L'annonce d'un
nouvel et énième renforcement des mesures de
répression anti-automobilistes, si elle ne
saurait étonner, provoquera sans doute lassitude et ecoeurement chez
nombre de citoyens qui, sans avoir rien à se reprocher, se sentiront
un peu plus traités comme la pire espèce de criminels.
Parmi les
annonces phares d'un projet présenté par Mme Alliot-Marie en
conseil des ministres, la confiscation du véhicule pour les auteurs
d'infractions jugées graves par le législateur. La liste des
nouvelles annonces faites par le gouvernement ne peut que faire bondir toute
personne un tant soit peu férue de droit, et plus encore de
philosophie du droit. L’on pourra lire à ce sujet la critique de
Maître Eolas,
l'avocat le plus lu du web. Elle suggère en outre d'autres nombreuses
critiques venues autant du coeur que de la raison.
De l'importance
des élus
Tout
d’abord, passons rapidement sur le caractère politicien de
telles annonces. Quand un gouvernment ne sait plus quoi faire pour avoir
l'air « d'agir » sur la société, il
annonce un nouveau plan de "lutte contre l'insécurité
routière". Ça détourne l'attention du
chômage, peut être ?
Nous noterons que
les ministres et autres édiles qui concoctent de telles machines
répressives, souvent en contravention avec les principes les plus
élémentaires du droit, se réservent eux mêmes le
droit de ne pas les respecter, à l'aide de moult gyrophares, escortes,
cocardes signalant un véhicule privilégié, et autres
passe-droit. Le magazine Auto-Plus s'est fait une spécialité de
flasher ces politiciens
inciviques à des vitesses que la morale réprouve, sans parler
de moult autres infractions, relevées notamment lors de filatures des
principaux candidats à la présidentielle... En
général, les fautifs justifient leur attitude par "l'importance de leur fonction".
Je vais vous
dire: vu de moi même, mon épouse, mes enfants, mes parents et
mes amis sont bien plus importants que tous les Sarkozy du monde. Et il en
ira de même pour quasiment toute autre personne. L'importance est une
notion qui est toute relative, et dont l'invocation peut quelque peut choquer
au pays où les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
droit : devrions nous tous disposer de passe-droits du fait de notre
"importance" ?
Certes, il y a
bien un moyen de caractériser l'importance des gens au sens que les
politiques lui donnent: les décisions qu'un Nicolas Sarkozy ou
même qu'un maire de bourgade de province peuvent prendre peuvent me
causer du tort, alors qu'il y a fort peu de chance que les actions que je
puisse entreprendre de moi même aient la moindre conséquence
néfaste sur ces gens. Bref, si l'importance se définit en
fonction de la "nuisibilité" des individus, pardon pour le
néologisme, alors oui, Mme Alliot Marie et M. Sarkozy sont bien plus
importants que moi.
Cela ne leur donne
pas pour autant plus de légitimité à transformer nos
vies d'automobilistes en enfer permanent, entre l'enclume du permis à
point et le marteau des nouvelles taxes carbone ! La propension des
politiciens à vouloir "changer nos comportements" à
n’importe quel prix, y compris celui de l’établissement de
lois qui franchissent chaque jour un peu plus l’espace qui existe entre
un droit de la liberté et celui de la servitude, n’est sans
doute pas étrangère à la défiance croissante que
la population semble nourrir vis-à-vis de toute volonté
réformatrice de nos gouvernants.
Confiscation du
véhicule : l'horreur législative
Ainsi donc, les
véhicules des "chauffards" risquent d'être
confisqués. Pas temporairement, non: saisis et revendus aux
enchères au bénéfice de l’Etat. A noter que la
sanction existe déjà au code de la route, mais que le projet
présenté par Michèle Alliot Marie en conseil des
ministres prévoit son application automatique, le juge devant "se
justifier" s'il décide de ne pas l'appliquer. D'une façon générale,
tout ce qui impose au juge une décision "automatique" en
dehors de toute capacité de rapporter les faits à un contexte
donné ne peut que conduire à des désastres judiciaires.
Là encore, je vous invite à fouiner dans les archives de
maître Eolas pour approfondir cette question.
Une telle
disposition viole, que dis-je bafoue, le principe de l'égalité
en droit, ainsi que le droit de propriété, de plusieurs
manières.
D'abord, elle
introduit une inégalité de la sanction en fonction de
l'âge du véhicule et du modèle, autrement dit, en
fonction des moyens du contrevenant d'une part, et en fonction du facteur
chance qui fait que certains se feront prendre au volant d'une voiture neuve,
d'autres derrière le volant d'un véhicule de 8 ans.
L'égalité dans la sanction suppose que celle ci ne puisse en
aucun cas être différente que vous soyez riche ou pauvre d'une
part, et d'autre part qu'elle ne dépende pas d'éléments
tenant du pur hasard.
Elle introduit en
outre une inégalité flagrante entre propriétaires d'un
véhicule et locataires. Vous savez quoi ? les formules d’achat
en LOA ou en LLD vont connaître un regain de popularité !
Seul problème: ces formules de « possession »
d'un véhicule sont accessibles aux acheteurs de véhicule neuf
mais peu répandues dans l'occasion. Ceux qui, pour des raisons
diverses, ne peuvent accéder à un véhicule neuf seront
donc pénalisés. Et comme d'habitude, ce sont les plus
modestes...
Il y a pire: la
sanction violera, dans de nombreux cas, le droit de propriété
de nombreuses personnes innocentes. En effet, nombre de véhicules sont
possédés par une famille, même si la facture
d'achat ne porte que le nom d'un de ses membres. De facto (surtout en cas de
communauté de biens...), la sanction touchera donc l'auteur des
« terrrribles » infractions sanctionnées par les
gendarmes, mais aussi son épouse, son fils ainé, et que sais-je
encore, en confisquant leur propriété commune. Or, en droit
français, jusqu'à nouvel ordre, on ne peut que sanctionner
l'auteur d'un fait répréhensible, et pas des personnes qui
n'ont rien à voir avec la commission de ces faits.
La confiscation
des véhicules des « chauffards » devrait, dans
un véritable état de droit, être cassée par un
conseil constitutionnel. Le caractère hasardeux des décisions
de cet organe me fait craindre que certaines hérésies
législatives puissent, hélas, arriver au stade applicable. Wait
and see.
Qui sont ces terrrrifiants criminels de la
route ?
Loin de moi
l'idée de légitimer le droit de rouler ivre mort à 180
km/h en ville après avoir sniffé un rail de coke. Mais
admettons que, hormis certains samedis soir près de certaines boites
de nuit, ce type de comportement est rare.
Le projet de loi
prévoit la confiscation quasi automatique du véhicule de ceux
qui roulent sans permis. Le phénomène de la conduite sans
permis s'est considérablement développé depuis que le
permis à point est en application.
Pourquoi de plus
en plus d'automobilistes conduisent ils sans permis malgré les risques
qu'ils encourent ? Parce que pour bien des gens, ne plus pouvoir
conduire signe leur arrêt de mort économique et sociale. Alors
une fois le permis perdu, bien des personnes concernées continuent de
conduire. Sans doute sont elles d'ailleurs beaucoup plus attentives à
ne pas commettre la moindre infraction – Après tout, la baisse
de l’accidentologie routière se poursuit alors que le
phénomène de la conduite sans permis augmente :
voilà qui devrait faire réfléchir différemment
nos décideurs ! D'autre part, la fréquence des
contrôles est telle que le risque d'être pris est estimé
raisonnablement faible par les gens concernés.
La route est elle
plus dangereuse pour autant ? Bien sûr que non. Selon certaines
données non officielles, 95% des gens qui ont perdu des points ces
dernières années avaient un bonus d'assurance maximal en
fonction de leur âge, alors que plus de 70% des personnes ayant
été responsables d'un accident entrainant une
déclaration d'assurance avaient tous leurs points ! En outre, malgré
l'explosion du nombre de conducteurs sans permis, la route devient chaque
année un peu plus sûre, comme elle le fait
régulièrement depuis les années 70 :
rapporté au nombre de kilomètres parcourus, la mortalité
effective a été divisée par 10. Le permis à point
est il, dans ces conditions, un élément de sécurisation
de la route ? Rien n'est moins sûr...
Le fait est que
sans doute plus de 95% des gens qui perdent temporairement ou
définitivement leur permis de conduire ne sont en rien des criminels
de la route. Ce sont des gens qui ont accumulé des
séries de petites infractions sans conséquence,
un stop mal marqué par ci, un excès de 20km/h par là...
Faut-il condamner ces personnes à des sanctions qui risquent de nuire
gravement à leurs conditions d'existence et à celles de leurs
familles ? A l'évidence, non.
La menace de
confiscation des véhicules se traduira par un plus grand recours
à l'achat d'épaves coûtant moins d'un mois de salaire, et
par une augmentation drastique de la part de marché de la LOA dans
l'achat automobile. Elle ne réduira en rien l'incitation des personnes
à conduire sans permis, et elle ne rendra pas la route plus sûre
qu'elle ne l'aurait été sans cela. Ce n'est qu'une mesure
vexatoire de plus.
Les coûts
cachés de l'hyper répression routière
Pour arriver
à réduire la proportion de personnes conduisant sans permis, il
faudrait que l'état mette en place un véritable arsenal
répressif nécessitant des moyens de contrôle au moins
triplés au bord des routes, de façon à ce que le risque
d’être pris devienne réellement dissuasif. Or, nous avons
vu que la diminution de l'insécurité routière qui en
résulterait serait sans doute marginale. Les moyens mis pour chasser
ces dangereux pères de famille cherchant simplement à pouvoir
continuer à travailler ne rapporteraient donc qu'un retour sur
investissement faible. Mais ils manqueraient gravement à la
résolution d'un problème autrement plus grave et totalement
traité par dessous la jambe par l'appareil juridico-policier depuis 40
ans: l'explosion de la délinquance crapuleuse, et notamment des
violences faites aux personnes.
Selon l'INSEE,
entre 1973 et 2003 (voir cet ancien post),
non seulement les actes de violence volontaire sur personnes ont
été multipliés par 4 officiellement, mais encore le taux
de report de ces actes de violence ont ils baissé, nombre de victimes
n'osant plus porter plainte, d'une part par peur des représailles,
d'autre part parce que le taux d'élucidation de ces violence est
tombé à des niveaux indignes d'un pays civilisé (moins
de 16%). L’augmentation de la violence crapuleuse sur les personnes a
donc été certainement plus importante que ce que les chiffres
révèlent, et ce sont donc nettement plus de 400 000 de ces
actes, nombre officiel, qui sont commis chaque année, dans une
atmosphère de relative impunité pour les agresseurs.
Il est plus
facile de chasser l'automobiliste désemparé par les
conséquences de la répression à tout crin dont il fait
l'objet que d'aller traquer le voyou qui fournit les bandes des cités
en Kalashnikov, et de rechercher toutes les petites frappes qui tabassent les
mères de familles ou les adolescents bien habillés pour leur
piquer un portable. Pourtant, laquelle de ces violences est elle socialement
la plus nocive ?
On me
rétorquera que la route fait bien plus de morts que la
délinquance. Exact. Malgré tout, le nombre de morts
rapportés au nombre de kilomètres parcourus et au nombre de
voyages entrepris est en chute libre (*). De plus, ce risque est perçu
par la population comme totalement diffus, évitable avec un peu de
prudence, et emprunt d'une certaine fatalité. En aucun cas, nous ne
risquons de modifier nos comportements économiques (sorties, vacances,
autres déplacements) et sociaux du fait de ce risque. Alors qu'un
risque important de se faire agresser dans la rue ou dans nos merveilleux
transports en commun dans lesquels nos politicards voudraient que nous nous
entassions sans jamais les emprunter eux mêmes, est un facteur
important de dégradation de la qualité de vie, qui nous oblige
à modifier bien des comportements autrefois naturels pour nous
protéger, sans parler des coûts induits par ces mesures
d’auto-protection. La délinquance fait peur, la route pas.
Répression,
répression !
Certains me
répondront que la répression routière a permis de
diviser par trois la mortalité routière, et que le manque de
répression de la « vraie » délinquance ne
doit pas servir de prétexte pour relâcher la pression sur les
comportements accidentogènes.
Seul
problème avec cette affirmation, il est impossible de savoir dans
quelle proportion la répression des infractions routières a
contribué à la baisse du nombre d'accidents. Sans doute un peu,
mais sans doute pas plus que d'autres facteurs ô combien importants qui
n'ont rien à voir avec la répression routière.
Les facteurs qui
peuvent avoir contribué de façon importante à
l'amélioration de la sécurité routière (trois
fois moins de morts pour plus de trois fois plus de kilomètres
parcourus en trente ans) sont, pêle-mêle :
·
l'amélioration
continue du réseau routier: expansion des routes à 2X2 voies
à carrefours dénivelés, au risque mortel 5 fois moins
élevé que les routes bidirectionnelles de campagne, alors que
la vitesse pratiquée y est la plus élevée,
amélioration de nombreux carrefours (le bilan sécurité
des giratoires est de ce point de vue éloquent), …
·
Amélioration
des dispositifs de sécurité active et passive des
véhicules: tenue de route, habitacles renforcés, antiblocages
divers...
·
Amélioration
du confort des automobiles, incitant à une conduite plus souple.
·
progrès
de la médecine ayant transformé un certain nombre de
tués en blessés graves.
La répression routière a sans aucun doute eu des effets
bénéfiques par rapport à certains comportements
véritablement dangereux tels que l'alcool au volant. En revanche, la
répression de la vitesse per
se semble atteindre ses limites.
D'ailleurs, dans
des documents officiels(*), la sécurité routière elle
même reconnaît que "si le respect des vitesses
autorisées" était intégral, le nombre de vie
sauvées serait de 900 par an. Sans même évoquer les biais
que comporte ce type de calcul, notons que cela ne représente qu'un
tué sur 5: Il y a donc reconnaissance implicite que le potentiel
d'amélioration de la sécurité routière lié
au respect des limitations en vigueur atteint ses limites.
Ces 900 vies ne
valent elles pas un effort supplémentaire ?
Je sais que
certaines personnes voudraient que l'on considère que la vie n'a pas
de prix et que 100, 900 ou 4500 vies sauvées chaque année
mériteraient largement quelques menus renoncements à notre
liberté individuelle de circulation.
Mais à partir
du moment où nous vivons dans un monde de ressources rares, nous
sommes bien obligés de mettre en regard le coût des mesures
mises en place pour sauver ces vies, avec leur bénéfice.
Une vie prise par
un accident de la route est estimée à 1,267 millions d'Euros
pour la société (valeur 2007). Bien plus que le coût
direct de l'accident (police, secours, hospitalisation, exploitation de la
route), ce chiffre prend en compte la production de richesse que la personne
décédée aurait accompli si elle avait pu atteindre
l'âge de la retraite. Compte tenu de l'âge moyen (jeune) des
morts sur la route, l'on aboutit à un chiffre assez
élevé.
Sauver 4500 vies
« rapporterait » donc à la société
environ 5.5 milliards d'Euros par an. Si l’on prend en compte le
coût des blessés graves (coût unitaire moins
élevé mais plus nombreux), il faut ajouter 5 autres milliards
à ce chiffre. Soit environ 11 milliards au total. Il s’agit de
surcroît de coûts en majoritairement non directement
perceptibles, que Frédéric Bastiat aurait rangé dans la
catégorie de ceux que l’on ne voit pas.
Il suffirait donc
de limiter la vitesse sur nos routes à 30 km/heures, et à
mettre un policier tous les 10 km, ou mieux, un mouchard automatique dans
chaque véhicule, pour faire respecter cette limitation, qui sans aucun
doute ramènerait la mortalité routière à un
niveau négligeable, pour amener à la société un
gain brut de 11 milliards. Pourquoi ne le faisons nous pas ? Parce que nous
sentons bien que les coûts sociaux d'une telle mesure pour l'ensemble
des familles comportant au moins une personne utilisant
régulièrement un véhicule personnel serait bien plus
élevé: impossibilité de travailler loin de chez soi, de
nouer des relations sociales non virtuelles hors d'un petit
périmètre, etc... La perte, tant en niveau de vie réel,
qu'en qualité de vie perçue, excèderait largement les 11
milliards précédemment calculés. Nous acceptons un
certain niveau de risque de mortalité routière parce que les
bénéfices que nous tirons de la mobilité ainsi obtenue sont
infiniment plus importants.
Il est à
noter que je n’ai pas pu trouver de données suffisantes sur les
trafics routiers en France pour estimer le bénéfice global que
la société retirait de la conduite automobile, exercice O
Combien difficile s’il en est. L’économiste Thomas F.
Hogarthy s’y est essayé pour les USA, dont la population est 5
fois plus élevée que la notre, en 1998, sur la base de chiffres
de 1995. Son calcul prend en compte divers modes de déplacement
automobile (taxi, location avec chauffeur, sans chauffeur, véhicule
personnel…), le nombre de kilomètres parcouru par chaque mode,
et le coût moyen des déplacements par chaque mode, pour estimer
une fourchette basse extrêmement conservatrice du bénéfice
que la société américaine retire de l’automobilité,
en considérant que tout individu n’entreprend un
déplacement que si les avantages que ce déplacement occasionne
en justifient les coûts. Il aboutit à un gain annuel minimal de
6,9 mille milliards de dollars pour la société
américaine, en 1995(**). Wendell Cox ramène ce chiffre, en
corrigeant certaines approximations, à 4,2 milliers de milliards.
Rapporté à la différence de population et de PIB/h, cela
nous donnerait, pour la France, un bénéfice minimal de
l’automobilité d’environ 550 milliards d’Euros
à la même époque (selon le taux de change ajusté
en parité de pouvoir d'achat calculé par l'OCDE). En supposant
que ce bénéfice soit à peu près indexé sur
l'inflation (une approximation sûrement assez correcte), nous arrivons
à un total de 720 milliards d'euros. Naturellement, ce n’est
qu’un ordre de grandeur. Mais il induit que les bénéfices
de l'automobilité représentent tout de même environ
40% de notre PIB. Cela paraît logique: faites le compte de tout ce qui
serait inenvisageable sans la possibilité de déplacer hommes et
marchandises de façon convenable !
L’on
comprend donc que le coût du risque corporel et mortel lié
à l’automobile, 11 milliards, soit jugé très
acceptable par rapport aux bénéfices de
l’auto-mobilité. A contrario, on saisit mieux l'importance, pour
les personnes privées de permis, de continuer tout de même
à conduire.
Pourquoi les gens
roulent « vite » ?
Les gens tendent
à rouler « aussi vite qu'ils peuvent », toutes
contraintes confondues (état de la route, météo, trafic,
capacité du véhicule, peur plus ou moins grande du gendarme),
parce que lorsqu'ils se rendent d'un point A à un point B, le temps
passé à l'activité A ou à l'activité B a
une certaine valeur, mais le temps passé à joindre ces deux
activités est un pur coût. S'il existait un nouveau moyen de se
téléporter instantanément d'un point A à un point
B sans avoir à employer un véhicule, nul doute que nous serions
prêts à l'utiliser, même s'il se révélait
plus onéreux que l'automobile, dans une marge raisonnable. Même si
les constructeurs nous vendent du plaisir de conduire, même s'ils
déploient des efforts considérables pour nous rendre nos
kilomètres toujours plus agréables, la réalité
est là: peu de gens conduisent pour la conduite elle même, mais
parce que ce qu'ils font avant et après l'acte de conduite a une
valeur plus importante pour eux que les coûts, financiers et
d'opportunité, associés à la conduite elle même.
Les pouvoirs
publics rendraient un bien plus grand service à la
sécurité routière en développant (ou en faisant
développer par le privé) et en renforçant le
réseau de voies à caractéristiques autoroutières,
permettant à la fois de satisfaire le désir de réduction
des temps de parcours et d'améliorer considérablement le bilan
de sécurité routière, ou en lançant un grand
programme de suppression de carrefours dangereux par des giratoires ou tout
autre moyen approprié, qu'en consacrant les mêmes ressources
à la traque des conducteurs du dimanche sans accident mais à
qui la malchance à fait perdre les précieux points de leur
permis.
Comportements
illégaux et comportements dangereux
Tel est le
problème de la sécurité routière par elle
même : la politique actuelle sanctionne bien des comportements qui sont
plus illégaux que dangereux.
Certes, avoir un
accident à 110 km/heure rendra probablement cet accident plus grave
que s'il s'était produit à 90km/h, personne ne le conteste.
Mais le fait est que la plupart des PV pour petits excès de vitesse
sanctionnent une probabilité d'accident seulement
légèrement augmentée par rapport à une conduite
à la limite des vitesses légales.
Pourtant,
contrairement à certains, je n'adhère pas au discours qui
consiste à dire que tant qu'une personne ne provoque pas d'accident,
elle est libre de conduire à 180 km/h ivre morte. En l'absence de
toute dissuasion de ces comportements à l'évidence fortement
accidentogènes, nous verrions une dégradation forte de la
sécurité routière non seulement de ces personnes peu
sensibles au risque qu'elles courent, mais surtout de personnes prudentes qui
risqueraient bien plus qu'avant d'être des victimes parfaitement
innocentes de l'imprudence des autres. Nous n'avons pas envie de jouer
à la roulette russe chaque fois que nous prenons le volant, il est
normal que le législateur fixe des limites préventives et
essaie de raisonnablement les faire respecter.
Ajoutons que les
pouvoirs publics, sous la supervision des représentants élus du
peuple propriétaire effectif des routes, sont parfaitement
légitimes à en fixer les règles d'utilisation. Se pose donc
le problème de la limite, bien connue de tous les juristes. Rouler
à 180 km/h en ville est indubitablement dangereux. Rouler à 51
km/h ou à 71 sur les voies sur berge de Paris l'est sans doute bien
moins. Entre les deux, le législateur doit prendre ses
responsabilités et fixer une limite qui sera forcément
arbitraire, et moduler les sanctions en fonction de la gravité de la
limite franchie. Pas de problème sur le principe.
En revanche, du
principe à l'application, il y aurait beaucoup à redire. Toutes
les limitations sont elles adaptées au niveau de
sécurité des véhicules actuels ou aux qualités de
la voie empruntée ? Les lieux où les contrôles sont
opérés sont ils représentatifs du risque
accidentogène ?
Confier le permis
et son retrait aux assureurs ?
j'ai par le
passé déjà écrit que le permis de conduire ne
devrait pas être délivré par un examen auprès d'un
fonctionnaire d'état, dont la pénurie semble sciemment
organisée depuis une quinzaine d'années, et laissé à l'appréciation d'un assureur
qui devra mettre en équation son désir d'encaisser une
prime d'assurance et celle de ne pas avoir à régler de
sinistres trop importants. Pour ce faire, il devrait juger de la
qualité de la formation initiale reçue par un jeune conducteur
en se basant sur les statistiques d'accidents des personnes ayant appris avec
la même autoécole, en pondérant éventuellement la
prime en fonction de l'usage (ou non) de la conduite accompagnée, du
sexe (les hommes ont 3,1
fois plus de chance de mourir au volant ou de faire mourir quelqu'un d'autre,
que nos compagnes... nos hormones !), etc.
Le même
raisonnement pourrait être tenu pendant toute la vie du permis.
L'important est que personne ne puisse prendre le volant s'il ne trouve
personne pour l'assurer. Il convient donc que les infractions graves
(alcoolémie élevée, grands excès de vitesse)
puissent faire l'objet d'une communication aux assureurs, et que ceux ci
décident, en fonction du profil de risque de la personne, s'ils lui
appliquent une surprime, ou refusent carrément de l'assurer. Dans ce
dernier cas, elles ne délivreraient pas de carte verte, synonyme de
permis. En fusionnant permis et certificat d'assurance, nous
effectuerions un très grand progrès tant en terme de
responsabilisation des conducteurs, qu'en terme de lutte contre l'arbitraire
administratif.
Ainsi, la
répression de la conduite sans permis ne concernerait sans doute plus
des pères de famille un peu trop distraits face aux panneaux de radar
automatique collectionnant les petites « prunes »
inférieures à 20km/h, mais de véritables dangers publics
que les assureurs ne voudraient en aucun cas avoir en portefeuille,
même contre une forte prime.
Conclusion
Il y aurait encore
beaucoup à écrire sur le sujet: limitations de vitesse
« politiques » et inadaptées aux conditions de
trafic et à l'environnement routier, contrôles en ligne droite
à des endroits où aucun accident ne se produit jamais,
progrès techniques futurs qui pourraient permettre de réduire
l'accidentologie tout en relâchant l'étreint répressive
de toutes les Michèle Alliot-Marie du monde.
En attendant,
nous devons nous attendre à une intensification de la
répression envers les automobilistes. Nos édiles, qu'ils soient
élus ou nommés, sont tellement effrayés du mauvais usage
que nous pourrions faire de notre liberté qu'ils estiment
indispensable de la restreindre, y compris par une quasi militarisation des
moyens de la lutte contre nos mauvais comportements supposés.
Est-ce vraiment
cette société que nous voulons ? Une société
où, sous prétexte de faire notre bien, des
« élus » prompts à s'exonérer eux
mêmes des contraintes qu'ils nous infligent se livreraient à une
agression perpétuelle contre nos libertés, notre libre arbitre,
et nos droits élémentaires ? Sans y prendre garde, nous nous
apercevrons un jour que malgré notre capacité de voter pour de
multiples candidats aux élections, nos libertés réelles
se rapprocheront de zéro, au nom de l'idéologie
sécuritaire et hygiéniste ambiante. M. Hayek, revenez parmi
nous, ils sont en train de devenir fous !
Nos dirigeants
devraient prendre garde à la forme que prendra la réaction des
masses le jour où l'agression quelles subiront sera tellement vive
qu'elles sortiront enfin de leur léthargie actuelle. Ils devraient se
rappeler à tout instant qu'ils sont élus pour créer un
cadre favorable à la satisfaction de nos aspirations, et non pour nous
abrutir de mesures chaque jour un peu plus tyranniques.
--------------
(*) Annexes : Données d'accidentologie
commentées - (PDF de synthèse)
(**) T.F. Hogarthy, Benefits of road and travel transport, 1998, cité
par Joel Schwarz in « 21st century
Highways », éditions Heritage Foundation, 2005
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
|