Oups. Il a ripé. Michel Sapin a prononcé le mot en F pour désigner l’État français. Oui, il l’a dit : l’État est totalement en faillite. Un tel aveu nous ramène plus de cinq ans en arrière lorsque François Fillon découvrait, un peu abasourdi, la même réalité, avant d’être rappelé bien vite à l’indispensable mutisme qui a permis au manège de continuer à tourner pour laisser le temps aux autres guignols de décrocher la queue du Mickey pour un tour gratuit de plus.
Rappelez-vous, c’était le 21 septembre 2007, et François Fillon déclarait au 20H de France 2, sans doute encore sous le coup d’un vin trop capiteux pour bien se rendre compte de la portée de ses propos :
« Je suis à la tête d’un État qui est en situation de faillite. »
Émoi vif et profond de toute la majorité de l’époque, Sarkozy avait perdu une ou deux systoles en apprenant la saillie de son Premier, petit couic fébrile de bien des journalistes qui ne s’attendaient pas à devoir traiter pareille nouvelle cataclysmique (un vendredi, en plus !), tout concourrait à ce que la phrase devienne culte. Et elle l’est effectivement devenue puisqu’on s’en souvient encore et qu’elle a résonné avec d’autant plus de justesse que la crise a développé par la suite chacun de ses sombres chapitres.
À l’époque, le pauvre Premier avait dû se rétracter, enrober ce qu’il avait lâchement admis dans une louche de diplomatie dégoulinante pour faire oublier (aux marchés, aux Français) ce qu’il pouvait entendre par « faillite ». La confiance ne s’était pas évaporée, la France avait pu continuer à emprunter goulûment et plutôt deux fois qu’une puisque les années Sarkozy furent, en terme de dette publique, le quinquennat de tous les records.
Et c’est donc un dimanche de janvier 2013 que Sapin découvre à son tour qu’il n’y a plus un rond dans les caisses. Pire encore, selon le ministre socialiste, l’État français est maintenant « totalement » en faillite ; apparemment, sous Fillon, il ne devait être en faillite que sur les bords, ou de façon pastel, je suppose. À présent, nous avons toutes les pleines couleurs de la faillite, pas le petit lavis d’aquarelle d’une faillite translucide version droite rigolote.
Quelque part, c’est une façon pour la gauche d’admettre que la droite n’avait finalement pas exagéré l’ampleur de la crise. On savait que Présiflan s’était aperçu quelques mois après son entrée en fonction que son Nicolas de prédécesseur lui avait laissé les clefs d’une guimbarde toute rouillée qui ne tenait plus qu’avec de petits bouts d’adhésif social de fortune. On s’était étonné d’un tel manque de lucidité (se lancer dans la candidature, décrocher la timbale, arriver en poste et – oups – tomber sur une situations bien pire qu’imaginée), mais la presse n’avait pas trop remué le couteau dans la plaie. Avec la sortie de Sapin, on sait maintenant que la réalité, palpée par le peuple en direct, met donc cinq ans pleins pour parvenir aux têtes pensantes.
On a connu plus vif.
Un autre élément qui ne rassure pas, c’est qu’entre 2007 et 2013, si la situation a changé, ce n’est pas en bien, mais en pire. Autrement dit, avant les guignolades de Sarkozy, on avait déjà cumulé autour de 1200 milliards de dettes. Le paquebot à rames « France » doit à présent croiser dans les mers tumultueuses des 1800 milliards. À tout le moins, si François Fillon avait déjà raison à l’époque de déclarer le pays en faillite, Michel Sapin ne peut pas décemment dire le contraire.
Et bien évidemment, comme en 2007 où Sarkozy et Fillon avaient rétropédalé dans un bel ensemble, Michel Sapin n’aura pas tardé à enchaîner le même mouvement arrière quelques heures plus tard : « Nan mais en fait c’était de l’ironie, hein, les enfants, je n’y crois pas. »
C’est un peu vrai, et un peu faux, en réalité, parce que lorsqu’il a sorti son anathème, il dosait ce qu’il disait afin de préparer les esprits au coup de bambou suivant :
C’est la raison pour laquelle il a fallu mettre en place des programmes de réduction des déficits et aucune sirène ne doit nous détourner de cet objectif.
Dans la bouche du ministre, l’État totalement en faillite n’est, de fait, pas un constat, mais un calcul. C’est un outil pratique pour avancer sa politique économique qui se traduit, très concrètement, par un « programme de réduction des déficits ». Sur le papier, cela fait bien. La réalité, c’est bien sûr qu’il n’y a aucune réduction actée ou prévue ; il y a une baisse de l’augmentation ou une stagnation des dépenses, mais l’état continue de mener grand train sans s’occuper de diminuer ni sa taille, ni sa consommation. En fait d’austérité, il s’agit bel et bien d’une pluie de taxes, d’impôts et de ponctions. Mais en terme de dépense publique, les robinets sont toujours ouverts.
Du reste, comment attendre de la part de socialistes qu’ils comprennent effectivement les enjeux du problème qui s’offre à eux ?
Il suffit de voir les solutions préconisées par les vieux croûtons et économistes d’opérette ; alors même que le premier Michel (Sapin) agitait sa faillite pour justifier le prochain programme de ponctions, un second Michel, Rocard, expliquait doctement son point de vue déjanté aux journalistes trop heureux de relayer le vieil hibou. Et pour ne pas changer, les solutions préconisées font dans la dentelle keynésienne au mieux, ouvertement socialiste au pire : il faut absolument ralentir la réduction des déficits (vous savez, celle qui a eu lieu dans le pays des licornes et des elfes). Et puis aussi, remettons une couche de réduction du temps de travail ! Les 35H ont eu un effet tellement magique qu’à n’en pas douter, tous les farfadets, les centaures et les griffons ont tous retrouvé un emploi sûr et bien rémunéré ! Papy Rocard déclare ainsi :
« La première des urgences, c’est de faire baisser le chômage. Comme nous n’avons pas de croissance économique, la seule façon d’y parvenir est de réduire le temps de travail »
Cet entêtement à persister dans des solutions qui n’ont jamais été employées ainsi dans aucun autre pays et qui ont montré, en France, leur complète inefficacité et dans une bonne mesure, leur aspect néfaste, cette obstination compulsive à s’acharner dans l’erreur me fait penser à la parabole de l’aspirine :
En réalité, oui, l’État est en faillite, mais sa faillite économique est connue depuis un moment. D’ailleurs, l’absence de réaction relative lors de la perte du triple-A montre qu’elle est déjà prise en compte dans une certaine mesure. Le fait que les industries quittent le pays, que les forces vives s’en vont, que les patrons fuient, que les riches s’exfiltrent aussi discrètement que possible est un autre élément tangible de cette faillite parfaitement reconnue de ceux qui savent regarder.
Malheureusement, c’est de l’autre faillite que nos dirigeants devraient se préoccuper. Cette autre faillite, c’est celle d’un État qui a failli moralement, qui ne représente plus que lui-même, qui n’arrive plus à insuffler dans le pays la moindre once de fierté. C’est la faillite de toute une classe politique qui ne sort plus que des petites phrases pour pousser des agendas étriqués, fomente et bricole pour parvenir au mandat suivant, à l’échéance électorale de plus qui leur permettra de se mettre un peu plus à l’abri de la faillite complète, totale, de toute la société française qui se profile à l’horizon. C’est la faillite d’une administration qui ne délivre plus que de la misère, de la frustration et des tracas à ses administrés. C’est la faillite d’une caste qui continue à empiler les tâches absurdes sur les décrets ridicules, et qui est incapable de se réformer. Cette faillite là, bien sûr, ni le premier Michel, ni le second ne l’ont vue, ne l’ont comprise ni ne l’ont analysée. Et c’est pourtant de celle-ci qu’est née la seconde, celle dont ils se gargarisent de nous expliquer qu’ils vont nous en sortir.
Un pays en faillite qui aurait une classe politique digne, des hommes et des femmes responsables et lucides, serait certes au fond du gouffre mais aurait les moyens de regarder vers le ciel, et des solutions concrètes pour l’atteindre.
L’État français est plus qu’en faillite. Composé de vieux débris et de cuistres fringants persuadés de leur importance, certains de détenir la solution quand bien même elle a déjà montré toutes ses limites, cet État n’a plus aucune idée d’où il est, d’où il va, ni même pourquoi.
Il est bien plus qu’en faillite : il est foutu.