Il y a des jours où les informations s’enchaînent, sans trêve, et se bousculent parfois avec fracas mais (paradoxalement) dans le bruit feutré de médias qui écoutent ailleurs. Le 7 décembre 2016 fut un de ces jours.
C’est ainsi qu’on apprend, de façon tout à fait fortuite et par le truchement d’un tweet de la Cour de Cassation, que cette dernière vient d’être placée sous le contrôle direct du gouvernement par l’intermédiaire de l’inspection des services du ministre de la Justice. Le Premier président de cette cour s’en est quelque peu offusqué, et s’est donc fendu d’une lettre au premier ministre. Le tweet, pour le moins sobre, donne ceci :
Un décret semble donc suffire pour ce genre de petite cascade rigolote, qui tombe de surcroît à un moment particulièrement propice puisque les médias sont tous occupés à commenter l’actuel remaniement ministériel qui voit, justement, le Premier ministre auteur du décret s’en aller, et se faire remplacer par le ministre de l’Intérieur. Pendant ce temps, le ministre de la Justice semble se gratter une luciole oreille.
Il faudra sans doute attendre les avis des professionnels du droit pour avoir une idée précise des implications d’un tel décret. Après tout, ce qui ressemble assez fortement à un nouveau coup de canif entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire n’est peut-être qu’une petite trivialité sans conséquence, mais force est de constater que les magistrats de la Cour de cassation n’ont pas hésité à dénoncer une « incursion supplémentaire du pouvoir exécutif depuis l’état d’urgence dans l’appareil judiciaire ».
Alors ici, bien sûr, je pourrais facilement embrayer en m’inquiétant assez verbalement de ce genre de petites magouilles et du timing rocambolesque avec lequel elles sont faites. Il serait aussi facile de pousser le raisonnement en expliquant qu’à force de pratiquer ce genre d’entailles au contrat républicain et à la séparation des pouvoirs pourtant théorisée par nos plus grands penseurs, on va finir par aboutir à une belle et grande dictature.
Ici, je pourrais alors en profiter pour pousser une petite image qui vaut mille mots et qui permet de rappeler que non, le basculement dans la dictature populiste et les heures les moins choupis de notre Histoire ne se fait pas toujours dans le bruit mat de bottes cadencées au pas de l’oie, et que la prochaine fois que cela arrivera à la France, ce ne sera pas aussi évident que le débarquement d’un bataillon de soldats dans les couloirs de l’Assemblée Nationale. Je pourrais.
Mais je ne vais pas en avoir besoin.
Parce que pendant que les magistrats de la Cour de cassation essayent d’attirer l’attention des médias sur les petites avanies que le gouvernement leur fait subir, un autre membre du gouvernement se charge d’illustrer mon propos de façon onctueuse.
Eh oui : Ségolène Royal est de retour sur le sol national.
Peut-être son ex de Président avait-il jugé bon, pour éviter ses saillies consternantes, de l’envoyer, elle plutôt que n’importe qui d’autre, pour les funérailles de Fidel Castro à Cuba, alors même que se jouait le changement ministériel suite à la démission de Manuel Valls.
Mais comme souvent avec les plans de notre inestimable président, cela n’a pas exactement fonctionné comme prévu puisque si Ségolène n’a pas ouvert son caquet pour commenter la politique intérieure, elle s’est empressée de faire des déclarations ahurissantes dans le cadre des obsèques du dictateur cubain. Certes, elle avait été bien chauffée par toute la clique des thuriféraires du communisme que la France compte encore malheureusement dans ses rangs et qui n’avaient pu s’empêcher de passer sous silence les nombreuses exactions du Lider Maximo, depuis l’emprisonnement jusqu’à l’assassinat d’opposants politiques, la ruine de l’économie cubaine, la répression intellectuelle et l’enrichissement personnel, et le tutti frutti habituel des régimes collectivistes dictatoriaux.
On ne s’était donc pas trop formalisé de découvrir qu’elle trouvait tout plein de qualité au bonhomme, allant jusqu’à louer sa capacité à récupérer le territoire cubain pour le peuple, et voir dans les massacres perpétrés par le communiste une inspiration de la Révolution française. Au-delà de Fidel, « monument historique », notre Royal républicaine avait même réussi à conclure, sans rire, que le régime était plutôt sympatoche puisque, je cite,
« quand on demande des listes de prisonniers politiques, on n’en a pas. »
Pas de quoi s’affoler, donc : Fidel Castro mort, c’est un dictateur de moins et rien de plus, détendez-vous, tout ceci n’est que de la politique et de la diplomatie rendue au compte du Peuple français. Youpi.
Le seul souci est qu’en rentrant, la ministre des petits oiseaux, des plantes vertes et des centrales nucléaires a fait mine de ne pas comprendre l’ampleur de la polémique que ses propos consternants ont déclenchée. Pour faire bonne mesure, la voilà donc qui s’explique à l’Assemblée nationale et précise sa pensée purée mentale : non et non, Cuba n’est pas une dictature, d’abord. D’ailleurs,
« Vous n’allez pas me dire que 4 millions de personnes se rendent dans une dictature, ce n’est pas vrai, Monsieur le député ! »
Ah mais voilà qui rend les choses tout d’un coup bien plus simples : s’il y a des touristes, c’est que le régime est respectueux des droits de l’Homme, qu’il n’y a pas de prisonniers politiques, que la liberté de culte ou d’expression ont cours et que les élections, libres, se déroulent de façon optimale. Miam.
C’est évidemment affolant de bêtise, et comme on ne peut définitivement pas mettre ça sur le compte du rhum, cela montre surtout que la ministre est totalement en dehors de toute mesure, tient des propos parfaitement déplacés dont la teneur insulte directement tous les Cubains qui ont fui le régime castriste au péril de leur vie, insulte tous ceux qui sont morts sous les coups des partisans du Lider Maximo, insulte tous ceux qui ont péri en tentant de fuir ou tout ceux qui sont morts sans jamais plus pouvoir revoir leurs proches.
Et au-delà d’une démission qu’on voudrait rapide pour ce genre de comportements iniques de la part d’une ministre, l’idéologie puante et le dogmatisme forcené qui dégouline de ces déclarations permet d’éclairer d’une lumière très crue ce qui vient de se passer avec la Cour de cassation : non, ce n’était pas une boulette, et oui, ces gens, actuellement au pouvoir et au prétexte qu’ils sont le Camp du Bien, se permettent toutes les mesures les plus liberticides, les discours les plus consternants, les entorses les plus évidentes à l’éthique et aux principes fondateurs de l’actuelle République ou de la démocratie.
Ségolène Royal ne comprend pas la polémique qu’elle a déclenchée : c’est terrifiant parce que c’est le même esprit que le sien qui anime ceux qui ont pondu le décret assujettissant un peu plus le judiciaire à l’exécutif.