Voici la suite de
ma note postée à chaud dans la nuit de Jeudi à Vendredi, en
réaction aux propositions surprenantes du Conseil d'Analyse Economique
auprès du premier ministre en matière de logement.
J'ai des lecteurs formidables. Alors que
j'avais initialement abandonné la rédaction d'une analyse
détaillée du rapport
du CAE sur le logement des "classes moyennes", pour
cause de fatigue après minuit, d'excellents
commentateurs se sont chargés de ce travail, et ont en
quelque lignes expliqué mieux que je n'aurais sur le faire pourquoi
réduire les standards prudentiels d'attribution du crédit
serait à la fois inefficace et dangereux.
Je reproduis ici le fruit de leurs
réflexions:
(ST)... Mais là, on
parle bien de réduire l'estimation de la capacité de
remboursement (montant des mensualités par rapport aux revenus de
l'emprunteur), pour se focaliser davantage sur la valeur du bien, avec pari
sur l'évolution future. Si l'on anticipe une baisse, ca ne permettra
pas d'accorder plus de prêts qu'aujourd'hui. Ce n'est que si on
anticipe un marché haussier que déporter l'analyse du risque de
la capacité de remboursement vers la valeur du bien in fine permet de
prêter à des gens qui n'auraient pas passé la barre
aujourd'hui. On tourne en rond. Et derrière un changement d'ordre
juridique (prêt classique => prêt hypothécaire), ce que
recherchent bien les auteurs du rapport, c'est clairement et uniquement une
astuce pour relâcher encore un peu plus les conditions d'accès
au crédit.
C'est criminellement
dangereux. Et de surcroit çà n'aurait aucun impact sur la
capacité des classes moyennes (visées dans le rapport) à
accéder à la propriété, puisque tout
relâchement dans le crédit se traduira illico par une hausse des
prix qui absorbera la quasi totalité des nouvelles
"capacités" financières attribuées à
l'emprunteur. Penser que la difficulté d'accéder à un
logement en France est un problème de difficulté d'accès
au crédit, alors qu'on sort a peine d'une période de
crédit incroyablement bas, et qu'on a bien pu constater que cela
n'avait rien arrangé mais au contraire fait empirer les choses en
propulsant les prix à la hausse comme jamais auparavant, c'est de la
part des auteurs du rapport, d'une naïveté profonde, d'une
incompétence crasse ou d'une malveillance criminelle.
Presque tout est dit. En l'absence de
toute évolution de la question foncière, la solvabilisation par
la subvention du crédit entraine une hausse des prix des logements au
moins équivalente (point
déjà évoqué sur ce blog)
(Michel) C'est le
coût des logements qu'il faut faire baisser, en libérant le
foncier, et non faciliter le surendettement !
Tout est dit, ou presque, en une phrase.
Merci Messieurs ! (à moins que ST ne soit une dame ?)
Compléments d'analyse
Quelques précisions sont tout de même nécessaires. Tout
d'abord, le rapport lui même n'est pas encore public, je n'ai donc lu
que le résumé. Toutefois, celui ci est suffisamment explicite.
D'autre part, il évoque d'autres mesures, toutes dans la plus pure
veine étatique qui a perpétué les crises du logement
depuis des années: renforcement du logement social, mécanismes
d'orientation de l'investissement vers les minorités (une sorte de CRA
à la française, le terme CRA est explicitement
évoqué dans le rapport. Aux fous !). Ajoutons qu'il
évoque le problème crucial de l'étranglement foncier
dans le diagnostic préalable, ce qui est pertinent, mais que les
solutions préconisées dans ce domaine sont au mieux
insignifiantes, au pire nocives. Déception...
Deux points positifs, tout de même
: une reconnaissance que la sur-protection du locataire fait fuir les
bailleurs, et une nécessité de mettre de l'ordre dans la
foultitude de dispositifs d'aide au logement, coûtant au total 34
milliards d'Euros.
Ce sont des sujets que j'ai abondamment
traités par ailleurs, soit dans la rubrique subprimes,
soit dans la rubrique logement
de ce blog, soit sur "crise
publique". Je n'y reviendrai pas, et me concentrerai sur les
questions relatives à l'introduction du prêt hypothécaire
tel que le CAE le propose.
Un prêt hypothécaire hybride
Le résumé propose
clairement la création d'un modèle d'attribution de prêts
fondés, je cite, sur "un
modèle hybride, dans lequel seraient prises en compte la
solvabilité de l'emprunteur mais aussi la valeur du bien acquis mis en
gage". Il s'agit donc clairement de déconnecter au moins
partiellement l'accord de prêt de la capacité de rembourser du
débiteur.
Premier problème: sur un
marché propice à la formation de bulles comme l'est le
marché Français, il est impossible d'estimer de façon
fiable la valeur du bien acquis sur toute la durée du prêt :
celle ci comporte une part variable de surévaluation totalement
artificielle liée à la
présence de lois de restrictions foncières plus ou moins
sévères. De fait, la valeur réelle de
revente du bien acquis, très volatile, peut se trouver
déconnectée à la baisse de la valeur d'achat, ayant
servi à déterminer le niveau d'endettement de l'emprunteur...
C'est cette propension des marchés
"bullaires" (une moitié des USA, Grande
Bretagne, France...)
à empêcher une saine évaluation du montant de
l'hypothèque qui conduit aujourd'hui des milliers de ménages
à la banqueroute, la revente de leur bien ne couvrant pas le capital
restant dû. On note d'ailleurs aux USA une moindre évolution du
nombre de faillites sur les marchés "non bullaires" tels que
ceux d'une partie de la Middle America, cf. exemples ci dessous :
Rappel : la Californie
oblige depuis 1970 ses agglomérations à recourir à des
réglementations du sol contraignantes (et qu'elle va renforcer) connues sous le nom de
"smart growth policies", dont les
effets néfastes ont été longuement développés
sur le blog de mon livre (pub !). Au Texas, ces
régulations sont prohibées par l'état, au nom du respect
du droit de propriété. Les bulles immobilières ne
peuvent pas s'y former.
Création d'un French Freddie Mac !
Le résumé propose la
création d'une garantie du FGAS (Fond de Garantie de l'Accession
Sociale) sur les prêts hypothécaires proposés pose au
système financier. Les auteurs du résumé
prétendent éviter les erreurs commises aux USA. Mais ils
admettent implicitement que pour que le modèle du prêt
hypothécaire fonctionne, il faut donner une "carotte" aux
prêteurs. Cette carotte serait une garantie d'un organisme public,
permettant de refinancer les prêts à des taux plus faibles,
augmentant les "spreads" (écart de taux) sur lesquelles les
banques s'assurent contre d'éventuelles défaillances.
En outre, le rapport estime que le développement des techniques
de titrisation des prêts permettant de "pooler" des
créances de fiabilités diverses est indispensable pour
développer l'offre de crédit hypothécaire en France.
Mais la situation actuelle montre qu'une titrisation mélangeant des
créances de sûreté variable aboutit à jeter le
doute sur l'ensemble des titres ainsi créés, même si
seulement une fraction des prêts collatéraux est
déficiente. L'on ne voit guère comment les techniques de
titrisation créées à la suite des recommandations du CAE
pourraient échapper à ce travers.
Bref, le CAE n'a visiblement rien compris
des mécanismes qui ont d'une part provoqué la
faillite de Fannie Mae (FNMA) et Freddie Mac (FHLMC), puisqu'il
veut faire jouer au FGAS (phonétiquement, "Fergie Ass"
?) le même rôle, et il n'a pas pris la mesure des faiblesses des
modèles de titrisation en vigueur lorsqu'ils intègrent des
créances de mauvaise qualité, contribuant à
répandre les risques sur de larges classes d'actif et à
transformer une crise sectorielle en cauchemar systémique.
Si un organisme d'état joue le
rôle de garant des créances, alors la vigilance des
prêteurs s'émoussera, et un beau jour, patatras, "Fergie
Ass" sera en faillite, l'état devra garantir les
détenteurs des bons servant à refinancer les prêts... Le
pourra-t-il ? Et si la titrisation est aussi mal conçue
qu'actuellement, quels en seront les effets secondaires ?
Considérations éthiques: le
prêt hypothécaire est il un contrat normal ou un contrat de
prédation ?
La valeur de tout crédit, pour une
banque, est fondée sur une promesse: celle fait par le prêteur
de rembourser son capital et ses intérêts. Que cette promesse
soit rompue et la valeur du prêt s'effondre.
L'hypothèque sur le bien acheté ne "solvabilise" pas
l'emprunteur, contrairement à ce qu'affirme le CAE. La
solvabilité dépend de la capacité de rembourser, donc du
revenu, point barre. Affirmer que des personnes considérées
comme insolvables par les banques seraient rendues solvables par le miracle
de l'hypothèque sur le bien acquis est une escroquerie intellectuelle
pure et simple.
L'hypothèque sur le bien acheté ne fait que réduire le
risque du banquier en cas de faillite du débiteur, du moins les
banquiers le croyaient-il jusqu'aux dernières semaines (cf. mes
réserves sur les marchés bullaires plus haut, et
l'expérience malheureuse en cours aux USA...) tout en augmentant
celui de l'emprunteur, dont les ratios prudentiels se
détériorent. Et des mensualités plus
élevées signifient moins de capacité de faire face
à un coup dûr.
Le crédit hypothécaire
n'est donc qu'un moyen d'augmenter le volume d'affaire de la banque lorsque
le marché se fait tranquille, et accessoirement, une façon,
pour des chargés de clientèle peu scrupuleux, de traquer des
clients en faillite pour racheter, à titre personnel, des maisons
vendues en urgence lors de ventes aux enchères publiques.
La question est donc de savoir si la
pratique doit être considérée comme une prise de risque
librement consentie par les deux parties, auquel cas les banques doivent
être autorisées à le proposer, mais sans la moindre
garantie ni subvention d'état, ce qui devrait tuer dans l'oeuf ce type
de prêt, soit elle constitue une belle arnaque de celui qui sait
évaluer les risques qu'il fait courir au clients, de celui qui peut se
faire embobiner, et elle doit être sanctionnée comme telle.
Selon quelques sources dignes de foi, la loi américaine, là
encore mal faite car excessivement normative, prévoit seulement que
les courtiers en prêts doivent informer les emprunteurs des taux et de
l'évolution possible des mensualités, mais que s'ils ont
respecté cette norme, ils ne peuvent être poursuivis que dans
des cas excessivement rares: et voilà comment des brokers camelots ont réussi à
"fourguer" des crédits toxiques à des
clients mal éduqués aux notions financières de base.
En France, les bases du code civil
donnent à tout professionnel engagé dans une transaction avec
un client non spécialiste une obligation de conseil. Si cette
obligation n'est pas respectée, le juge peut considérer qu'il y
a eu manoeuvre inadéquate (dolosive)
pour placer un crédit trop élevé sur les épaules
de l'emprunteur, et condamner en conséquence. Cette législation
fondée sur un principe simple -- l'honnêteté du
vendeur -- et non sur une norme, peut sembler excessive, elle est certes
parfois très difficile à apprécier, mais elle apparait
pour ma part comme un sain principe de préservation des droits de
propriété du moins informé vis à vis du
spécialiste.
Par conséquent, l'emprunteur
devrait systématiquement se faire remettre une notice claire
d'évaluation des risques associées à son prêt,
admettre qu'il l'a comprise, pour que le prêt hypothécaire puisse
être accordé... Pas très vendeur, convenez en ! Il va de
soi que si, en plus, le prêt hypothécaire ne jouit pas de la
garantie publique, alors tant l'offre que la demande pour ce genre de
prêts devraient être très limitées, tout comme
l'est aujourd'hui le nombre de banques désireuses d'en offrir !
L'état ne doit surtout pas chercher à changer cette donne en
conférant des avantages législatifs ou des subventions au
prêt hypothécaire.
Conclusions: des propositions dangereuses
Pour le moment, et malgré
l'affaire Dexia, les banques françaises, bien que leur situation soit
aussi tendues que celle de toutes les banques dans le monde, semblent
plutôt moins fragilisées que celles de nos principaux voisins. Le risque de défaillance semble bien circonscrit,
du moins sur les établissements majeurs.
Cela est dû au caractère
pour une fois fondamentalement sain de la législation française
qui encourage l'octroi du crédit sur la base de la solvabilité
des emprunteurs. Si les banques veulent faire de l'hypothécaire en en
assumant tous les risques, sans la moindre garantie ni subvention de l'Etat,
et en assurant effectivement leur rôle de conseil, qu'elles puissent le
faire. Mais si le modèle n'est pas assez fiable ou lucratif, comme
cela est probable, alors il faut laisser les banques le rejeter sans demander
à l'état de se substituer à elles pour définir
à qui elles doivent prêter ou pas et à quelles
conditions. Naturellement, toute garantie financée par les
contribuables, éternel carburant de l'imprudence des acteurs du
marché, devrait être proscrite. Nulle personne censée ne
devrait vouloir d'une société ou les pertes des grandes
institutions financières seraient collectivisées.
En outre, l'expérience
américaine nous enseigne que ces crédits sont des bombes
à retardement : favoriser le crédit hypothécaire par
une distorsion étatique serait tout simplement irresponsable. Ces
propositions du CAE doivent impérativement finir dans un tiroir
très profond et y rester.
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Ps. Quelques minutes avant le "bouclage" de minuit, je
ne saurais omettre de vous renvoyer à ce remarquable et court passage
du très grand vulgarisateur de l'économie qu'était Henry
Hazlitt, cité par Thierry
Fallissard:
L'argument qui vaut contre
les prêts hypothécaires garantis par le gouvernement à
des personnes et des entreprises privées est aussi valable que celui
qui vaut contre les prêts et hypothèques accordés directement
par le gouvernement, même s'il est moins évident.
Les partisans des prêts hypothécaires garantis par le
gouvernement oublient également que ce qui est prêté est
en fin de compte du capital réel, dont l'offre est limitée, et
qu'ils aident un acteur B identifié au détriment d'un acteur A
non identifié.
La garantie des prêts hypothécaires par le gouvernement, en
particulier quand aucun capital initial n'est requis (ou seulement un capital
négligeable), aura pour conséquence des prêts de moins
bonne qualité. Elle oblige le contribuable à subventionner de
mauvais risques et à couvrir les pertes. Elle encourage les gens
à « acheter » des maisons pour lesquelles ils n'ont pas
vraiment les moyens. Elle a tendance à susciter à terme une
offre excédentaire de logements en comparaison avec d'autres biens.
Cela stimule temporairement le bâtiment de façon excessive,
augmente le coût de la construction pour tout le monde (y compris les
acheteurs de maisons qui bénéficient de la garantie hypothécaire),
et dévoie l'industrie du bâtiment dans une expansion qui finira
par lui coûter cher. En bref, à long terme, cela n'augmente pas
la production nationale de façon globale, mais encourage le mauvais
investissement.
On ne saurait mieux dire.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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