Saviez-vous
que Jimmy Wales, l'inventeur de Wikipédia, est un libertarien ?
Il assure qu'il a conçu son encyclopédie sur le modèle
de l'ordre spontané du prix Nobel d’économie Friedrich
Hayek et se dit grand lecteur d’Ayn Rand.
Il en va de même pour les concepteurs de South Park ou des Simpson : la
romancière et philosophe Ayn Rand
apparaît régulièrement dans les épisodes de ces
séries de cartoons.
Longtemps
marginalisés sur la scène politique américaine, les libertariens ont aujourd’hui le vent en poupe. Dans
leur viseur : l’Etat fédéral et l’administration
Obama. Lors d’un sondage Gallup
réalisé en 2009, 23 % des Américains pouvaient
être assimilés à des libertariens,
contre 18 % en l’an 2000. Le mouvement Tea
Party, dont le mot d’ordre est « moins de gouvernement,
moins d’impôt » est ce qui ressemble le plus à
un mouvement libertarien de masse dans
l’histoire récente.
Ron Paul, représentant
du Texas (sud) et célèbre libertarien,
a annoncé le 13 mai dernier sa candidature à l'investiture
républicaine pour l'élection présidentielle de 2012,
assurant que les Américains étaient désormais
prêts à partager ses idées. Le CPAC (Conservative Political
Action Conference) est le rendez-vous annuel de
tous les courants conservateurs de la droite américaine,
réunissant plus d’une centaine d’organisations. Cette
année, comme l’an passé, Ron Paul a remporté un
succès impressionnant. Lors
d’un vote informel qui tient lieu de premier grand sondage pour les
conservateurs dans la course à la présidentielle de 2012, il a
recueilli 30% des voix devant l'ancien gouverneur du Massachusetts Mitt Romney qui en obtenait 23%.
Qui
est Ron Paul ?
En
France, le journal Le Monde lui a
consacré un article en
janvier dernier, expliquant que
l’économiste français Frédéric Bastiat
était son « maître à penser ». Ex-candidat à la
présidentielle de 2008, élu à la Chambre des
représentant depuis des décennies, Ron Paul (75 ans) a
été nommé en 2011 à la présidence de la
sous-commission parlementaire chargée de contrôler la
Réserve fédérale. Il réclame « la fin
de la Fed » (la banque centrale américaine) et le retour à
l’étalon-or. Ces positions ont fait de lui une icône du
mouvement Tea Party, composé pour
moitié de libertariens et pour moitié
de conservateurs traditionnels.
Son
fils, Rand Paul (48 ans), a été élu en novembre
dernier sénateur républicain du Kentucky. Tous deux sont médecins
et tous deux s’opposent aux
mesures interventionnistes de l’Etat fédéral, comme le programme
de sauvetage des institutions financières, le plan de relance
économique et la réforme Obama du système de
santé. Depuis son
élection, Rand Paul a déjà associé son nom à
un projet de loi anti-avortement visant à déclarer que
l’embryon était une personne dès le moment de sa
conception. Surprenant pour un défenseur acharné des
libertés individuelles ? Le libertarianisme
ne se laisse pas facilement ranger dans des catégories toute faites.
Ron
Paul, quant à lui, est déjà en lice pour la primaire républicaine en vue de la campagne
présidentielle 2012.
Êtes-vous
libertarien, conservateur ou socialiste ?
Il
existe aujourd'hui un autre choix que la droite ou la gauche. Les socialistes
défendent en général les libertés civiles, mais
veulent que l’État contrôle les affaires
économiques. Les conservateurs inversent cette tendance, en
prônant une plus grande liberté économique, mais sont
désireux de contrôler la vie privée. Les libertariens préconisent un maximum de
liberté individuelle et économique compatible avec le respect
d’autrui. Les libertariens ne sont ni «
de gauche » ni de « droite » ni même une combinaison
des deux. Ils pensent que, sur chaque question, chacun a le droit de
décider pour lui-même ce qui est meilleur pour lui et
d’agir selon ses préférences, tant qu’il respecte
le droit des autres à faire de même.
Dans Libertarianism : A Primer [Abécédaire
du libertarianisme, non traduit en
français], David Boaz, vice-président
du Cato Institute, un influent think
tank libertarien, définit
le libertarianisme comme « l’idée
que chacun a le droit de vivre sa vie comme il l’entend tant
qu’il respecte les droits d’autrui, qui sont les mêmes que
les siens. »
Arthur
Gautier, dans un article récent sur la morale des libertariens,
expliquait que « le problème principal de l’axe
gauche-droite est qu’il ne laisse aucune place à la
pensée libérale, celle-ci ne pouvant être rangée
ni avec l’égalitarisme de la gauche, ni avec le nationalisme de
la droite. En son temps, l’économiste et député
libéral Frédéric Bastiat votait tantôt avec la
gauche, tantôt avec la droite, selon le projet de loi discuté. »
Aux
Etats-Unis, le bipartisme ne permet pas de troisième voie ou de parti
politique indépendant. C’est pourquoi David Nolan, fondateur du Libertarian
Party en 1971, a eu l’idée de
créer un diagramme qui ajoute à l’axe gauche-droite un deuxième
axe liberté-contrainte. De cette façon, explique Arthur
Gautier, « la pensée libérale trouve enfin sa place
sur l’échiquier politique. »
Les libertariens
ont le vent en poupe
Récemment,
le Courrier International publiait un dossier intitulé « Les
libertariens en vedette » (Courrier international, n° 1058 du 10
au 16 février 2011). Il y était décrit que pour les libertariens, la
liberté individuelle est la valeur politique dominante. Ce qui n'exclut pas qu'il y en
ait d'autres ! Et c'est d’ailleurs pourquoi, il y a des
différences de sensibilité entre libertariens,
notamment sur l'avortement, les drogues dures, la défense nationale,
l’immigration…
L’hebdomadaire
soulignait : « comme toute philosophie politique, le libertarianisme renferme des milliers de courants, depuis
les anarchistes qui veulent abolir l’Etat jusqu’aux conservateurs
(...). La ligne libertarienne classique est que les
seules activités auxquelles un gouvernement devrait se limiter sont
l’entretien d’une armée de métier, le maintien de
la sécurité du pays et l’organisation du système
judiciaire. Rien d’autre. C’est ce qu’on appelle le minarchisme ».
Le libertarianisme
est un courant qui est né dans les années 60 en opposition
à la croissance ininterrompue de l’État au cours du XXe
siècle. Mais il puise ses sources philosophiques dans l’histoire
des États-Unis depuis ses origines. Selon le journal, « la
révolution américaine a été un mouvement libertarien contre le pouvoir de la couronne britannique.
La Constitution américaine est un texte libertarien
qui limite le rôle de l’Etat à la couverture des besoins
les plus basiques de la société en lui fournissant un corps
législatif pour adopter des lois, un système judiciaire pour
les interpréter et une armée pour la protéger (quoique certains
des Pères fondateurs, comme Alexander Hamilton, aient voulu
centraliser le pouvoir). »
Quelques
mois avant, le politologue Sébastien Caré
y consacrait un ouvrage dans
lequel il écrit, « les libertariens
ne prétendent pas inventer une philosophie politique, mais
plutôt réhabiliter la pensée libérale. Ils
opèrent une mutation du libéralisme classique (…) en
généralisant ses principes, autrement dit en projetant la
logique du marché dans toutes les sphères de la vie sociale et
en les subvertissant, en faisant de la défense des libertés une
lutte incessante contre l'Etat. »
Aux
Etats-Unis, un parti libertarien existe depuis 1970.
Ce parti reste très minoritaire face aux deux grands partis
traditionnels. Mais il arrive à présenter un candidat à
chaque élection présidentielle. En fait, le véritable impact
des idées libertariennes passe au travers
d’Internet, de réseaux intellectuels informels et de think
tanks comme le Cato
Institute.
L’éthique libertarienne
Revenons
à David Boaz. Dans un article
de 1997, il propose quelques éléments d’éthique
« libertarienne » :
·
Droits des individus : les « libertariens
» sont attachés au droit de chacun à la vie, à la
liberté et à la propriété – que tout un
chacun possède naturellement et ce, bien avant la création des
gouvernements. Ces droits ne sont pas concédés par un
gouvernement ni par la société ; ils sont inhérents
à la nature de l’être humain. Dans cette optique, toutes
les relations humaines doivent être volontaires. Les seules actions que
la loi puisse interdire relèvent de l’usage unilatéral de
la force – dans les cas de meurtre, viol, vol, rapt et fraudes.
·
Autorité de la loi : la doctrine « libertarienne » n’est ni libertinage, ni
hédonisme. Loin de prétendre que « tout un chacun peut
faire ce qu’il veut sans que quiconque puisse y redire », elle
propose une société de liberté dans le cadre de la loi,
où les individus peuvent vivre à leur guise tant qu’ils
respectent les mêmes droits chez autrui.
·
Un
gouvernement au pouvoir restreint : Les « libertariens
» veulent diviser et limiter le pouvoir que le peuple
délègue au gouvernement. Imposer des limites au gouvernement
est le fondement politique de la doctrine « libertarienne
»
·
Liberté
des marchés : Le droit à la
propriété entraîne celui de l’échanger par
consentement mutuel. À des individus libres correspond le
système économique des marchés libres, indispensables
à la création de richesses.
·
Vertus
de la production : les « libertariens
» défendent le droit qu’ont ceux qui produisent de garder
ce qu’ils gagnent, contre une nouvelle catégorie de politiciens
et bureaucrates qui veulent s’emparer de leurs gains pour les
redistribuer à ceux qui ne l’ont pas produite.
·
Harmonie des intérêts : les « libertariens
» croient à l’existence d’une harmonie naturelle
d’intérêts parmi les membres pacifiques et producteurs
d’une société équitable. (…) C’est
seulement lorsque le gouvernement se met à distribuer des
récompenses à la suite de pressions politiques que se
développent des conflits entre groupes, que s’exacerbe la course
au pouvoir politique.
·
Paix : Les « libertariens »
se sont toujours farouchement opposés au fléau qu’est la
guerre. (…) Certes les hommes et femmes libres ont à maintes
reprises eu à défendre leurs sociétés contre les
menaces étrangères ; mais l’histoire du monde
démontre que la guerre s’est faite le plus souvent
l’ennemie commune des tenants de la paix et de la productivité
dans les deux camps.
En
France, la campagne présidentielle de 2012 sera peut-être
l’occasion pour un certain nombre d’Instituts qui se rapprochent
de ce courant de pensée de mieux se faire connaître du grand
public : l’Institut Turgot, l’Institut économique Molinari, l’Institut Coppet, le webzine
Contrepoints. Leur travail est indispensable au pluralisme qui manque souvent
à la politique française.
Damien Theillier
The
Coming Libertarian Age
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