Parmi les auteurs antiques de qualité, l’un
est trop peu cité : Sénèque, digne
représentant du stoïcisme. Le stoïcisme, pour rappel, fait
du bonheur la fin ultime de l’existence humaine.
Mais il n’était pas que philosophe : il
était aussi le percepteur du cruel empereur
romain, Néron. Grâce à cette charge, il amassa une
fortune considérable
au point de succomber dans une curieuse contradiction, lui qui condamna à de si
nombreuses reprises la richesse.
Son honnêteté reprit toutefois le dessus. Il
rendit à Néron ses cadeaux, sombrant dans la pauvreté.
Il devint si peu inféodé à ce dernier –
qu’il considérera désormais comme un criminel –
qu’il fut contraint au suicide en 65 après avoir quitté
sa charge quelques années plus tôt.
Cette mort fut d’autant plus forcée que les
idées de Sénèque en la matière étaient
assez tranchées : Sénèque était contre le suicide,
non pas parce qu’il faisait l’apologie de la vie mais parce
qu’il estimait que l’être humain se devait de ne pas
hâter sa mort pour ses proches. Son cas personnel était
d’ailleurs très révélateur : sa santé
était si fragile qu’il avait souvent pensé à
ôter sa propre vie. Mais son sens des responsabilités l’en
empêcha.
Sénèque n’eut de cesse de condamner ce
« dégoût de la vie » si présent dans
l’Antiquité – y compris chez de grands
empereurs et rois – même si, paradoxalement, il saluait
simultanément le suicide comme le dernier acte de l’homme libre.
Ainsi, contrairement à Platon et, surtout, Aristote,
Sénèque estimait que l’homme est en droit de choisir le
moment de sa mort. Il existe donc une forme de contradiction, parfois
déroutante, chez Sénèque sur ce thème.
Pourtant, Sénèque était probablement
monothéiste et avait sans doute timidement permis l’ouverture
des Romains au christianisme, même s’il est important de rappeler
que le Dieu de Sénèque – non généreux
– est antithétique au Dieu chrétien. En outre,
Sénèque, comme plusieurs autres auteurs romains, voyait la
religion juive d’un mauvais œil : pour lui, elle
n’était que superstition,
même s’il condamnait fermement le sort subi
par les juifs – notamment ceux d’Antioche
– sous l’Empire romain. Mais, surtout, il convient de
préciser que Sénèque n’avait pas un attrait
immodéré pour les questions métaphysiques.
Outre son approche de la religion, c’est la vision
sociétale de Sénèque qu’il conviendra
d’aborder et notamment celle de l’esclavage. La quantité
d’esclaves dans l’Empire romain était considérable.
Il faut dire que ces derniers appartenaient souvent aux armées
vaincues par Rome. Or, lorsqu’on connaît le nombre de
succès militaires que cet empire a connus durant son existence, on
doit alors moins s’étonner… De plus, l’esclavage
faisait aussi partie de l’« héritage »
qu’un parent « offrait » à son enfant.
Les droits de l’esclave étaient peu nombreux
(même si on lui accordait tout de même un enterrement religieux),
à l’inverse, bien évidemment, de ceux de son maître
qui pouvait le tuer. En cas de nécessité, l’esclave
pouvait même être incorporé
dans l’armée.
Une telle situation révolta Sénèque
qui appela à plus d’humanité au profit des esclaves. Mais
le philosophe en profita aussi pour tacler gentiment les esclaves
eux-mêmes par cette phrase mythique : « Quelques-uns
sont tenus en servitude, un plus grand nombre y tiennent. ». Pour
Sénèque, la distinction entre maîtres et esclaves n’a
pas lieu d’être.
L’influence de Sénèque se fit sentir
au point que l’empereur Claude recommanda
aux maîtres de faire preuve de plus de douceur et, donc, de moins de
violence à l’égard de leurs esclaves. La
législation ne cessera de s’assouplir, l’empereur Hadrien
allant même jusqu’à interdire lesdits maîtres de
continuer à jouir d’un droit arbitraire de vie et de mort sur
leurs esclaves.
Ainsi, même décédé, la patte de
Sénèque continua à se faire sentir dans l’Empire
romain.
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