Des voix aussi nombreuses que discordantes
appellent à une réduction des dépenses militaires
américaines.
Pour les uns, si la situation fiscale du pays,
dont les déficits budgétaires ne cessent de se creuser et
d’aggraver la dette, appelle une réduction des dépenses
publiques, celle-ci devrait commencer par la Défense. Engloutissant
près de 5% du PIB, et 25% du budget de l’État (Figure 2),
celle-ci semble en effet démesurée au regard du reste du monde.
Dix des plus grosses armées dépensent à peine 75% de ce
que dépensent les américains (Figure 1).
Pour les autres, les dépenses militaires
devraient être réduites aux États-Unis pour la simple
raison que, à un tel niveau, il ne s’agit plus de
Défense, au sens propre, mais plutôt d’Empire.
Un tel argument est cependant, tout comme le
précédent susceptible de deux interprétations
très différentes. Les libertariens
américains diront ainsi que l’État devrait limiter toutes
ses dépenses, à commencer par les dépenses militaires,
puisqu’elles représentent l’un des principaux postes de
son budget ; et qu’il le devrait d’autant plus que les
américains n’ont pas à payer pour la
sécurité du reste du monde.
Les gauchistes, quant à eux, diront que
l’État doit limiter ses dépenses militaires afin de ne
pas avoir à limiter les autres. Cela serait d’autant plus
justifié qu’elles fondent une politique impérialiste
à laquelle devrait se substituer une plus grande coopération
internationale.
Figure 1
Source : aol defense,
http://defense.aol.com/2012/03/16/the-militar...ends-the-world/
Figure 2
Source : usfederalbudget.us
http://www.usfederalbudget.us/defense_budget_2012_3.html
Cette question est évidemment complexe, et
je n’entends ici la traiter que partiellement. En fait, je me contenterai
d’avancer un ou deux arguments critiques à l’égard
de cette diminution des
dépenses militaires aux États-Unis.
Pour répondre à la première
critique, la question est de savoir si une telle baisse assainirait
effectivement le budget fédéral américain. Cela n’a
en fait rien d’évident contrairement aux apparences
En effet, toute diminution des dépenses
militaires se traduirait par un renchérissement du coût de
l’emprunt pour le gouvernement américain. La raison en est
simplement que la valeur des bons du Trésor - et donc du US Dollar - si elle dépend
d’un grand nombre de facteurs, repose notamment sur la capacité sans égale de ce pays à
projeter de la force et faire office de juge de paix mondial.
Au total, une diminution de x milliards des
dépenses militaires US pourrait bien se traduire par une hausse
comparable du coût de l'emprunt pour ce pays. Si tel était le
cas, aucune économie ne serait réalisée : un poste de
dépense serait simplement déplacé de la Défense
vers les Intérêts, et le résultat en serait, pour un
même budget, une pure perte de capacités militaires.
Tout du moins en serait-il ainsi si ce que l'on peut
appeler le « taux d'utilisation » de ces
capacités restait le même. En réalité, il y a fort
à parier qu'une diminution de l'hyper-puissance
militaire américaine se traduirait par une multiplication du nombre et
de la gravité des conflits entre tiers, plus ou moins locaux. On peut alors
s'attendre à ce que cela implique des interventions plus
fréquentes de la part de ce qui restera la première
armée du monde.
De ce fait, il se pourrait qu'une politique de
baisse des dépenses militaires US implique en réalité de
devoir les augmenter de nouveau rapidement face à des problèmes
de sécurité croissants.
Certains pourraient répondre qu’un désengagement
américain se traduirait par un rôle accru de
l’Organisation des nations unies (ONU).
Cette objection repose sur des bases faibles.
D'une part, la « délégation à l'ONU »
est une vaste blague, parce que l'ONU en est une elle-même, mais plus encore
parce que ses dépenses sont plus ou moins financées par le budget
Fédéral US. Si l'ONU
doit intervenir davantage, c'est encore une fois le budget US qui se
dégrade.
L'autre possibilité serait que les
États-Unis réduisent leur engagement dans les relations
internationales. Bien que désiré par certains, à
l'intérieur comme à l'extérieur des frontières
américaines, un tel isolationnisme n'est ni crédible, ni
désirable.
Lorsque je dis qu'il n'est pas crédible,
je ne veux pas seulement dire qu'il n'est pas plausible, au sens où il
n'y a guère de chance que le gouvernement américain aille dans
ce sens dans un avenir proche. Je veux en fait souligner que ceux-là
même qui le professent n'y croient pas véritablement
eux-mêmes.
Les mêmes critiques de l'intervention en
Irak sont aussi les premiers à appeler de leurs vœux une aide au
peuple libyen, puis syrien. De même, ceux qui s'opposèrent
à l'intervention en Afghanistan avaient d’abord commencé
par la soutenir lorsqu'il s'agissait de déloger les Talibans pour
protéger les droits des femmes, ou sauver une vieille statue de Bouddha.
Tant qu'il ne s'agit pas de lutter contre l' « axe
du Mal », les contempteurs de l' « impérialisme
américain » sont en fait hyper-interventionnistes. Devant
la multiplication des conflits, on ne peut qu'imaginer le nombre de SOS
qu'ils lanceraient, comparables à ceux qu'ils ont lancé pour le
Timor oriental, le Sud-Soudan, l'Egypte, la Lybie, la Syrie, et même
les victimes de Kony!
En conclusion et sans prétendre avoir
résolu la question, nous devons réaliser que nous avons pris
l’habitude de vivre dans un monde où il existe une puissance
dominante, démocratique et promotrice d'idéaux occidentaux. Nous
la critiquons sans cesse et appelons à sa disparition. Qui sait,
cependant, si la situation actuelle n'est pas, avec ses grandes
imperfections, largement préférable à toute alternative?
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