Il y a ceux qui
voudraient expliquer la crise comme étant la résultante du seul
laxisme monétaire de la FED. J'ai déjà eu l'occasion de
dire que c'était une raison, pas la seule, et que faire porter
à la FED uniquement le chapeau de la crise est pour le moins excessif.
(cf. "Greenspan est il coupable",
ou "the overall picture",
ou encore "7 regulations that made
the crisis possible", et d'une façon
générale mon dossier "crise financière").
Il y a ceux qui
voudraient nous affirmer que la FED n'y est pour rien. Au
hasard, Ben Bernanke.
Et il y a ceux
qui prennent en compte la dimension immobilière de la crise, qui sont
peu répercutés. Wendell Cox,
Ed Glaeser, Pavletich, Ellen Barker... Et
moi-même.
Et, pour une fois
bien inspiré, Paul Krugman.
Dans le New York Times, le Prix
Nobel n'a pas de mots assez durs contre
l'incapacité de la FED a identifier les bulles immobilières. Il
rappelle son "célèbre" article de 2005 où il
évoquait déjà les deux types de régions urbaines,
les cités "à expansion périphérique
libre" (sprawling) comme Houston et Atlanta, qui n'ont pas connu la
bulle, et les cités à "expansion
périphérique contrainte", qui ont connu une explosion des
prix sans précédent (jusqu'à
+180% en 8 ans dans certains contés de Californie, contre +30%
à Atlanta, soit à peine plus que l'inflation officielle).
Krugman
présente un des graphiques exposés par Bernanke lors de son
discours d'auto-exonération de toute responsabilité dans la
crise prononcé à Atlanta. Ce graphique présente en
abscisse la "déviation" de la banque centrale par rapport
à la règle de Taylor,
censée émuler le "bon" taux d'intérêt
pour maintenir l'inflation dans une certaine limite, et en ordonnée
l'augmentation des prix hors inflation en fonction de cette règle
entre fin 2001 et fin 2006.
Il affirme avec
justesse que Bernanke aurait dû non pas se baser sur la moyenne des
prix américains pour l'établir, mais sur les seuls
marchés des cités affublées d'une politique de
"croissance harmonieuse", mauvaise traduction de "smart
growth", ou encore "lutte contre l'étalement urbain",
pour établir l'existence d'une bulle. Effectivement, le point représentant
les USA se serait alors trouvé en limite supérieure (environ
+70% au lieu de +30%, ce qui aurait placé la bulle des "smart growth
cities" au même niveau que la bulle
espagnole ou néo-zélandaise. Et de conclure que la FED n'a tiré
aucune leçon de la crise. Et que comparer, par exemple, les USA dans
leur ensemble, agrégation de villes libres
("sprawling") et contraintes, avec la France ou la Grande Bretagne,
pour ne citer que ces exemples, où toutes les villes voient de par la
loi leur expansion contrainte, est évidemment une faute
méthodologique majeure.
Je ne peux que
l'approuver. Mais allons plus loin.
Toutefois, le graphe de Bernanke, sous réserve qu'il soit exact, et
que la formule de Taylor (cf. ci dessous) ne soit pas trop biaisée (j'ai quelques réserves sur
ce genre modélisations simplistes, qui sont en général
vérifiées dans un intervalle "normal" et totalement
erronées aux conditions limites), n'est pas à
rejeter d'un revers de manche. Il montre qu'il était parfaitement
possible d'observer des bulles immobilières dans des pays qui ont
observé une relative orthodoxie par rapport à la règle
de Taylor. Le Royaume Uni
et la Nouvelle Zélande en sont la preuve.
Plusieurs
hypothèses sont à ce stade envisageables.
1. Soit le
calcul de l'inflation est tellement biaisé par
la mauvaise prise en compte des bulles immobilières dans l'indice du
coût de la vie que la formule de Taylor, basée sur des
différentiels entre inflation mesurée et inflation cible,
devient inapplicable, et même les pays jugés
"Taylor-compatibles" ont pratiqué de ce fait des taux trop
bas par rapport à ce qu'aurait été un taux purement
déterminé par des forces de marché.
2. Soit les
écarts par rapport à la formule de Taylor ne sont que des
moyennes traduisant de fortes disparités annuelles.
3. Soit le laxisme monétaire n'est qu'un facteur FAVORISANT de la
crise, mais il n'en est pas une condition absolument nécessaire, et
même à des taux plus élevés, les perspectives de
gain induites par les hausses immobilières en zone fortement
règlementée d'un point de vue foncier suffisent à
attirer du mal-investissement. Une combinaison des distorsions
non monétaires du marché du crédit
et les zonages restrictifs du sol peut à elle seule suffire à
déclencher de tels phénomènes haussiers.
Une combinaison
de ces hypothèses est naturellement possible. Je n'ai aucun
moyen de les vérifier. Une seule chose est certaine: il nous reste
encore beaucoup à apprendre pour avoir une vue d'ensemble
complète des mécanismes complexes et interdépendants qui
ont provoqué cette crise, et les explications uni-causales ne tiennent
pas la route une seule seconde.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard, bientôt la quarantaine,
a une formation d'ingénieur et est un ancien militant syndical de Force
Ouvrière, passé graduellement au libéralisme entre 94 et
2000, ayant fini par déduire de ses multiples expériences
personnelles et professionnelles que l'intervention de l'état ne
résolvait que rarement les problèmes de société
qu'elles prétendait combattre, mais qu'elle était au contraire
en grande partie le problème.
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot
(Paris), deux thinks tanks francophones dédiés à la
diffusion de la pensée libérale, et sympathisant des deux seuls
partis libéraux français, le PLD et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec
Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Cos