banque chinoise.
Voilà pourquoi, paradoxalement, alors que personne ne s'y
attend vraiment les États-Unis d'Amérique pourraient avoir
intérêt à un défaut de paiement. Mais tout ceci
n'est qu'une théorie, et cela ne se produira jamais. C'est impossible.
À demain… si vous le voulez-bien !!
Charles SANNAT
Editorialiste et rédacteur du Contrarien
Matin
Directeur des Études Économiques Aucoffre.com
http://www.lecontrarien.com/
Tribune de Vladimir Poutine à l’attention du peuple amércain
http://www.nytimes.com/2013/09/12/opinion/put...r&_r=5&
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