Il y a un peu moins d’un an, toute la presse nous apprenait, tremblante d’effroi, que les budgets 2015 des communes allaient être serrés comme une corde de pendu : entre les maires qui faisaient des photos en slip devant leur mairie, et ceux qui expliquaient, la glotte humide et le timbre tremblant, en être réduits à fermer la piscine municipale pour boucler leurs finances, la situation transpirait la tension et la misère budgétaires. Un an après, le constat est encore plus cruel.
Il est même si cruel que la fronde s’organise, et dépasse même largement l’habituel clivage droite-gauche : lorsqu’il s’agit de pépettes municipales, pas question de s’éparpiller en considérations bassement politiques. À l’appel de François Barouin, l’ex-stagiaire en charge des photocopies et du café à Bercy pendant un temps et maintenant président de l’Association des Maires de France, les maires ont décidé d’organiser une véritable fronde tant sont graves les problèmes posés par les restrictions budgétaires imposées par l’État : d’ici à 2017, c’est une baisse programmée de 30% des dotations budgétaires que le méchant état socialiste a ainsi décidé, et tout le monde sait que ces baisses vont impacter durement les missions indispensables de service public des municipalités.
Jugez plutôt : on demande à Cannes de faire des efforts de 42 millions d’euros sur trois ans (soit 14 millions sur un budget total supérieur à 440 millions, soit un abominable 3%). C’est taffreux ! Pour la métropole du grand Lyon, la baisse des dotations se chiffre à un milliard d’euros en moins en quatre ans sur un budget de 2,7 milliards d’euros annuel, soit 250 millions de moins à claquer par an. C’est tignoble !
D’autant que cette insupportable austérité entraîne forcément … des hausses d’impôts, pour plus d’une ville sur trois de plus de 100.000 habitants (et de 70% en 10 ans). Or, augmenter les impôts, c’est faire quelque chose de tout à fait désagréable pour l’électeur local. Là où l’ouverture d’une piscine municipale déserte, l’aménagement facile de pistes cyclables impraticables ou l’édition régulière, sur papier glacé, du petit mensuel municipal à la con font aisément mousser la « politique de la ville » du maire et permettent le renouvellement de son mandat d’élection en élection, a contrario l’augmentation des impôts, même légère, est à la fois une épine plantée dans la main du votant et une casserole que l’opposition municipale pourra toujours ressortir pour en asséner quelques coups au moment critique de la période électorale.
Bref, ça pleurniche fort chez nos maires qui ne reculent — comme certains syndicats, certaines corporations, certaines professions pourtant largement protégés — devant aucune caricature, aucune exagération et aucune statistique ad hoc pour faire comprendre à tous qu’il en va de la survie du tissus social du pays et que non, décidément non, aucune économie ne peut plus être réalisée sur ces postes. L’austérité, ça suffit, et tout ça, quoi bon, zut à la fin.
Mais qu’il est difficile de ne pas voir les similitudes entre les couinements de ces élus et ceux, tout aussi longs et aigus, de ces artistes ou de ces associations dont la vie ne dépend que de la manne publique, d’une subvention ou d’une aide de l’Etat et que j’avais chroniqué en début d’année. Qu’il est difficile de ne pas noter la symétrie de comportement entre ceux qui sont subventionnés pour leurs « performances » artistiques et ceux qui sont subventionnés pour leur « performances » municipales ! Qu’il est compliqué d’oublier que les uns comme les autres n’ont pas encore commencé à réellement goûter l’austérité, la vraie, celle qui consisterait à couper, net, complètement et définitivement, tout subside de l’État !
Parce qu’après tout, si on entend ce genre de cris effarouchés, si on voit dès à présent de frétillants cuistres municipaux se déclarer humidement solidaire de la lutte contre ces baisses insupportables de dotations, que ne va-t-on entendre lorsque les robinets seront définitivement fermés, par évaporation complète de l’argent des autres ?
Eh oui : difficile aussi d’oublier que l’argent de l’État, c’est d’abord et seulement l’argent des contribuables. Que ces derniers se fassent détrousser pour le maire ou pour son patron ne change rien au résultat. La caricaturale diminution des services publics tant décriée n’est, en réalité, que la remise à niveau de ces services en fonction des moyens réels de l’économie. Et la France est à peu près ruinée : dette kolossale, emprunts permanents pour les dépenses courantes, notation auprès des agences baissant inexorablement, rentrées fiscales diminuant, fuite des cerveaux, chômage galopant et élus refusant, obstinément, de faire enfin des coupes dans leurs dépenses tous azimuts… Tout ceci concourt à l’inévitable disparition de l’argent des autres.
Et devant ces réactions caricaturales des maires, le plus croquignolet reste celle du Chef de l’État qui parvient à faire preuve d’une fermeté qu’il n’a jamais été capable de rassembler lorsque le sujet ne le concerne pas directement : à leur demande de rallonge budgétaire, il leur a répondu que « tous les acteurs publics doivent faire des économies ». En somme, démerdez-vous.
Logique : le père Hollande a le même problème que les maires, à son niveau. Ces derniers sont confrontés au choix cornélien de diminuer des services publics pléthoriques et coûteux et risquer d’encourir l’agacement des consommateurs-électeurs devant la disparition de trucs gratuits, ou conserver ces services mais augmenter les impôts ce qui entraîne inévitablement la grogne du contribuable-électeur. Pareil pour Hollande : ou bien fermer le robinet à subsides, ou bien augmenter les impôts. Et cette dernière option lui coûtera une élection qu’il ne peut surtout pas perdre.
En somme, le début de ces restrictions budgétaires illustre encore une fois l’art de l’État de monter les uns contre les autres et d’institutionnaliser la guerre des robinets d’argent public. Il est symptomatique de voir ce petit monde de parasites qui pleurent à chaudes larmes lorsque la tétine publique s’assèche, qui se battent entre eux pour avoir une part du butin, qui s’inventent des droits et des exigences pour justifier leur grogne et le retour à la vie douce et tranquille où les fonds dégringolaient sans effort.
Mais voilà, messieurs les maires, monsieur Hollande, vous aurez beau couiner, ça ne changera pas la donne : rien ne vous est dû, pas un kopeck. Rappelez-vous : c’est vous qui nous servez, pas l’inverse. C’est vous qui devez faire avec l’argent que nous consentons à vous donner, ce n’est pas à vous d’aller chercher plus. Et si vous n’êtes pas capables de vous restreindre, si vous n’êtes pas capables de sucrer ces services publics dispendieux et enfin (ENFIN !) revenir à un état minimal, cantonné à ses vraies fonctions régaliennes, alors vous ne mériterez ni notre vote, ni notre respect.
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