Neuf mois, le temps d’une
gestation : c’est donc ce temps qu’il aura fallu à Ségolène Royal pour
digérer le camouflet que le parti socialiste, le peuple et la classe
politique lui avaient infligé en juin 2012 en refusant de la nommer d’abord
comme candidate officielle du Parti en 2011, puis comme députée, puis comme
premier ministre, puis comme présidente de l’assemblée nationale. Car
heureusement, après cette courte traversée du désert médiatique, ses
capacités naturelles et ses immenses compétences lui ont permis, à la seule
force de son poignet légendaire, de se hisser toute seule à la
vice-présidence de la Banque Publique d’Investissement.
Cette nomination arrive à
point nommé, alors que le buzz de communications
autour de Marie-Ségolène était au plus bas. À la suite d’une assez
stupéfiante série de contre-performances absolument pas mémorables (et qui
n’étaient pas dues à l’abus d’alcool, malgré ce qu’on aurait pu croire de
loin), son aura médiatique s’était progressivement diluée dans le n’importe
quoi d’ambiance générale très touffu actuellement. Elle allait, elle et ses
frasques consternantes, passer lentement dans la catégorie des légendes &
créatures mythiques de l’Histoire de France quand son ex-compagnon s’est
rappelé que, d’une part, il fallait mettre en place cette Banque Publique
d’Investissement dont on avait déjà tant parlé, et que, d’autre part, la Ségo, c’est plus fort que tôt,
elle s’était déjà illustrée pendant sa campagne aux primaires socialistes en soutenant cette idée baroque.
Aussitôt dit, aussitôt fait,
en deux coups de cuillère à népotisme, la voilà bombardée vice-présidente du
Bazar à Succions Phynancières Républicaines et
Arrosages Discrétionnaires de Connivence, avec son pote Jean-Paul Huchon, qui
lobbyisera grave représentera les
régions, parce qu’on sait que des collectivités territoriales qui fricotent
avec des banques, ça ne peut que bien tourner (et bisous à Dexia).
Aaah, décidément, Royal & Huchon, voilà
qui sonne délicieusement comme Laurell & Hardy,
ne trouvez-vous pas ?
Et malgré une actualité fort
chargée à tout point de vue (international, économique, politique), et malgré
même les échanges épistolaires poivrés entre Monteclown et l’un ou l’autre patron qu’il tente
d’amadouer, toutes choses qui ont fort occupé les journalistes ces derniers
temps, la presse ne tarit pas d’articles (et d’éloges) sur la belle place (ou
le nouveau fromage, si l’on est plus franc) que la dame du Poitou a
finalement réussi à dégoter.
Certes, elle prévient déjà
qu’elle opérera à titre gracieux (d’un autre côté, il n’aurait plus
manqué qu’elle soit payée pour faire des dégâts, ajoutant ainsi l’insulte à
l’injure). Mais indépendamment des effets positifs qu’on peut éventuellement
attendre de ce genre de structure (on ne sait jamais, sur un malentendu ?),
il n’en reste pas moins que cette banque d’investissement
public d’arrosage dirigiste va encore coûter un paquet d’argent
aux contribuables, comme tant d’autres bidules et comités Théodules
qui refusent de disparaître en ces temps de disette.
Quoi qu’il en soit, l’actuel
président de la BPI, et aussi patron de la Caisse des Dépôts et
Consignations, Jean-Pierre Jouyet, énarque de
formation, a déjà trouvé un rôle sur mesure à Ségolène Royal, énarque de
formation :
« Compte tenu de ses
capacités en termes de communication, elle pourra jouer un rôle important en
tant que porte-parole de la BPI »
On peut le dire, c’est franchement choupinet
de sa part de lui proposer ce poste à la communication : en effet, quoi de
mieux pour une structure d’arrosage qu’une cruche communicante
? Mais surtout, au-delà de la description de poste, c’est la justification
qui fait sourire : elle n’intègre pas la BPI parce qu’elle masterise grave la finance d’entreprise. Non. D’ailleurs,
les rires seraient francs et massifs si quelqu’un prétendait une telle
absurdité. Mais d’après Jouyet, Royal est à ce
poste parce que … c’est une femme :
« Comme c’est un conseil
paritaire, le fait qu’il y ait un président homme et une vice-présidente
femme est une bonne chose. Et puis c’est un tandem entre un haut fonctionnaire
et une grande responsable politique. »
Évidemment, si elle avait eu
le bon goût d’être créole (ou asiatique, ou maghrébine) et handicapée
(physiquement, disons), cela aurait peut-être permis d’aligner encore plein
d’autres critères pour bien remplir toutes les cases donnant droit à des
aides d’État, non ? Ah, je sais qu’en écrivant ça, je vais déclencher des hauts-le-cœur de tous les bien-pensants divers et variés,
mais j’ai du mal à comprendre comment « être une femme » est devenu
une qualification quelconque pour un job ; après tout, les femmes sont les
premières à vouloir être jugées pour leurs compétences et pas pour leur sexe…
Va comprendre. Mais finalement, le pompon dans la déclaration de Jouyet est qu’il trouve des charmes à un tandem haut-fonctionnaire
/ responsable politique ; c’est, proprement, ahurissant puisque nos deux
loustics, du même âge, de la même génération bénie d’après-guerre,
proviennent des mêmes bancs, des mêmes écoles, de la même pensée, qu’ils
n’ont jamais eu, à proprement parler, d’autre travail que dans le giron de
l’État et qu’ils ne sont donc que le pur produit du système actuel ; c’est
plus qu’un tandem, c’est presque un ménage !
Alors si l’on élimine les
raisons de parité purement fortuite, de compétence parce que bon, soyons
sérieux deux minutes, hein, et si l’on passe sous silence le track record pas fameux de Ségolène en Poitou-Charentes (+60% de dettes depuis son arrivée, +95% d’embauches
d’effectifs), que nous reste-il pour justifier de la présence de cette
personne-ci à cette place-là ? Eh bien, à part le passé commun avec l’actuel
locataire mollasson de l’Élysée, on n’en voit pas trop. Il ne me semble en
effet pas suffisant d’être d’accord ou d’avoir promu l’idée même d’une banque
publique pour bénéficier automagiquement d’un poste
à la tête de la nouvelle structure.
Or, ce népotisme d’un
président nommant son ex dans une structure publique ne semble déclencher
aucun mouvement de panique dans la presse française. Pour rappel, il faut se
souvenir de la tempête outrée et des cris d’orfraie qu’avaient poussés les
bien-pensants (les mêmes que tout à l’heure, et d’autres aussi tartuffes)
lorsque Sarkozy avait tenté la même cabriole avec son fils à l’EPAD, dans une
absence de discrétion coupable. Cette fois-ci, comme il
s’agit de socialistes officiels, pas de panique, pas de cris, pas
d’étonnement : c’est Normal. Le deux poids deux mesures ? C’est Normal.
Décidément, qu’il est doux
d’être socialiste en France, d’avoir toutes les grandes villes socialistes,
une grande majorité des départements socialistes, une grande majorité des
régions socialistes, la majorité socialiste à l’Assemblée, la majorité
socialiste au Sénat, des ministres socialistes, un président socialiste et
des journalistes très majoritairement socialistes ! Au moins, cela permet de
faire du népotisme socialiste en plaçant son ex socialiste dans une structure
socialiste sans que ça gêne personne.
Avec tout ça, on oublierait
presque que le pays est sous domination ultra-néolibérale, tiens.