Mes chères contrariées, mes chers contrariens
!
Un article qui nous vient du Royaume-Uni, du Guardian, et
intitulé « L’Allemagne exporte ses vieux » montre
à quel point le vieillissement de la population, le financement des
retraites et de la dépendance devient un problème insoluble.
Mais ce qui retient mon intérêt dans cet
article, c’est le chiffre actuel avancé de 400 000 senior dans
l’incapacité de payer leur maison de retraite, dont le
coût très similaire à celui en France est compris entre 2
900 et 3 400 € par mois.
Une grande association allemande attire donc
l’attention du gouvernement sur le fait qu’il est hors de
question de « déporter ceux qui ont fait de l’Allemagne ce
qu’elle est devenue ». Encore faut-il en avoir les moyens, mais
vous l’aurez compris, l’ampleur de ce mouvement va rapidement
poser des questions essentielles sur ce que c’est qu’une nation,
le rapport entre les générations, les responsabilités
des uns à l’égard des autres.
Il ne s’agit pas d’assistanat dans tout
ça. Il s’agit de savoir si on doit euthanasier nos senior ou
pas. Il s’agit de savoir jusqu’à quel prix on laisse vivre
quelqu’un. Choquant n’est-ce pas ? Pourtant, bien qu’encore
personne n’ose vous le dire, c’est bien cela la
réalité cachée. Le coût du
vieillissement alors que nous avons le coût de la crise
à absorber… l’équation est délicate.
Très délicate.
La crise apparaîtra bientôt
financièrement insurmontable pour de très nombreux pays
occidentaux. Le coût du vieillissement de la population et de retraite
doit être financé maintenant et ce coût n’est tout
simplement pas supportable par une économie saine, encore moins
évidemment par des économies malades.
Alors, en attendant, on peut toujours exporter nos vieux
en les délocalisant dans des maisons de retraite low
cost à l’étranger, là
où la main d’œuvre plus ou moins
qualifiée coûte moins cher.
Ce sera sans doute l’ultime avatar d’une
mondialisation, d’une globalisation et tout simplement d’un monde
devenu fou et sans repères car désormais c’est la nature
même des nations et des peuples qui est remise en cause.
La primauté du politique sur
l’économique a toujours été une
réalité. Disons que ces trente dernières années,
voire quarante, nous avons décidé d’abandonner notre
pouvoir politique au profit du pouvoir économique, mais ce n’est
en aucun cas une fatalité et il ne tient qu’aux peuples de
reprendre le pouvoir.
Certains, pour ne pas dire beaucoup, me diront que
c’est de la naïveté, de l’idéalisme ou les
deux à la fois. Je répondrai simplement que les peuples restent
au bout du compte maître de leur destin ou les victimes consentantes
d’un destin qu’on leur propose.
Il en fallait du courage, de la naïveté et de
l’idéalisme pour dire « non » en 1940, et pourtant
cela a été fait.
Paradoxalement, je pense que l’on arrive au point
où, désormais, l’économie dans sa forme actuelle
– à savoir une espèce de libéralisme
totalement dégénéré où les profits des
banques sont privatisés et les pertes socialisées de
façon inouïe – va se confronter à la raison
d’État.
La raison d’État
La raison d’État est un concept complexe
à définir. C’est un peu une auberge espagnole
intellectuelle. Néanmoins, on peut en général
s’accorder sur le fait que la raison d’État permet de
s’affranchir des lois pour permettre de sauvegarder ce que l’on
qualifie d’intérêt national supérieur. Bien
souvent, lorsque la raison d’État est invoquée
c’est que l’existence même d’une nation est
potentiellement menacée. Nous y sommes, et pas qu’en France bien
entendu.
L’homme vit dans le présent. Tout ce qui
est, a été et sera toujours. Nous sommes ainsi fait. Pourtant, le monde va changer radicalement dans les
années qui viennent et ce sera un changement global.
Beaucoup diront que dans un monde ouvert comme le
nôtre, on ne peut rien faire seul. Je pense l’inverse, mais ce
n’est pas le débat. Car nous n’aurons sans doute pas
à le faire seul et paradoxalement ceux sont les États-Unis qui
devraient ouvrir le bal, car ce sont eux qui ont le plus à perdre dans
l’évolution actuelle de la situation. Cela fait quelques
siècles que la France n’a plus de leadership à
défendre. Ce n’est pas le cas des USA.
Le FMI, bras armé de
Washington
Un article de Marianne du 18 janvier
intitulé « L’incroyable erreur des experts du FMI »
explique qu’un récent rapport de la Direction du FMI montre
à quel point le Fonds monétaire international a
sous-estimé les conséquences des politiques
d’austérité et à quel point ces dernières
sont vouées à l’échec
car entraînant des récessions telles que les pays
deviennent aussitôt ou presque insolvables, ce qui est disons-le
clairement le cas de la Grèce.
Le titre de l’article de Marianne et
le reste de l’article passent, à mon sens, à
côté tout simplement de la réalité. Ce n’est
pas une erreur. Le FMI n’a commis aucune erreur.
Le FMI a été créé suite aux
accords de Bretton Woods.
Il est devenu, dans un contexte de guerre froide entre les deux blocs, un
outil – certains diront une arme – détenu par
les USA pour empêcher l’expansion soviétique et
également acheter à vil prix certaines économies
étrangères notamment en Amérique du Sud.
Les résultats des politiques
d'austérité ne sont pas nouveaux. On ne les a pas
découverts avec la Grèce. L'Argentine en 2001 fut un exemple...
exemplaire, ainsi que la Malaisie en 1998, et de façon générale
l’ensemble des pays qui ont fait appel au FMI qui a toujours, TOUJOURS
mis en place des PAS, c’est-à-dire des plans d’ajustement
structurels qui sont génétiquement des plans
d’austérité avec baisse drastique des dépenses en
général sociales, baisse des impôts et privatisation du
maximum de secteurs, surtout ceux dignes d’intérêt pour
les entreprises de l’Oncle Sam.
Tant que cela concerne des économies
périphériques, la politique de rigueur est dans
l'intérêt des grandes firmes US qui profitent à plein des
privatisations bradées.
Si l’on suit aujourd’hui la politique mise
en place pendant 40 ans par les experts du FMI dans de « petits »
pays, les États-Unis d’Amérique devraient sans aucun
doute se lancer dans un plan d’ajustement structurel majeur… mais
ce serait signer l’arrêt de mort du leadership américain,
d’autant plus que l’empire du Milieu, la Chine, attend patiemment
en embuscade la chute du fruit mûr.
Au nom de la raison
d’État, les règles du jeu vont changer
Je parlais au début de la primauté du
politique sur l’économique. L’économie n’a
été que l’un des outils brillamment utilisés par
les Américains pour conquérir de façon (presque)
pacifique la place de pays numéro un.
Il ne faut pas imaginer que les USA vont se laisser
dépasser sans combattre et ce combat sera un combat titanesque,
d’abord entre des forces au sein même des États-Unis et
ensuite au niveau international sans oublier les aspects monétaires.
Ce combat vient de commencer.
Le combat vient de commencer
Reprenons. Le FMI sort un rapport en disant : "On a
mal calculé l’impact de nos politiques
d’austérité et il nous a fallu 40 ans pour nous en rendre
compte…" Pas très crédible.
L’une des spécialités de nos grands
« amis » américains est le changement de règle du
jeu à leur convenance. Une règle qu’ils imposent, y
compris en se servant d’amicales pressions (pouvant être
exercées grâce à la flotte de porte-avions la plus
importante), n’est utile que tant qu’elle arrange les
intérêts américains.
Jusqu’à présent, l’austérité à
la sauce FMI leur permettait de racheter des pans entiers de pays à la
dérive. Le problème c’est qu’aujourd’hui ce
sont eux qui sont à la dérive.
Heureusement, le FMI vient de faire son mea culpa en
reconnaissant son erreur. Mais le FMI va plus loin. Beaucoup plus loin.
Dans un autre rapport du mois d’août 2012
passé quasiment inaperçu et intitulé le « The
Chicago Plan Revisited », le FMI donne la
vision de ce que pourrait être l’une des solutions pour
s’en sortir.
Ce rapport est passionnant car il propose le retour au
« 100 % money ». Le 100 % money, ce serait un retour pour la
France par exemple au mode de fonctionnement que nous avions avant la loi de
1973, où la Banque de France ne prêtait plus directement au
Trésor.
Le retour au 100% money sonnerait la fin des banques et
de la financiarisation actuelle. Pour le moment, les banques empruntent
à 0 % ou guère plus pour reprêter
aux États à des taux largement supérieurs. La
différence c’est leurs marges et leurs bénéfices.
Mais on peut faire autrement, puisque l’on faisait
autrement. C’est probablement ce qui va finir par se passer.
La guerre civile américaine
Évidemment, les banques ne l’entendent pas
forcément de cette oreille. Si les banques centrales prêtaient
directement aux États… il n’y aurait plus de travail
facile fortement rémunérateur pour les banquiers.
Pourtant, historiquement, les liens entre le pouvoir américain et les
banquiers sont extrêmement forts. Au plus fort de la Seconde Guerre
mondiale, les services secrets anglo-saxons étaient tenus par…
des banquiers. Une partie non négligeable de la finance US est
profondément patriote.
De l’autre côté, le pouvoir
militaro-industriel dont le poids est également historique. Ils ne
veulent pas entendre parler de rigueur budgétaire, de réduction
de dépenses (si ce n’est sociales).
Leur objectif ? Le maintien de revenus importants et de la suprématie
de l’hégémonie politique et militaire américaine
qui seraient compromis par une politique d’austérité
massive qui semble pourtant indispensable.
Il existe une ligne de crête
La seule solution : sortir du système et du cadre
actuel. Redonner aux banques centrales le droit de refinancer les
Trésors Nationaux. Rembourser les dettes avec de l’argent
imprimé fraîchement et emprunté à taux
zéro auprès de la Banque centrale.
Rien que pour notre pays, le service de la dette,
c’est-à-dire les intérêts que nous devons payer
chaque année, représente le premier ou deuxième poste de
dépenses de l’État, soit environ
50 à 60 milliards d’euros…
Imaginez les gains !!
Cette solution ne sera utilisée qu’en
dernier recours et lorsqu’il n’y aura plus que le choix entre une
rigueur insupportable et la perte du leadership américain ou le
sacrifice des gains des banques.
Face à la raison d’État, les
banquiers perdront. Les Banques centrales refinanceront directement
les États, la création monétaire nécessaire
pour sortir de l’impasse financière créera un moment plus
ou moins long d’inflation forte. L’or en sortira comme le grand
gagnant et permettra de refonder un système monétaire
international certainement mieux équilibré et basé sur
les véritables richesses que sont certaines matières
premières et les métaux précieux. Le protectionnisme
fera son grand retour et pourrait permettre de faire en partie dérailler
la Chine.
De très nombreux épargnants seront ruinés,
mais ce ne sera pas la première fois. Les obligations
d’État ne vaudront plus grand-chose, et les grands perdants
seront certains pays excédentaires comme la Chine
– qui récupérera sans doute Taiwan en
échange de quelques paquets de dollars ne valant plus rien et de
l’économie d’une guerre – et les
pétromonarchies qui n’ont plus beaucoup de pétrole…
contrairement aux États-Unis qui exploitent désormais leur gaz
de schiste. Ils deviendront autosuffisants… et pourront ainsi ne pas
rembourser leur dette sans craindre de rétorsion.
Dès lors, l’Europe n’aura plus
qu’à trouver sa propre voie.
Nous ne sommes pas encore à la réalisation
de ce scénario mais sa probabilité se rapproche car, au bout du
compte, nous aurons le choix entre le chaos ou la fin des profits des
banquiers, ce qui sera somme toute mondialement très populaire.
Charles SANNAT
Directeur des Études Économiques Aucoffre.com
http://www.lecontrarien.com/
Les deux rapports du FMI sont consultables ici :
http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2012/wp12202.pdf
http://www.imf.org/external/pubs/ft/wp/2013/wp1301.pdf
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