D'un projet
initialement ambitieux, la loi finalement proposée par le
député des Bouches du Rhône Richard Mallié sur le
travail dominical (débats en juillet) sera finalement largement
édulcorée, de pressions syndicales en
renoncements gouvernementaux. Dommage. Voyons quels auraient
été les gains et les risques associés à une
libéralisation de l'ouverture dominicale des commerces.
Le principe du
travail dominical suscite bien des oppositions, fondées sur des
arguments économiques et sociaux qui se révèlent peu
recevables après examen.
Les sceptiques
affirment que l’extension des plages d’ouverture ne créera
pas de demande supplémentaire, et que le chiffre d’affaire des
magasins, réparti sur plus de jours, fragilisera les petits commerces,
incapables de rémunérer plus de force de vente pour un volume
d’affaires identique.
Un processus
économique vertueux
C’est
oublier que la valeur ajoutée des commerces réside autant dans
les produits qu’ils vendent que dans leur capacité à
les proposer dans de bonnes conditions. Sans quoi, pourquoi ne pas
ouvrir les magasins seulement sur deux ou trois jours, ou interdire
l'ouverture des sites d'e-commerce le dimanche, puisque le volume total
consommé serait soit disant insensible à la durée
d’ouverture des magasins ? C'est oublier que dans ce cas, les
consommateurs auraient moins de temps pour faire convenablement jouer
la concurrence, et les vendeurs n'auraient pas la même
opportunité de diversifier leur clientèle.
Une ouverture sur
des plages étendues permet aux consommateurs et vendeurs qui le
souhaitent d'accroître leurs opportunités de réaliser de
bonnes affaires. Les marges ainsi dégagées par les acheteurs
leur permettent d'effectuer des achats supplémentaires qui sans cela
n'auraient pas été possibles. Certes, le gain est plus faible
lorsque l'on passe de 6 à 7 jours d'ouverture que lorsque l'on passe
de 1 à 2... Dans ce dernier cas de figure, ajouter un jour
d'ouverture permet au magasin d'augmenter son temps d'exposition à la
clientèle de 100%, alors que l'ouverture dominicale ne l'augmentera
que de 16%.
En revanche, du
point de vue d'un acheteur travaillant du lundi au vendredi, et disposant
donc d'un temps théorique de 2h par jours de semaine, et de 12 heures
le samedi, pour effectuer ses achats, soit 22 au total, le fait d'ajouter une
plage d'ouverture de 12 heures le dimanche augmente son temps "de
chalandise" de plus de 50 % (34 heures au lieu de 22) : Pour nombre de
ménages, voilà qui crée une sérieuse
opportunité pour pouvoir optimiser les achats en fonction des
goûts et du budget. Si le terme n'avait été réduit
à sa connotation financière, on pourrait parler
"d'augmentation du pouvoir d'achat", pouvoir d'achat étant
pris au sens large.
Comme dans tout
processus de réallocation de ressources, les ménages profitant
de l'aubaine achèteront mieux, détournant une part de leur
budget de consommation vers des producteurs plus efficaces, et les ressources
qu'ils économiseront de ce fait pourront leur permettre d'envisager
des achats ou de l'épargne qu'ils n'auraient pu espérer sinon.
Opportunités
de créations d'emplois
La valeur
supplémentaire ainsi créée par une meilleure allocation
des ressources rendue possible par l’ouverture dominicale ne requiert
pas d’investissement complémentaire en surfaces de ventes :
de même qu’une usine tournant en trois-huit rentabilise mieux ses
équipements, utiliser une installation commerciale sur 7 jours au lieu
de 6 permet de réduire certains coûts fixes. Il en
résulte que les commerçants peuvent distribuer plus de revenus
à leurs salariés existants sous forme d’heures
supplémentaires, ou à de nouveaux salariés
intéressés par le travail en week-end, tels que les
étudiants, qui voient là autant d’opportunités
d’améliorer leur pouvoir d’achat... Et donc de consommer
davantage.
Le surcroît
d'activité engendré par l'ouverture dominicale ne peut donc en
aucun cas être considéré comme étant un jeu
à somme nulle, où un chiffre d'affaire globalement
inchangé serait simplement réparti sur un nombre plus important
de jours.
Première
objection possible: il est exact que l'on peut se poser la
question de disposer de capacités physiques de vente
supplémentaires alors que l'économie est en récession.
C'est oublier qu'une fois en phase de reprise économique, l'ouverture
dominicale permettra d'absorber une plus grande part de l'accroissement de la
demande sans construction de nouvelles unités.
Seconde objection
:
Il existe un risque que certains commerces soient enclins à augmenter
leurs prix, tout simplement parce que leurs coûts variables
augmenteraient plus vite que leurs coûts fixes ne diminueraient du fait
de l'allongement des durées d'utilisation des locaux : il faut bien
payer le personnel qui travaille le dimanche ! De fait, le travail dominical,
dans certaines zones, s'est révélé
légèrement inflationniste au début, avant que la
nouvelle concurrence générée par la redistribution des
cartes ne force les choses à revenir dans l'ordre.
Dans ce cas, il
conviendra pour les magasins de savoir si leurs clients sont prêts
à payer plus cher pour pouvoir faire leurs achats à un moment
qui leur convient plutôt mieux, et de moduler leurs horaires en
fonction de leurs analyses. Puis la concurrence, lorsqu'elle existe,
les forcera à trouver les moyens de ne pas faire supporter la facture
à leurs clients, en augmentant leur productivité.
Ajoutons qu'en dehors
du problème du travail dominical, il y a un véritable
problème de manque de concurrence entre distributeurs en France, du
fait des lois limitant l'accès aux nouveaux entrants dans ce secteur:
lois Royer, Galland et Raffarin, à peine assouplies par la très
légère loi de modernisation de l'économie du
début du septennat de Nicolas Sarkozy. Ce manque de concurrence
pourrait sans doute en partie obérer les bénéfices
attendus de l'ouverture dominicale, il ne faut pas se le cacher.
La mort du petit
commerce ?
Affirmer que le
petit commerce ne pourra s'adapter à l'ouverture dominicale contre les
grandes surfaces est abusif : les petits commerces qui
prospèrent sont déjà ceux qui savent
démarquer leur offre de celles des hypers. Beaucoup de ces petits
commerces ont d’ailleurs migré... dans les allées des
grandes galeries commerciales !
Certains, surtout
parmi les élus locaux, rétorquent que les commerces
« traditionnels de centre ville » pâtiront de
cette concurrence des grandes galeries périphériques :
c’est déjà le cas dans de nombreuse villes, même
sans ouverture dominicale, et il faut sans doute en chercher les causes dans
la fiscalité trop lourde qui empêche les petits commerces de
financer des adaptations, ou dans les politiques autophobes menées par
nombre de municipalités – No parking, no business…
L'économiste Rémy Prud'homme a notamment publié des
travaux sur les conséquences des politiques autophobes de l'équipe
Delanoë à Paris sur la vitalité de l'économie locale
(PDF).
Quel que soit
l'attachement sentimental que l'on éprouve vis à vis des
petites échoppes de centre ville, il faut se rendre à
l'évidence: elles ne peuvent aujourd'hui n'être qu'un acteur de
« niche ». On ne peut sérieusement
envisager de remplace les grandes surfaces – et auourd'hui les
hard discounters -- qui ont permis des gains de pouvoir d'achat
considérables pour nombre de familles, et dont le bilan en terme de
créations d'emploi est très positif par rapport aux petits
commerces qu'elles ont remplacés, par un retour aux petits commerces
de quartier. Celui ci s'adaptera, comme il l'a toujours fait, pour se glisser
dans les inserstices laissés vacants par les commerces de masse.
Vers un travail
dominical forcé ?
Ceci dit, les
contre-arguments de nature sociale contre le travail du dimanche ne sont pas
à négliger. Il est évident que malgré les
garde-fous législatifs censés garantir le volontariat du
travail dominical, une partie des salariés travaillant le dimanche le
fera contrainte et forcée par la peur du chômage, voire suite
à « d’amicales pressions » des employeurs
pour accepter des horaires très flexibles.
Mais outre que
ces comportements d’employeurs peu respectueux des contraintes de leurs
salariés existent déjà en semaine, ce risque doit-il
servir de prétexte à empêcher le travail dominical sur
une base volontaire ? Les peurs des uns doivent elles brider les opportunités
des autres ? Un étudiant impécunieux doit il se voir
privé d'un moyen de financer ses études parce que le
secrétaire confédéral de la CGT craint que certains
patrons n'abusent de la situation de faiblesse relative des gens
déjà employés dans un marché du travail
déprimé ?
Le meilleur moyen
de lutte contre les quelques employeurs aux tendances ouvertement
esclavagistes est un marché du travail dynamique, dans lequel les
salariés s’estimant mal traités ont
l’opportunité de voter avec leurs pieds en changeant facilement
d’emploi. Ne soyons pas naïfs: l’ouverture dominicale,
à elle seule, ne saurait suffire à créer une telle
dynamique. Mais en augmentant le besoin de main d’œuvre dans les
commerces, elle participera au développement de nouvelles opportunités
d’emplois qui permettront d’améliorer la position des
salariés dans leur rapport de négociation (d'autres
écriraient : rapport de force) vis à vis des employeurs.
Et mon jour de
foot ? Et mon jour du seigneur ?
Enfin, certains
arguent que l'ouverture dominicale sonnerait le glas de nombreuses activités
familiales actuellement fortement concentrées sur le dimanche. Outre
que cela ne devrait pas être perçu comme un problème si
cela résulte de libres choix des familles – Mais nos élus sont
tellement habitués à vouloir faire notre bonheur malgré
nous que l'on ne s'étonne plus d'une telle rhétorique
-- l'argument est d'une insigne faiblesse: en étendant la plage
accessible aux ménages pour le shopping, l'ouverture dominicale permet
aux ménages qui le souhaitent de redistribuer sur d'autres jours de la
semaine des activités actuellement plus concentrées sur le
dimanche. La liberté crée des opportunités, elle n'en
supprime pas.
La question du
culte relève clairement de cette logique. Rien n'empêcherait une
église intelligente de s'adapter aux évolutions des populations
et de répartir ses activités sur d'autres plages. Si le poids
de la tradition religieuse l'empêche d'accomplir une telle
réforme, tant pis pour elle. L'immense majorité de non
pratiquants que compte le pays n'a pas à supporter des contraintes
législatives imposées par quelque groupe religieux que ce soit.
Et le travail dominical n'est évidemment pas le seul enjeu en cause
dans ce débat...
D'une
façon générale, le gain économique du travail
dominical est réel mais pas spectaculaire. Comme le début de
cette note le démontre, c'est plutôt un petit pas dans une bonne
direction. Mais un petit pas statistique n'en reste pas moins une grande
bouffée d'oxygène pour ceux qui peuvent améliorer leurs
revenus ou leur condition salariale de cette façon.
Et ailleurs ?
Les études
exhaustives du phénomène en Europe sont relativement difficiles
à trouver. Citons deux exemples.
En 1996, les
Pays-Bas ont laissé les municipalités décider
d'autoriser ou non l'ouverture du dimanche. La mesure, analysée
10 ans après par le ministère néerlandais de
l'économie (Dijgraf
Gradus, 2005), a été jugée favorable
à la croissance, et aucune cannibalisation réellement
significative des commerces des zones fermées par les zones ouvertes
n'a été observée.
Une étude
Allemande portant sur les disparités réglementaires
géographiques et dans le temps (Kirchner
– Painter, 1999), montre qu'économiquement
parlant, les meilleurs résultats sont atteints lorsque
commerçants et salariés sont libres de négocier
l'ouverture dominicale sur des bases contractuelles individualisées,
mais que toutefois, lorsque politiquement, une telle liberté est difficile
à faire voter, la décentralisation au niveau des aires
communales de la réglementation de l'ouverture dominicale donne de
meilleurs résultats, car la souplesse permise alors permet aux
communes de s'adapter aux évolutions de leur électorat, et de
benchmarker la validité de leurs décisions
réglementaires à l'aune des performances des
collectivités voisines ou plus lointaines.
Et si l'on
décentralisait ce type de décisions ?
Ces deux exemples
du nord de l'Europe nous montrent qu'à défaut d'unicité
territoriale de la loi, de bons résultats peuvent être obtenus
en laissant chaque collectivité locale décider
démocratiquement ce qui lui conviendra le mieux.
Même si une
libéralisation générale du droit de l'ouverture
dominicale serait la meilleure solution, car plus respectueuse des
libertés de travailler et d'entreprendre, un pis-aller, en cas
d'opposition politique incontournable de notre parlement, aurait
consisté à mettre en concurrence les collectivités
et de leur laisser décider localement de la réglementation
applicable, pour que les bonnes expériences puissent a la longue
s'imposer.
Une telle
méthode dans la réforme est évidemment contraire
à notre tradition jacobine ultra-centralisatrice. Pourtant, cela
serait une occasion formidable de jeter les bases d'une
décentralisation bien plus importante des décisions de
politique économique et sociale, ce qui constituerait sans doute un
moyen de faire sauter bien des blocages qui minent encore la
société française, faute de pouvoir faire accepter nationalement
une évolution très libérale de notre cadre
législatif.
La question du
travail dominicale aurait été un excellent thème pour
expérimenter une véritable concrétisation du mouvement
de décentralisation commencé en 1982 avec de bons principes
mais hélas bien mal réalisé dans les faits.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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