L’Histoire réarrange les
meubles dans toutes les pièces de la maison de l’Humanité sauf aux
Etats-Unis. Les choses ont changé, sauf ici, où les gens vont et viennent
d’une chambre de l’Etat à l’autre, où tout prend des airs de plus en plus
minables, où la léthargie ronge les bibelots comme un brouillard d’acide, et
où les murs réverbèrent un oratoire qui n’a plus de sens pour personne. Les
Etats-Unis ne vont nulle part, parce qu’ils n’aiment pas l’endroit où
l’Histoire voudrait les emmener.
Cet endroit est pour commencer
un lieu de moindre influence, une nouvelle ère de lutte désespérée pour
demeurer modernes. Le monde moderne mourant est la maison qu’ont construite
les Etats-Unis, le McManoir d’après-guerre truffé
de produits de luxe douteux qui créent une sorte de Las Vegas de l’esprit
collectif. La banque de l’Histoire l’a depuis longtemps saisie, et toutes les
nations, tous les peuples du monde se sont vus dire de repenser leur vie de
tous les jours. Les Etats-Unis veulent que tout continue comme si rien
n’avait changé.
Mais les Etats-Unis seront
forcés de changer. Tout finira par tomber en ruines sans plus jamais être
réparé. Malheureusement, les Etats-Unis ont aménagé leur côté de la maison de
l’Humanité avec un tissus de camelotes destiné à avoir plus d’allure qu’autre
chose. Nous aimons garder nos stores tirés pour ne pas voir que ce tissu
s’effiloche. Barack Obama va et vient tel un majordome, et ne fait rien de
plus que transporter de petits plateaux de politiques qui seront consommées
telles des gâteaux rassis – alors que les papiers peints se mettront à se
décoller, que les chaudières s’effondreront sur elles-mêmes dans les
sous-sols, que les parquets perdront de leur vernis, et que de petits animaux
envahiront le grenier.
Tous ceux que je connais
s'inquiètent de cette langueur toxique, de cette impression d’être coincé à
attendre dans un endroit qu’ils veulent désespérément quitter – comme une
prison pour personnes âgées où tant se retrouvent otages de la futilité
d’attendre une fin certaine, alors que les ressources de leur famille
s’écoulent dans le trou noir de la bureaucratie. Nous soucions-nous ne
serait-ce qu’un petit peu du fait que les générations à venir n’auront plus
rien du tout ?
Quand viendra la Journée de la
commémoration, les piétés usuelles seront tues. Seule une poignée de
politiciens oseront parler de nos braves soldats envoyés sur des champs de
bataille lointain, où nombreux d’entre eux sont coincée seuls dans une tente
sombre avec pour seule compagnie leurs blessures et leurs membres fantômes.
Si la médecine civile est un racket criminel et sans espoir, imaginez à quoi
ressemble la médecine réservée aux vétérans de l’armée – sans oublier
l’ineptie du gouvernement qui ne cesse jamais de se couvrir lui-même.
Même les discours sur le Rêve
américain sont tombés aux oubliettes, parce que les familles et les individus
ont traversé bien trop pour prouver que le peuple a besoin de bien plus que
de rêves et d’espoirs pour que les choses deviennent réalité. Je trouve
quelque peu soulageant de ne plus avoir à écouter ces idioties, et que plus
personne n’ose venir nous hurler que « Nous sommes numéros
1 ! ».
Nous ne sommes plus les
numéros 1. Ceux qui le sont avancent à leur façon, qu’elle nous plaise ou
non. Les Russes et les Chinois. Les électeurs européens. Les masses d’Arabie
et de ses pays frontaliers. Les généraux de Thaïlande. Dommage que les hommes
de Wall Street ne veuillent rien faire si ce n’est
s’asseoir sur leurs mains en attendant que leur radeau se renverse. Je suis
d’avis que rien ne viendra nous sauver, et que nous nous réveillerons un
matin au milieu de débris et de poussière. Quand ce moment sera venu, les
Etats-Unis seront devenus une opération de sauvetage.
Une longue liste de choses à
faire s’est présentée à nous depuis 2008, alors que notre nation était
frappée d’un coup de poing dans les omoplates. Nous avons refusé d’y prêter
attention. Premier point de la liste : restructurer les banques.
D’autres : réinstaurer l’Acte Glass-Seagall,
désassembler l’édifice chargé de la « sécurité nationale » qu’est la
NSA, améliorer les réseaux électriques, fermer les bases militaires à
l’étranger (et certains bases aux Etats-Unis), formuler un amendement pour
définir la fameuse identité individuelle des corporations, réparer les voies
ferrées pour se préparer à la fin de l’orgie automobile, reconstruire les
commerces de Main Street pour se préparer à la disparition de WalMart, interdire les OGM et promouvoir la production de
nourriture locale, interdire les casinos.
Et ce ne sont que certains
points de ma liste. Qu’avez-vous à y ajouter ? Pourrons-nous un jour
sortir de cette maison en ruine et profiter du Soleil ?