Il aurait été franchement dommage de partir sans laisser de cadeaux. C’est très sûrement ce que se sont dit les fines équipes hollandaises dans la dernière semaine du quinquennat du président flambiste, à tel point qu’elles ont multiplié les mesures de dernière minute pour s’assurer de boucler les affaires courantes et les petits dossiers brûlants. Le président Macron n’a pas encore ouvert les jolis paquets colorés mais gageons que les surprises feront des heureux.
Prenez le tirage au sort en guise de « sélection » à l’université : que voilà une idée lumineuse, éminemment bisou-compatible, et qui assure une amélioration notoire du niveau des étudiants pour la prochaine rentrée ! Non seulement, cela va encourager les uns et les autres à travailler en amont puisque bon ou mauvais, chacun aura sa chance, mais en plus, cela garantira une saine variété des prérequis universitaires qui promet, à terme, une excellence des étudiants et une forte remotivation des enseignants.
Mais ici, on ne parle que d’éducation. C’est un sujet relativement badin dont le président Macron ne fera qu’une bouchée, entre deux apéricubes républicains que les prochaines semaines lui promettent. C’est un sujet léger même, comparé à celui, plus lourd et certainement plus sensible, de la nouvelle fiscalité créative que Bercy entend mettre en place dans les prochains mois.
Vous n’en avez pas entendu parler ? Vous ne voyez pas de quelle créativité je veux parler ? Allons, je sais que la campagne présidentielle, palpitante à force de rebondissements, vous aura probablement focalisé sur un avenir qu’on sent de plus en plus agité, mais tout de même, qui pouvait oublier que, depuis plusieurs années, tout le monde s’est mis en tête, au sommet de l’État, de trouver de nouvelles façons de ponctionner le contribuable ? Qui pouvait omettre que Sapin et sa brochette de génies travaillaient dur à la mise en place du prélavement prélèvement à la source ?
Eh oui, rappelez-vous : dès 2015, on trouvait déjà cette envie gravée dans la feuille de route de nos énarques fiscalisateurs. À l’époque, le chantier était lancé en fanfare alors même que, pourtant, quelques doutes planaient sur la capacité de l’État à mener à bien un projet informatique de cette ampleur. Certains méchants commentateurs ne se sont d’ailleurs pas privés, les vils, de noter qu’en la matière, les administrations concernées n’avaient jusqu’à présent guère démontré leur maîtrise de l’outil informatique.
Il est vrai que si l’on passe pudiquement sur l’actuelle informatisation de la saisie des impôts français, qui fait quelque peu frémir celui qui a connu la gestion internet d’impôts outre-France, l’État français s’est tout de même illustré par quelques foirages retentissants. L’informatique du RSI, grande et belle administration qui rappelle systématiquement les meilleurs passages de Fantasia où des hippopotames tentent de danser avec grâce (l’analogie s’arrête là tant le film de Disney est beau et l’informatique du RSI immonde) ; la fusion des Assedic avec l’ANPE, voilà encore un beau cas d’école d’une grande réussite informatique ; Louvois, ce logiciel de gestion de la solde des militaires qui n’a jamais réussi qu’à augmenter celle des sociétés contractantes ; le logiciel de l’Opérateur National de Paie, chargé de s’occuper de la paie de millions de fonctionnaires français, et qui n’aura finalement jamais vu le jour ; bref, autant d’exemples gratinés (il y en a d’autres) que notre administration, confrontée à l’informatique, réalise des miracles en terme de performances budgétaires et de gestion de projet…
Dans ce cas, si le passé est un quelconque indicateur de l’avenir, la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu promet donc de grands moments de solitude au contribuable français, malgré l’assurance que tout se passerait bien proférée avec aplomb en mars 2016 par Christian Eckert et sa troupe d’équilibristes fiscalistes survitaminés, date à laquelle la décision est fermement actée, sans possibilité de retour arrière. Et malgré quelques passes d’armes en novembre de l’année dernière, le projet est donc entériné par l’Assemblée sous les applaudissements et au milieu d’une liesse populaire évidente tant ceci était réclamé de toutes parts.
Le président Macron va donc devoir faire avec un projet qu’on sait déjà coûteux, extrêmement complexe, pas réellement populaire et qui peut très fortement déraper vers le n’importe quoi explosif comme en ont témoigné les précédents exemples.
On comprend que le pauvret, mis devant le fait accompli, ait poussé l’idée d’un bon gros audit de tout le tremblement, confirmé par Benjamin Grivault, le porte-parole d’En marche ! … Malheureusement, l’équipe sortante a absolument tout fait pour que ce projet se réalise puisque le ministre du budget sortant a signé mercredi dernier les décrets entérinant ce prélèvement à la source, rendant tout report relativement compliqué.
Audit ou pas, les petits Français vont goûter à une nouvelle façon de se faire ponctionner et Macron va devoir gérer ce qui ressemble déjà de loin à un petit souci, et de près à une grosse, une énorme catastrophe industrielle : tous les ingrédients semblent en effet réunis pour faire un maximum de mécontents, même si tout se passe bien, et un maximum de dégâts si cela se passe mal.
Outre l’évident surcoût pour les entreprises qui, dans cette nouvelle méthode de ponction, se retrouvent à gérer l’impôt pour le compte du Moloch, se pose la question de la confidentialité des données entre les salariés et les services de paie qui devront tout savoir de ce dernier pour établir un relevé fidèle de l’impôt à payer. L’impôt français étant de surcroît calculé en tenant compte de la situation maritale, les possibilités d’erreurs sont quasiment infinies. Tant du côté des syndicats que des entreprises, l’impôt à la source revient à mettre en place une énorme usine à gaz qui touche à la fois aux ressources financières des personnes concernées qu’à une certaine partie de leur intimité (patrimoniale ou familiale, par exemple).
En réalité, il n’y a aucune chance que le passage au prélèvement à la source se passe sans problème.
Pire : il n’y a aucune chance que cela représente une véritable simplification.
Si le système informatique est aussi bien conçu que ce qui se trouve derrière la gestion des dossiers de Sécurité Sociale, d’indemnités chômage ou du RSI, de la solde des militaires ou des autres prouesses techniques de l’État français, des millions de contribuables vont connaître de folles aventures. Et toute simplification obtenue du côté du salarié le sera au détriment des entreprises qui vont devoir gérer une immense dose de complexité supplémentaire. Ça tombe bien : les entreprises françaises nageaient dans la simplicité.
Mais ne vous inquiétez pas : il ne fait aucun doute que ces problèmes seront largement résolus par tout l’appareil politique et administratif du pays, cornaqué de main de maître par un Macron déjà auréolé d’une gloire difficilement compressible dont la presse fait état sur des articles de plus en plus nombreux. On ne saurait imaginer une erreur de jugement sur un sujet aussi explosif. L’impôt à la source sera mis en place, tout se passera bien, et les contribuables pourront même pousser un petit soupir de soulagement en oubliant le tiers provisionnel.
Forcément, ça va bien se passer.
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