Les dirigeants européens
vont-ils réussir leur opération de relations publiques des
stress tests de leurs banques, comme les Américains y étaient
parvenus ?
A en croire Christine Lagarde,
l’affaire est dans le sac, puisqu’elle a sans attendre
annoncé lors des Rencontres d’Aix-en-Provence que les banques en
triomphaient haut la main. Suscitant les commentaires sceptiques des esprits
chagrins qui ont fait valoir qu’il paraissait prématuré
d’en annoncer le résultat, alors que leurs paramètres
mêmes semblaient faire encore l’objet d’ajustements.
L’affaire est mal
engagée, ce qui tend à devenir une constante de toutes les
opérations de sauvetage européennes de ces derniers temps. Non
pas tant en raison de toutes les interrogations qui circulent – et pour
lesquelles aucune réponse claire n’est disponible – que pour
une simple et unique constatation.
De deux choses l’une, soit
ces stress tests vont être l’occasion d’afficher la bonne
santé des banques, et ils ne seront pas crédibles, ne serait-ce
qu’en raison des précédents tests, dont c’était
la conclusion avec la suite que l’on sait ; soit ils mettront en
évidence des signes de faiblesse, soigneusement calibrés, et
ils appelleront des recapitalisation pour lesquelles rien n’est
prévu. Tout portant à croire que les paramètres des
tests auront été déterminés en fonction du
résultat que l’on voulait obtenir à
l’arrivée.
Dans un article
particulièrement corrosif du Financial Times de ce lundi matin, et sur
le mode faussement dubitatif, Wolfgang Münchau
demande s’il va falloir en venir à tester les tests …
Quoiqu’il en soit, il se
confirme au fil du temps qui passe et alors qu’il est annoncé
une publication des résultats « aux alentours du 23
juillet » par Christine Lagarde, qu’il y a plus de questions
que de réponses qui circulent dans la presse, pour qui en fait la
revue.
Quelle va être la
portée des tests dans ces conditions, quel que soit ce que
l’avenir leur réserve ? Rassurer
l’opinion publique ou les marchés ? Qui
espère-t-on encore tromper ? Il est de moins en moins probable
que ces derniers se laissent ainsi manoeuvrer,
condamnant toute l’opération avant qu’elle soit
menée à sa fin.
Le Crédit Suisse, profitant
sans doute de la neutralité de son pays d’accueil, a mené
en parallèle des tests, dont le résultat n’est pas en
faveur de certaines banques françaises, le Crédit agricole et
la Société générale pour ne pas les nommer. Si
chacun y va de son test, que vaudra à l’arrivée celui qui
bénéficie de l’imprimatur ?
Tout semble encore à
géométrie variable, si l’on met le dossier à plat.
Le nombre de banques convoquées pour le test, qui est passé de
25 à une fourchette de 70 à 120, pour atteindre la centaine et
redescendre aux dernières nouvelles à 80. La volatilité
de son périmètre, pour utiliser une notion chère aux
analystes boursiers, permet de croire que celui-ci est ajusté en
fonction de choix d’inclusion et d’exclusions qui ne sont pas
clairs. S’agirait-il, afin d’expliquer la dernière
diminution du nombre de banques, d’écarter des tests les banques
les plus mal en point, par exemple certaines Landesbanken
allemandes ?
La publication des
résultats d’ici la fin du mois, qui semble encore faire
débat en Allemagne (où il se confirme que leur situation est contrastée,
suivant une litote qui, elle, est consacrée), est-elle acquise
pour la totalité des banques, ou seulement pour une partie
d’entre elles ? On recherche toutes les roublardises, lorsque
l’on a été déjà échaudé.
Quels paramètres et
situations extrêmes ont été choisies – si
c’est déjà le cas – afin de réaliser ces simulations ? En particulier, d’éventuelles
décotes des obligations souveraines de certains pays comme la
Grèce sont elles prises en compte et selon
quelle ampleur ? Pour mémoire, les analystes ne font pas dans le
détail quand ils en annoncent l’inéluctabilité et
parlent de décotes de l’ordre de 40%… Un fort impact en
résulterait alors, mais est-il étudié ou bien écarté ?
Il est étonnant de lire
l’argumentaire de ceux qui s’opposent à ce que de telles
éventualités soient prises en compte, car cela serait selon eux
conforter les inquiétudes des marchés. Ils semblent
confondre prévision financière – bâties avec la
conviction qu’elles se réaliseront – et test
d’effort, dont l’objet est au contraire de prévoir le pire
en espérant qu’il ne surviendra pas. En réalité,
ils ne veulent pas avoir à faire face à la
nécessité d’une recapitalisation, toujours la même
chanson.
Affronter la vérité
est impossible, la cacher également : comment sortir d’une telle
scabreuse situation ?
Cerise sur le gâteau, les
analystes s’interrogent enfin à propos des critères de
solidité des banques qui ont été retenus pour ces tests.
Ceux de Bâle II – qui ont totalement failli – ou bien ceux
qui sont encore en discussion et devraient prendre leur succession sous
l’appellation de Bâle III ? Cette
question de méthodologie étant la pire de toute, sous couvert
de sa parfaite innocence : en fonction de quels critères une banque
est-elle déclarée bonne pour le service ? Celle ou celui qui a
la bonne réponse n’a plus de soucis à se faire pour sa
retraite.
Dans ce contexte flou, une chose
est au moins certaine, ce qui va être testé est moins le
système bancaire européen que les capacités des
autorités à faire croire qu’elles maîtrisent la
situation.
La pente qu’ils doivent
gravir est rude : l’usure de la parole des dirigeants s’accentue,
au fur et à mesure qu’elle est utilisée pour afficher de
fausses certitudes. Le meilleur candidat dans ce domaine est Jean-Claude
Trichet, qui passe son temps à expliquer que la réduction des déficits
et l’adoption de réformes structurelles (destinées
à diminuer le coût du travail pour améliorer la
compétitivité) sont les clés de la confiance et de la
croissance retrouvées. Est-ce que parce qu’il s’approche
de la fin de son mandat que le président de la BCE se permet ces faux
truismes, ou bien parce qu’il s’accroche à des
vérités d’hier ? Un banquier central devrait savoir
qu’elles n’ont plus cours.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé
durant les dix dernières années dans le milieu bancaire
américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il
a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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